Doha, 9 mai 2018
L’ACRPS (Arab Center for Research and Policy studies) a annoncé aujourd’hui à Doha les résultats du Baromètre de l’opinion arabe 2017-2018. Couvrant onze pays arabes – la Mauritanie, le Maroc, la Tunisie, l’Égypte, le Soudan, la Palestine, le Liban, la Jordanie, l’Irak, l’Arabie Saoudite et le Koweït –, ce sondage a été mené sous forme d’entretiens individuels en face-à-face auprès d’un ensemble de 18 830 hommes et femmes regroupant des échantillons représentatifs des pays auxquels ils appartiennent, avec une marge d’erreur comprise entre 2 et 3 %. L’enquête de terrain a été réalisée entre décembre 2017 et avril 2018. Il convient de souligner que ce sondage, qui en est à sa sixième édition, est la plus vaste enquête d’opinion publique effectuée dans le monde arabe, tant par l’ampleur de son échantillon et le nombre de pays qu’elle couvre que par ses axes d’étude. 865 chercheurs et chercheuses ont pris part à sa réalisation, qui a nécessité environ 45 000 heures de travail. Les enquêteurs de terrain ont parcouru plus de 700 000 kilomètres à travers le monde arabe pour atteindre les zones incluses dans l’échantillon. Il est établi que par son envergure, sa récurrence et la diversité de ses thématiques, ce sondage est devenu une importante référence pour les universitaires, les experts et les instituts de recherche arabes et internationaux.
Le Baromètre de l’opinion arabe est un sondage périodique effectué par le Centre arabe de recherches et d’études politiques dans les pays arabes dans le but d’observer les tendances de l’opinion publique arabe vis-à-vis d’un ensemble de sujets économiques, sociaux et politiques, notamment les questions de démocratie et de participation politique. L’enquête comprend un volet évaluatif de la politique des puissances mondiales et régionales à l’égard du monde arabe.
Les résultats montrent que l’opinion publique est presque unanimement favorable à la démocratie : 74 % des sondés se disent en faveur du système démocratique, tandis que 17 % y sont opposés.
Partisans et opposants à l’idée selon laquelle « le système démocratique, malgré ses inconvénients, reste meilleur que les autres » lors du sondage de 2017-2018, en comparaison de ceux des années précédentes
76 % des sondés estiment que la démocratie pluraliste est appropriée à leur pays ; de même, entre 61 et 75 % pensent que les régimes autoritaires, ou ceux où la participation aux élections est limitée aux partis islamistes, ou ceux qui sont basés sur la charia, sans élections ni partis, ou encore ceux où la participation aux élections est limitée aux partis non religieux, ne sont pas appropriés à leur pays. La comparaison entre ces résultats et ceux des sondages précédents montre que le parti-pris de l’opinion publique arabe en faveur de la démocratie reste stable, voire tend à s’accroître.
Tendances de l’opinion publique quant à la pertinence de l’application d’un ensemble de systèmes politiques dans les pays des intéressés
En contrepoint à ce consensus en faveur de la démocratie, on note une évaluation négative de la situation actuelle de celle-ci dans les pays arabes. Interrogées sur le niveau de démocratie dans leur pays, les personnes sondées ont donné une note moyenne de 5.5 sur 10. Autrement dit, de leur point de vue, la démocratie n’en est qu’à la moitié du chemin.
L’évaluation du niveau de démocratie d’après la capacité des citoyens à critiquer leur gouvernement, sur une échelle de 1 à 10, montre que cette dernière est limitée, la moyenne étant de 5.6 sur 10. Le Liban et la Tunisie obtiennent le meilleur score, tandis que le Soudan et l’Arabie Saoudite enregistrent le score le plus faible.
Évaluation du niveau de démocratie dans les pays sondés en 2017-2018, en comparaison des sondages de ceux des années précédentes (moyenne arithmétique)
Sur une échelle de 1 à 10, comment noteriez-vous votre capacité à critiquer votre gouvernement, 1 valant pour l’impossibilité de le critiquer et 10 pour l’entière capacité de le faire
Quant au regard porté par les sondés sur les révolutions arabes, les mouvements de contestation et les manifestations pacifiques de 2011, il est globalement positif. L’opinion publique estime que ces révolutions et contestations populaires étaient principalement motivées par la volonté de se soulever contre les régimes dictatoriaux, d’accéder à la démocratie et de protester contre la corruption financière et administrative. Seulement 3 % des sondés avancent des motifs reflétant une position hostile aux révolutions, en l’occurrence l’idée que ce qui s’est passé en 2011 était un complot.
Les résultats révèlent toutefois que l’opinion publique est divisée quant au devenir des révolutions arabes : 45 % sont d’avis que le « Printemps arabe » traverse une phase difficile, mais qu’il finira par réaliser ses objectifs, tandis que 34 % estiment qu’il est révolu et que les anciens régimes ont repris le pouvoir.
En 2011, plusieurs pays arabes ont connu des révolutions et des contestations populaires, les gens ont investi la rue et pris part à des manifestations pacifiques. Quelle est votre appréciation de ces événements ?
En 2011, plusieurs pays arabes ont connu des révolutions et des contestations populaires, les gens ont investi la rue et pris part à des manifestations pacifiques. Quelles sont à votre avis la première et la seconde raisons principales ayant motivé ces événements ?
Laquelle des deux formules suivantes est la plus proche de votre perception ?
S’agissant du degré de religiosité, les résultats indiquent que les citoyens du monde arabe sont divisés en trois blocs. Le bloc majoritaire (65 %) se décrit comme « plutôt religieux », le second (21 %) se présente comme « très religieux », et les 12 % restants se disent « non religieux ».
Degré de religiosité affiché par les sondés dans le sondage de 2017-2018, en comparaison de ceux des années précédentes
La majorité de l’opinion publique refuse de considérer comme infidèles ceux qui appartiennent à d’autres religions ou qui ont des points de vue différents sur l’interprétation de la religion. Les résultats indiquent que la plupart des citoyens ne pratique pas de discrimination négative ni positive, que ce soit sur le plan économique, social ou politique, entre personnes religieuses et non religieuses. Elle refuse que les dignitaires religieux/les cheikhs exercent une influence sur les décisions du gouvernement ou sur le vote des députés, tout comme elle refuse que l’État ou les candidats aux élections instrumentalisent la religion, le premier pour que la population soutienne sa politique, les autres pour attirer les voix des électeurs. Les résultats du Baromètre de l’opinion arabe révèlent néanmoins que, sur la question de la séparation du religieux et du politique, l’opinion publique du monde arabe est divisée, même si la majorité penche pour cette séparation. Il est intéressant de noter que depuis le sondage de 2011, le pourcentage de sondés s’exprimant en faveur de la séparation du religieux et du politique est chaque année en légère augmentation.
Partisans et opposants à l’idée selon laquelle « aucune instance n’est en droit de déclarer infidèles ceux qui appartiennent à d’autres religions »
Tendances des sondés en matière de relations avec autrui dans le sondage de 2017-2018, en comparaison de ceux des années précédentes
Partisans et opposants à l’idée selon laquelle « le gouvernement n’a pas le droit d’instrumentaliser la religion pour que la population soutienne sa politique »
Partisans et opposants à l’idée selon laquelle « dans l’intérêt du pays, il vaut mieux séparer le religieux du politique »
Par ailleurs, les citoyens mentionnent de nombreux problèmes et défis qui se posent à leurs pays. 33 % des sondés affirment que leurs priorités sont d’ordre économique, tandis que 21 % estiment qu’elles concernent la performance et la politique des gouvernements : politiques des régimes en place, recul du processus de transition démocratique, faiblesses des services publics, généralisation de la corruption financière et administrative. 10 % des sondés mettent l’accent sur les questions de sécurité, de sûreté et de stabilité politique. Dans l’ensemble, les citoyens du monde arabe évaluent la situation politique de leur pays de manière négative : 55 % la qualifient de mauvaise ou très mauvaise, contre 39 % l’estimant bonne ou très bonne.
Évaluation par les sondés de la situation politique de leur pays lors du sondage de 2017-2018, en comparaison de ceux de 2016, 2015, 2014 et 2012-2013
Le Baromètre de l’opinion arabe montre que la situation économique des citoyens du monde arabe est tout à fait insatisfaisante. 46 % déclarent que leur revenu familial couvre les dépenses liées à leurs besoins fondamentaux, mais qu’ils ne sont pas en mesure d’épargner (ménages vivant avec le minimum vital), et 30 % que leur famille vit dans le besoin et l’indigence, car leurs revenus ne suffisent pas à couvrir les dépenses liées à leurs besoins. La plupart de ces familles ont recours à des aides et à l’emprunt pour satisfaire leurs besoins.
Description des revenus familiaux lors du sondage de 2017-2018, en comparaison de ceux des années précédentes
Quant aux relations inter-arabes, 77 % de l’opinion publique arabe est d’avis que les habitants du monde arabe forment une seule et même nation, même si les peuples arabes diffèrent les uns et autres, contre 19 % estimant qu’ils constituent des nations distinctes.
Perceptions des sondés quant aux habitants du monde arabe dans le sondage de 2017-2018, en comparaison de ceux des années précédentes
L’évaluation par l’opinion publique arabe de la politique de certaines puissances mondiales et régionales témoigne d’une absence de confiance. L’opinion publique porte ainsi un regard négatif sur la politique des États-Unis, de la Russie, de la France et de l’Iran dans le monde arabe. On note que cette évaluation est globalement plus négative dans le sondage de 2017-2018 que dans ceux des années précédentes, notamment en ce qui concerne la politique des États-Unis, qui a continué à chuter dans l’opinion arabe, sans doute en raison de la politique du président actuel, Donald Trump, dans la région.
Évaluation par l’opinion publique arabe de la politique étrangère de certaines grandes puissances et puissances régionales dans le monde arabe
Près de trois quarts des sondés jugent mauvaise la politique américaine à l’égard de la Palestine, la Syrie, l’Irak, la Libye et le Yémen, et les deux tiers de l’opinion publique pensent de même de la politique russe et iranienne à l’égard de ces pays.
Évaluation de la politique américaine à l’égard d’un certain nombre de causes nationales dans le monde arabe
Évaluation de la politique russe à l’égard d’un certain nombre de causes nationales dans le monde arabe
Évaluation de la politique iranienne à l’égard d’un certain nombre de causes nationales dans le monde arabe
S’agissant de la sécurité nationale dans les pays arabes, 67 % des sondés jugent qu’Israël et les États-Unis sont les pays les plus menaçants, contre 10 % estimant plutôt que c’est l’Iran qui est le pays plus menaçant. Dans le même registre, les sondés ont été questionnés sur les sources de menace pour la sécurité et la stabilité de la région. Les résultats témoignent d’un quasi-consensus (90 %) sur le fait que la politique israélienne menace la sécurité et la stabilité du monde arabe. 84 % de l’opinion publique est également d’accord pour dire que la politique américaine menace cette sécurité et cette stabilité, contre 66 % pour la politique iranienne, 57 % pour la politique russe et 45 % pour la politique française. Il est donc clair que l’opinion publique voit en Israël la plus grave menace pour la stabilité et la sécurité de la région.
Pensez-vous que la politique actuelle de ces puissances mondiales et régionales menace la sécurité et la stabilité de la région ?
Par ailleurs, les résultats du Baromètre de l’opinion arabe montrent que l’opinion publique arabe refuse quasi unanimement (à raison de 92 %) l’État islamique (Daech), contre 2 % déclarant avoir une perception très positive et 3 % une perception plutôt positive de l’organisation. Toutefois, ce regard positif ne semble pas découler d’une adhésion aux positions, à l’idéologie et au mode de vie proposés par Daech, car entre ceux qui approuvent la séparation du religieux et du politique et ceux qui y sont opposés, le pourcentage de sondés ayant un point de vue positif sur l’État islamique est quasi équivalent.
Il apparaît clairement que le regard positif porté par certains sur Daech s’explique par une réaction politique à l’évolution de la situation dans le monde arabe et dans la région. Ainsi, si près d’un tiers des sondés affirment que l’instrumentalisation de la religion est ce qui fait la force de Daech parmi ses partisans, plus de la moitié de l’opinion publique estime que ce sont des facteurs d’ordre politique qui lui confèrent cette force.
D’une manière générale, avez-vous une perception positive ou négative de l’organisation de l’État islamique (Daech) ? (pourcentage de sondés ayant entendu parler de Daech)
Tendances de l’opinion publique vis-à-vis de l’organisation de l’État islamique, entre partisans et opposants à l’idée selon laquelle « [dans l’intérêt du pays étudié], il vaut mieux séparer le religieux du politique »
D’après les résultats du sondage, 42 % de l’opinion publique estime que les facteurs qui conduisent les individus à rejoindre les rangs de Daech sont d’ordre économique (le chômage, la pauvreté), politique (la dictature, la répression) et sociétal (les inégalités, la marginalisation). Environ 18 % des sondés citent également la propagande et le lavage de cerveaux.
Les avis émis par l’opinion arabe quant aux facteurs et aux causes de l’émergence de Daech et aux raisons qui poussent des individus à rejoindre ses rangs indiquent clairement qu’ils penchent pour des explications socio-politiques : plus de la moitié des sondés estiment que les principaux atouts de Daech auprès de ses partisans sont des facteurs politiques liés à la situation actuelle de la région, tandis qu’un tiers citent des facteurs religieux.
L’opinion publique a des points de vue bien déterminés sur les mesures qu’il convient de prendre pour éradiquer le terrorisme et l’organisation de l’État islamique. 18 % pensent qu’il faut intensifier l’effort militaire contre Daech, 17 % sont d’avis qu’il faut mettre fin à l’ingérence étrangère, 13 % estiment qu’il faut résoudre la question palestinienne et 12 % affirment que soutenir le processus de transition démocratique dans les pays arabes est la première mesure à prendre si l’on veut éradiquer le terrorisme et l’État islamique. D’une manière générale, l’opinion publique arabe est d’avis que faire face au terrorisme signifie adopter un ensemble complet de mesures politiques, économiques, sociales et militaires.
Tendances de l’opinion publique quant à la première et à la seconde mesures à prendre pour éradiquer le terrorisme, l’organisation de l’État islamique et les autres organisations similaires dans la région
D’après les résultats du sondage, 87 % des citoyens du monde arabe refusent de reconnaître l’État d’Israël. Ils justifient leur position par un certains nombres d’éléments liés pour la plupart à la nature coloniale, xénophobe et expansionniste d’Israël. Les résultats montrent que leur avis n’est pas motivé par des considérations culturelles ou religieuses.
Tendances de l’opinion publique arabe quant à la reconnaissance d’Israël par leurs pays dans le sondage de 2017-2018, en comparaison de ceux des années précédentes
Raisons invoquées par les sondés qui s’opposent à la reconnaissance d’Israël dans le sondage de 2017-2018, en comparaison de ceux de 2016, 2015 et 2014
Concernant l’internet, on constate que son usage progresse : seulement 31 % des sondés disent ne pas utiliser l’internet, contre 68 % qui déclarent l’utiliser. 82 % des usagers de l’Internet possèdent un compte Facebook, 26 % ont un compte Twitter et 39 % un compte Instagram.
72 % des usagers des médias sociaux s’en servent pour avoir accès à l’actualité et à des informations d’ordre politique – 34 % les consultent plus d’une fois par jour. 57 % des personnes ayant des comptes sur les réseaux sociaux s’y connectent pour exprimer leur opinion sur l’actualité politique – 21 % le font quotidiennement, voire plusieurs fois par jour. Enfin, 53 % s’y connectent pour réagir sur des questions politiques – 19 % le font quotidiennement, voire plusieurs fois par jour.
La société qui utilise le moins les médias sociaux pour réagir sur des questions politiques est la société saoudienne. 83 % des usagers de l’internet déclarent utiliser l’arabe pour le consulter, la deuxième langue utilisée étant l’anglais (43 % des usagers).
Usage de l’internet
Sondés déclarant avoir un ou plusieurs comptes sur les réseaux sociaux
Fréquence de l’usage des médias sociaux dans le but de réagir sur une question politique
Suivez-vous l’actualité politique sur les sites internet ou les réseaux sociaux des chaînes satellitaires ?
Première et deuxième langues les plus utilisées pour consulter l’internet
(traduction de l’arabe par Stéphanie Dujols)