TABLE RONDE 1 | Urbanité, migration et cosmopolitisme
30 septembre 2021 de 14h à 16h
Les villes méditerranéennes portuaires telles que Beyrouth et Alexandrie ont longtemps constitué des espaces cosmopolites incontournables. Dominées historiquement par le modèle de coexistence communautaire mis en place par l’empire ottoman, elles se sont construites comme des systèmes urbains complexes ouverts aux valeurs universelles et au monde extérieur. Les habitants du Proche-Orient incarnaient donc cette condition de « cosmopolitisme urbain » (Mermier, 2021), et évoluaient dans des espaces publics composant un véritable « carrefour culturel ».
Le développement du capitalisme et les phénomènes de globalisation et de mondialisation ont ensuite fortement accéléré la libre circulation des hommes et des marchandises. Si pendant longtemps, cette circulation transnationale était réservée aux élites des pays du Nord, elle s’est progressivement sudifiée, s’ouvrant aux classes moyennes et populaires. Aujourd’hui, de nombreuses villes arabes sont devenues des destinations attractives pour l’immigration et accueillent des flux plus ou moins importants de travailleurs. Dans les centres urbains des villes arabes, qui constituent des espaces de rencontres entre différentes communautés, classes sociales, genres et religions, se développe désormais un cosmopolitisme urbain non réservé aux élites des classes supérieures.
Les villes du Golfe sont des exemples à la fois paradigmatiques et paradoxaux de ce phénomène puisqu’elles promeuvent des formes de cosmopolitisme en contexte d’exclusion des étrangers (Thiollet & Assaf, 2020). Le nombre d’étrangers y dépasse largement celui des citoyens. Au Qatar et aux Émirats arabes unis, 89 % de la population est composée d’immigrés. Hormis le fait que ces travailleurs ne peuvent accéder à la citoyenneté de leurs pays d’accueil, leur visibilité dans l’espace urbain demeure restreinte. Les espaces urbains sont fortement ségrégués et hiérarchisés. Cette ségrégation se manifeste d’autant plus en ce qui concerne l’habitat. Ainsi, se sont développées depuis le début du XXIe siècle, des « gated communities » (Blakely & Snyder, 1997) réservées aux classes supérieures, des quartiers ouverts ou fermés plus divers ou communautaires, et des camps de travailleurs pour les immigrés. Ces zones de relégation, sont souvent surpeuplées et présentant de nombreux problèmes notamment dans l’accès aux soins et aux services, ces camps posent aussi la question de la dignité du logement. Au sein de rares espaces publics ou dans les malls pourtant, les communautés peuvent se rencontrer, sans nécessairement interagir (Thiollet & Assaf 2021).
Pourtant les métropoles du Golfe sont aussi des espaces cosmopolites à la fois en pratique et dans les discours publics. Malgré les discriminations et la ségrégation urbaine, beaucoup de pays arabes utilisent en effet la rhétorique cosmopolite et d’ouverture sur le monde comme faisant partie intégrante de l’« universalisme islamique », de modernité urbaine et de tolérance (Thiollet & Assaf, 2020. La mise en avant de la diversité joue aussi un rôle de marketing international des villes (Pagès, 2021). Pourtant, la réalité des migrants et l’inégal accès au logement, aux droits, aux aspirations mettent en tension la notion de cosmopolitisme.
L’objectif de cette table ronde est de permettre une analyse comparative de ces villes de la mondialisation et de saisir les différentes formes de cosmopolitisme qui s’y déploient, tout en mettant ce phénomène en perspective avec les réalités migratoires.
- Comment la ville et l’urbanisme peuvent être des vecteurs de cosmopolitisme et/ou de ségrégation ?
- Comment le cosmopolitisme façonne-t-il l’espace urbain des villes arabes ?
- Entre cosmopolitisme ségrégué et cosmopolitisme de consommation, quelle place pour la question de l’égalité citoyenne dans les villes arabes ?
- Quelle est la face cachée du cosmopolitisme des villes arabes ?
Programme de la première table ronde
Modération : Roman STADNICKI
Franck MERMIER, CNRS /IRIS, Réflexions sur les cosmopolitismes urbains dans l’espace arabe
Hélène THIOLLET, CNRS / Sciences Po-CERI, Le cosmopolitisme en Arabie Saoudite
Delphine PAGÈS, Dubaï : une urbanité cosmopolite d’un nouveau type ?
TABLE RONDE 2 | Urbanité, mobilité et accès au logement
1er octobre 2021 de 14h à 16h
Dans de nombreux pays du monde arabe, l’arrivée de migrants et de réfugiés s’est traduite par le développement de quartiers populaires en périphérie des grandes villes et la mise en place de camps pour les réfugiés. C’est le cas au Liban, où la ségrégation institutionnalisée par l’État libanais exclue et marginalise ces communautés (Doraï, 2008). Mais loin de constituer de simples espaces de relégation, ces quartiers sont devenus des espaces connectés à leur environnement et font aujourd’hui partie intégrante de la ville (Doraï, 2020). Cependant, les conditions de vie et de logement y demeurent encore très précaires. En effet, la surpopulation de ces quartiers et des camps de réfugiés pose avec acuité la question du logement digne. Dans beaucoup de pays de la région MENA, la crise de la Covid-19 a mis en exergue cette surpopulation combinée à l’insalubrité des logements de ces quartiers, entrainant une diffusion importante du virus dans ces espaces.
Si certains États arabes comme le Liban, ont été incapables de répondre par des politiques urbaines et de construction de logements aux besoins des migrants et des réfugiés, la question n’en demeure pas plus facile pour les autres États de la région, même les moins touchés par les migrations. En effet, les évolutions démographiques dans les villes arabes depuis les années 1960 ont été marquées par une croissance considérable de la population entre hausse des naissances et l’exode rural. Beaucoup d’États ont alors rencontré des difficultés à assurer une croissance urbaine adaptée aux nouveaux besoins de leurs populations. Ces circonstances ont mené au développement de quartiers non planifiés par les autorités d’une part, et à des politiques d’attraction des investissements privés d’autre part.
Ainsi, la Tunisie a dès les années 1970, délégué son système de production au profit de lotisseurs et promoteurs privés (Ben Othman & Turki, 2020). En parallèle à cela, l’État a mis en place de véritables plans de logement sociaux en investissant la réhabilitation des quartiers populaires. Cette politique s’est avérée stratégique dans la mesure où la construction de logements sociaux permettait d’absorber les revendications populaires. En Syrie, au contraire, depuis le début du conflit, les lois et politiques de logements sont utilisées par le régime afin de déposséder et de déterritorialiser les dissidents (Clerc, 2021 ; Yazigi, 2017). Aujourd’hui, les politiques urbaines de reconstruction servent à la répression et à la marginalisation des opposants politiques en même temps qu’à l’éradication des quartiers non autorisés, qui, largement développés avant-guerre, se sont encore étendus depuis. L’État tente ainsi, malgré le manque d’investissements et les résistances des habitants, de mettre à profit les destructions de la guerre afin de déplacer des populations et transformer les structures foncières et de propriété (Clerc, 2020).
A travers différentes études de cas, cette table ronde propose d’interroger la question du logement dans le monde arabe. Habitants de classe moyenne, néo-urbains, migrants ou réfugiés, l’accès à un logement digne reste pour de nombreuses personnes dépendant d’un réel changement politique.
L’objectif de cette table ronde est de permettre une analyse comparative sur la question du logement au Maghreb et au Machrek, tout en mettant ce phénomène en perspective avec les crises politiques et les mouvements migratoires.
- Comment expliquer l’absence de véritables politiques d’urbanisation et de logement dans les villes du monde arabe ?
- Comment expliquer la pérennisation et le développement de quartiers précaires de manière systém(at)ique autour des grandes villes ?
- Quel est l’impact des crises politiques régionales et des migrations sur les politiques de logement dans le monde arabe ?
- Comment expliquer la présence de logements sociaux au Maghreb et leur relative absence au Machrek ? Peut-on considérer le logement social dans ces pays comme un outil de légitimation du pouvoir et de l’autoritarisme ?
Programme de la deuxième table ronde
Modération : Pierre SIGNOLES
Kamel DORAÏ, CNRS / IFPO, Du camp à la ville. Marginalisation et précarité de l’habitat des réfugiés au Proche-Orient
Valérie CLERC, IRD / CESSMA, L’urbanité déniée : politiques d’informalisation urbaine et de reconstruction en Syrie
Hend BEN OTHMAN, Université de Carthage, Les politiques de l’habitat post 2011 : Des modalités de régulation renouvelées ?
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