11/02/2019

Dissolution de la Knesset : les soupçons de corruption visant Netanyahou pourraient-ils affecter les résultats des élections anticipées ?

Dissolution de la Knesset : les soupçons de corruption visant Netanyahou pourraient-ils affecter les résultats des élections anticipées ?

Introduction

Le 26 décembre 2018, le Parlement israélien a voté sa dissolution sous l’impulsion de la coalition au pouvoir et programmé des élections législatives anticipées pour le 4 avril 2019. Cependant, la perspective de ces élections est entachée par la recommandation conjointe de la police et du parquet israéliens d’inculper le Premier ministre et chef du Likoud Benyamin Netanyahou dans trois affaires criminelles – dont deux de corruption. Cette recommandation a récemment été soumise au procureur général Avichai Mandelblit, à qui revient la décision[1]. C’est la première fois dans l’histoire d’Israël qu’un premier ministre, qui plus est chef du plus grand parti du pays, se présente aux élections législatives alors que le parquet vient de recommander son inculpation. Malgré tout, les sondages indiquent que le « Camp national » mené par le Likoud se taillera la part du lion lors de ces élections anticipées.

Le système électoral

Le régime politique israélien est parlementaire. Depuis 1948, la plupart des gouvernements israéliens ont été la résultante de coalitions, aucun parti n’ayant jamais réussi à obtenir la majorité absolue à la Knesset, qui compte 120 sièges. La nature du système électoral israélien encourage la pluralité des partis, car il repose sur une représentation proportionnelle intégrale, de sorte que l’État constitue une seule conscription électorale. Chaque parti parvenant à franchir le seuil électoral obtient une représentation parlementaire proportionnelle au pourcentage de suffrages qu’il a remportés. Relativement bas, ce seuil a permis à beaucoup de petits partis de siéger à la Knesset. De 1948 à 1992, il ne s’élevait qu’à 1% des voix. Il est passé ensuite à 1,5 %, puis à 2 % au moment des élections de 2006, avant d’être établi à 3,25 % en 2013.

 

Unité d’analyse politique

de l’ACRPS

L’Unité d’analyse politique est un département du Arab Center for Research and Policy Studies (Doha) consacré à l’étude de l’actualité dans le monde arabe. Elle vise à produire des analyses pertinentes utiles au public, aux universitaires et aux décideurs politiques de la région et du reste du monde. En fonction des questions débattues, elle fait appel aux contributions de chercheurs et de spécialistes du ACRPS ou de l’extérieur. L’Unité d’analyse politique est responsable de l’édition de trois séries de publications scientifiques rigoureuses : Évaluation de situation, Analyse politique et Analyse de cas.

Le quatrième mandat de Netanyahou

À ce jour, Benyamin Netanyahou a dirigé quatre gouvernements, dont trois consécutifs depuis 2009 – le premier mandat qu’il a assumé ayant été de 1996 à 1999. Il semble déterminé à poursuivre avec un cinquième mandat à la tête du gouvernement israélien.

Formé en mai 2015, le quatrième gouvernement de Netanyahou réunit cinq partis de droite et d’extrême-droite : son propre parti, le Likoud ; le parti Kulanu, dirigé par Moshe Kahlon ; le Foyer juif de Naftali Bennett ; le parti ultraorthodoxe séfarade Shas ; le parti ultraorthodoxe ashkénaze Judaïsme unifié de la Torah. Ces cinq formations se rejoignent sur un grand nombre de points : leur rigidité dans les négociations avec l’Autorité palestinienne, leur soutien à la colonisation ou encore l’affirmation du caractère national juif de l’État au détriment de son caractère démocratique. La première année, ce gouvernement reposait sur une base parlementaire de seulement 61 membres parce qu’Avigdor Lieberman, chef du parti Israel Beitenou, avait refusé de rejoindre la coalition en raison d’un conflit personnel avec Benyamin Netanyahou. Il a fallu attendre mai 2016 pour qu’il accepte d’entrer au gouvernement, où il a obtenu le portefeuille de la Défense. Il a fini par démissionner le 14 novembre 2018, prétextant un désaccord avec le Premier ministre et le Cabinet de sécurité sur la politique d’Israël à l’égard de Gaza. Les analystes politiques s’accordent toutefois à dire qu’il cherchait avant tout à rehausser la popularité de son parti afin d’accroître ses chances aux prochaines élections législatives[2].

Malgré la crise causée par le départ de Lieberman, Netanyahou a réussi à maintenir son gouvernement au prix d’intenses tractations avec les dirigeants des partis de la coalition, tractations au cours desquelles il a invoqué des raisons de sécurité nationale sans toutefois les préciser – il est apparu par la suite qu’il faisait allusion à la date décidée par le gouvernement israélien pour s’occuper d’un certain nombre de tunnels creusés par le Hezbollah à la frontière libano-israélienne. Mais le gouvernement Netanyahou n’a pas tardé à faire face à une nouvelle crise, lorsque la coalition a échoué à statuer sur un projet de loi sur le recrutement des Juifs ultra-orthodoxes dans l’armée israélienne, du fait du désaccord entre les deux ailes du parti du Judaïsme unifié de la Torah, et parce que les partis Yesh Atid (dirigé par Yair Lapid) et Israel Beitenou (dirigé par Avigdor Lieberman) ont fini par retirer leur soutien à ce projet – après avoir fait pression pour qu’il soit adopté – afin d’embarrasser Netanyahou et de faire tomber son gouvernement.

Pourquoi un scrutin anticipé ?

Plusieurs facteurs ont conduit Benyamin Netanyahou, avec l’accord de sa coalition, à avancer la date des élections législatives. Tout d’abord, le Premier ministre a pensé que le procureur général, Avichai Mandelblit, qui est également chef du parquet, n’aurait pas le temps en trois mois de se prononcer sur les affaires criminelles dans lesquelles il est cité. Il s’est dit qu’il prendrait vraisemblablement sa décision dans les semaines qui suivraient l’annonce des résultats des élections de la Knesset. Netanyahou espère probablement que le procureur général s’abstiendra de l’inculper. Rappelons que le chef du gouvernement a nommé Avichai Mandelblit procureur général aussitôt après qu’il a occupé le poste de secrétaire du cabinet, ce qui avait suscité à l’époque de vives critiques, car l’on craignait que les liens étroits que le procureur entretenait avec le Premier ministre n’entachent l’intégrité de son travail dans les affaires susceptibles de viser ce dernier.

Tout en clamant à maintes reprises son innocence, Benyamin Netanyahou a clairement fait savoir qu’il ne démissionnerait pas de son poste de chef du gouvernement s’il faisait l’objet d’une inculpation, d’autant qu’il n’a pas d’obligation légale de le faire. Il espère que, si la question lui est soumise, la Cour suprême d’Israël n’interviendra pas pour le contraindre à démissionner une fois qu’il aura gagné la confiance des électeurs, d’autant que la composition de la Cour suprême a nettement évolué à l’avantage de la droite ces dernières années.

Par ailleurs, ces élections anticipées compliquent la tâche de l’opposition de centre-gauche. Minée par des dissensions entre les différents partis, affaiblie, elle aura du mal à former la large coalition que nombre de ses anciens dirigeants, tels Ehud Barak et Tsipi Livni, appellent de leurs vœux. L’opposition n’est pas parvenue à unifier son discours, ni à proposer une alternative idéologique et politique à Netanyahou, ni à faire émerger un ou plusieurs dirigeants dont la popularité rivaliserait avec celle dont il jouit depuis 2009, dans une société israélienne perméable à la démagogie nationaliste et face à des pressions arabes et régionales ambiguës, alors que, malgré la poursuite de l’occupation, l’image d’Israël s’améliore dans le monde, qui la perçoit comme un modèle de stabilité et de développement. Netanyahou a déjà gagné trois élections législatives consécutives et les soupçons qui pèsent sur lui n’ont pas eu d’impact négatif sur sa popularité.

Les points forts de Netanyahou

Au cours de la dernière décennie, Benyamin Netanyahou, son parti et son « Camp national » se sont employés à accélérer le glissement des valeurs et de l’opinion politique de la société israélienne vers la droite et l’extrême-droite. Il s’est également appliqué à redessiner les frontières de la démocratie en Israël, à limiter l’opposition et à redéfinir le consensus national en accord avec les préceptes de base de l’idéologie d’extrême-droite. Globalement, le gouvernement Netanyahou n’a cessé d’intensifier la mise en œuvre d’un agenda d’extrême-droite dans la société, l’État et les Territoires occupés, dans un contexte régional de moins en moins contraignant, sachant que la pression des pays arabes est en nette régression. Il a mené une politique d’agression envers les Palestiniens des Territoires occupés comme ceux vivant à l’intérieur de la Ligne verte et adopté des lois racistes, expansionnistes, anti-démocratiques et anti-égalitaires. Ces lois servent les objectifs de l’extrême-droite, et en premier lieu celles qui favorisent l’annexion rampante des Territoires occupés, en renforçant la colonisation juive, en légalisant les « colonies sauvages » illégales au regard même du droit israélien et en appliquant ce dernier à l’ensemble des colonies israéliennes – considérées comme illégales par la communauté internationale. Il n’a pas hésité non plus à promulguer une loi controversée définissant Israël comme « État-nation du peuple juif ».

Au cours des quatre dernières années, le gouvernement Netanyahou a réussi de façon assez remarquable à étendre le contrôle de la droite et de l’extrême-droite sur les centres de pouvoir et d’influence au sein de la société comme de l’État – économie, services de sécurité, police, médias, Cour suprême, appareil judiciaire, parquet, système éducatif, universités –, et ce aux dépens des « élites modérées » et de la gauche sioniste[3].

Outre ces succès remportés sur le plan intérieur, Netanyahou a également réalisé des progrès significatifs en matière de relations extérieures, notamment avec les États-Unis de Donald Trump et les pays arabes. Parmi ses plus grands succès se trouvent la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël par les États-Unis, le transfert de l’ambassade américaine de Tel Aviv à Jérusalem et le retrait des États-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien. Par ailleurs, Netanyahou a entrepris de normaliser – du moins officieusement – les relations d’Israël avec un certain nombre de pays arabes, en premier lieu l’Arabie Saoudite, et de renforcer l’alliance tacite entre Israël et les États arabes contre la menace de l’islam radical, du terrorisme et de l’Iran. Il faut ajouter à cela un contexte régional fragilisé par l’intensification des conflits internes et entre États dans le monde arabe, et la consolidation des forces contre-révolutionnaires dans nombre de pays arabes, qui prônent avec plus d’audace que jamais la normalisation des relations avec Israël, sans même exiger la fin de l’occupation israélienne, tout en opprimant de plus en plus leurs propres populations. Par ailleurs, les Palestiniens n’ont toujours pas réussi à mettre fin à leurs divisions, ni à développer une stratégie pour amener Israël à payer le prix de la poursuite de l’occupation et de la colonisation.

Alliances et équilibre des forces

Les listes des partis politiques qui se présenteront aux élections législatives d’avril ne sont pas encore finalisées. On peut encore s’attendre à des scissions internes, à des défections ou à la formation de nouvelles listes conjointes. Ces derniers mois, l’idée de former une liste commune de partis de gauche et du centre a émergé, dans le but de contrer le « Camp national » mené par Netanyahou. La formation d’une liste commune de partis de droite et d’extrême-droite a également été envisagée, mais avec moins de détermination. Si ces deux possibilités semblent aussi complexes à mettre en œuvre, elles ne sont pas à exclure totalement. Mais quoi qu’il en soit, la droite reste le camp le plus fort et une alliance centre-gauche aura toujours du mal à décrocher la majorité.

Ces derniers jours sont survenus trois développements notables qui auront des répercussions sur les élections législatives. Premièrement, l’émergence d’un important bloc politique mené par Benny Gantz, l’ancien chef d’état-major israélien. Ce dernier vient en effet de créer un nouveau parti, nommé Résilience pour Israël, avec lequel il compte se présenter aux élections comme candidat indépendant. Il se positionne au « centre » de l’échiquier politique, ce qui correspond en Israël à la droite laïque.

Le deuxième événement qui a créé la surprise a été l’annonce par deux membres du parti du Foyer juif (son chef, le ministre Naftali Bennett, et la ministre Ayelet Shaked) qu’ils se retiraient du parti pour créer une nouvelle formation appelée la « Nouvelle droite », qui se positionne à l’extrême-droite de la scène politique. L’objectif de ce parti est d’élargir sa base populaire pour qu’elle englobe à la fois des laïques et des religieux qui partagent des opinions ultra-nationalistes, notamment en ce qui concerne l’annexion par Israël de vastes portions de la Cisjordanie occupée. La création du parti de la Nouvelle droite a induit une plus grande fragmentation des partis d’extrême-droite, qui pourraient ne pas franchir le seuil électoral, à moins de constituer des alliances de dernière minute.

Troisième coup de théâtre, au début du mois de janvier 2019, le chef du parti travailliste Avi Gabbay a rompu l’alliance qui liait son parti avec celui de Tsipi Livni, le parti Hatnuah – les deux partis s’étaient présentés aux précédentes élections sous le nom de « Camp sioniste ». Cela signifie que le parti travailliste se présentera seul aux élections de la Knesset cette fois-ci. On ignore encore si la formation de Tsipi Livni se présentera seule elle aussi, ou si elle fera alliance avec un ou plusieurs autres partis, ou encore si Tsipi Livni décide de ne pas prendre part à ces élections.

Sondages d’opinion

À ce jour, tous les sondages d’opinion israéliens prédisent que le Likoud et l’ensemble du « Camp national » de droite mené par Benyamin Netanyahou remporteront la majorité aux prochaines élections législatives. Cependant, les sondages indiquent également que certains partis, en particulier des petits partis d’extrême-droite, pourraient ne pas franchir le seuil électoral requis, ce qui compliquerait la tâche de Netanyahou, dans le cas où son camp gagnerait les élections, pour former une coalition confortable.

D’après divers sondages, le Likoud devrait obtenir entre 27 et 31 sièges à la Knesset, indifféremment des types d’alliances qui pourront se présenter dans le camp adverse. Le parti Yesh Atid, dirigé par Yair Lapid, obtiendrait entre 14 et 16 sièges, et le parti de la Résilience pour Israël, dirigé par Benny Gantz, entre 13 et 15 sièges. La liste arabe unifiée récolterait 12 ou 13 sièges et le « Camp sioniste », réunissant le parti travailliste d’Avi Gabbay et le parti Hatnuah de Tsipi Livni 8 ou 9 sièges (ces sondages ont été menés avant qu’Avi Gabbay rompe son alliance avec Tsipi Livni). Le parti de la Nouvelle droite, dirigé par Naftali Bennett et Ayelet Shaked devrait remporter entre 6 et 14 sièges et le parti Judaïsme unifié de la Torah (qui réunit les formations Degel HaTorah et Agudat Israel), 7 sièges. Le parti Koulanou de Moshe Kahlon obtiendrait entre 5 et 7 sièges, le parti Shas d’Aryé Dery et le parti Meretz auraient chacun entre 4 et 6 sièges et le parti Israel Beitenou 4 ou 5 sièges. Le parti Gesher, dirigé par la députée Orly Levi-Abekasis (qui a quitté le parti Israel Beitenou il y a plus de deux ans), devrait remporter 4 ou 5 sièges, tout comme le parti Foyer juif.

Conclusion

Il y a de fortes chances pour que les partis de droite et d’extrême-droite remportent la majorité aux prochaines élections législatives israéliennes. Si Benyamin Netanyahou est inculpé, son avenir politique dépendra premièrement de sa capacité à convaincre les dirigeants des partis de droite et d’extrême-droite de former un gouvernement sous sa direction, deuxièmement de la décision que prendrait la Cour suprême israélienne si la question de conserver son poste malgré une inculpation lui était soumise. Néanmoins, l’éventuelle démission forcée de Netanyahou devrait avoir peu d’impact sur l’équilibre des forces entre les partis. Quoi qu’il en soit, la campagne pour les prochaines élections législatives promet d’être aussi agitée que d’habitude. Traditionnellement, les conspirations et les coups bas sont de rigueur, et il ne fait pas de doute que les conflits personnels seront imbriqués dans des questions de sécurité nationale. Ce qui reste constant dans cet imbroglio, c’est la forte assise de la droite israélienne dans un environnement international particulièrement favorable. Actuellement, seul le conflit autour de l’influence et la transmission des affaires religieuses de l’État pourrait troubler la pérennité de cette assise – conflit que les parlements israéliens successifs parviennent chaque fois à éviter, mais qui détermine uniquement la configuration des coalitions de droite.

(traduction de l’arabe par Stéphanie Dujols)


Notes :

[1] Revital Hoval, « Le parquet israélien recommande l’inculpation de Netanyahou dans les affaires 4000 et 2000 », Haaretz, 19 décembre 2018, consulté le 1er janvier 2019 sur : https://www.haaretz.co.il/news/law/1.6763528

[2] Voir : « Crise du gouvernement israélien : qui sont les gagnants ? », Évaluation de situation, ACRPS, 25 novembre 2018, consulté le 1er janvier 2019 sur : https://bit.ly/2DIx5vN, traduit en français sur le site du CAREP Paris, le 12 janvier 2019 : https://www.carep-paris.org/publications/crise-du-gouvernement-israelien-qui-sont-les-gagnants

[3] Voir par exemple : Mordechai Kremnitzer, « Comment Bennett a pris le contrôle du Conseil de l’enseignement supérieur », Haaretz, 31 décembre 2018, consulté le 1er janvier 2019 sur : https://bit.ly/2GRJDnN