« Paris du Moyen-Orient ».
Cette épithète quasi-mythique, peut-être la plus célèbre de Beyrouth, reflète sans équivoque les fantasmes romantiques et orientalistes qui ont été attachés à la capitale libanaise depuis plus de sept décennies. Mais au-delà de ce portrait plutôt réducteur se dresse un autre constat, celui d’un témoignage populaire attestant de l’héritage parisien qui a été imposé à la ville depuis le début du vingtième siècle.
C’est donc dans le but de remonter aux sources de cet adage, condensé efficace de l’identité urbaine de Beyrouth, que cet article fait appel à une combinaison d’urbanologie, de sociologie des mouvements sociaux et d’histoire. Il se penche ainsi sur le discours matériel de Paris, sur la concrétisation urbaine des représentations et significations assignées à la capitale française au terme d’un processus socio-historique, avant de s’intéresser à la manière dont ce même discours a influencé celui de Beyrouth. Plus précisément, le travail à suivre identifie les mécanismes d’entrave au « droit à la ville[1] » des citadins parisiens et beyrouthins comme fil conducteur du continuum (post-)colonial, contre-révolutionnaire et préventif liant les deux capitales et leur discours matériel respectif.
Afin d’y parvenir, cet article se concentre dans un premier temps sur les récits hégémoniques de pouvoir ayant inscrit Paris dans des objectifs contre, voire, anti-révolutionnaires sous l’égide d’Haussmann et de ses grands travaux (1853-1870) en s’appuyant, par exemple, sur de larges avenues pour optimiser l’accès et le contrôle du centre-ville par les forces de l’ordre. Cet article étudie ensuite la façon dont ces mécanismes ont été transposés à Beyrouth lors du mandat colonial français au Liban (1920-1943), faisant de la capitale libanaise un pastiche ayant façonné l’urbanisme contre-révolutionnaire de sa forme post-coloniale et contemporaine, notamment sous l’impulsion du groupe Solidere au début des années 1990. C’est ce continuum répressif qui encourage d’ailleurs les Libanais et Beyrouthins à réclamer leur droit à la ville lors de la thawra de 2019, s’appropriant ainsi les espaces qui leur avaient été jusque-là confisqués.
Anaël Daoud Benattouche
Étudiante en master 2 « Droits humains et action humanitaire » à Sciences Po Paris, Paris School of International Affairs (PSIA).
Bien entendu, ce dialogue entre les deux villes ne devrait en aucun cas empêcher une lecture de Beyrouth « en [ses] propres termes[2] », mais cet article a délibérément fait le choix de se concentrer sur l’impérialisme français afin de comprendre comment sa modularité a informé la transnationalité, la réappropriation et la réarticulation de mécanismes préventifs urbains dans la capitale libanaise, contrecarrant par le potentiel contestataire de la ville et de ses habitants. Ce prisme d’analyse vise ainsi à proposer une lecture peu commune de la notion de mouvements sociaux, souvent articulée en termes de récits d’échecs ou de succès limités dans le temps et dans l’histoire.
État de l’art et méthodologie
En 1993, l’universitaire palestino-libano-américain Edward Saïd publie Culture et Impérialisme, essai qu’il conçoit comme « une tentative de faire quelque chose d’autre[3] » quinze ans après son fameux L’Orientalisme[4]. Bien que présenté comme la suite de ce dernier, son nouvel essai se distingue par son approfondissement de la notion de « culture » et la relation intrinsèque qu’entretiennent impérialisme, résistance et libération avec celle-ci. Saïd identifie ainsi la « culture » comme un objet double, à la fois ensemble de « pratiques » souvent esthétiques – il cite ici les arts de la description, de la communication et de la représentation[5] – et espace dans lequel récits impérialistes[6] et anti-impérialistes[7] s’affrontent, interagissent et se chevauchent. Utilisant le roman comme genre littéraire permettant d’exposer de telles dynamiques, avec un accent particulier mis sur la culture impérialiste, il écrit : « Le défi consiste à relier [les romans et autres livres] non seulement à ce plaisir et à ce profit, mais aussi au processus impérialiste dont ils faisaient manifestement et de manière non dissimulée partie […][8]. » Autrement dit, Saïd définit le roman comme un texte au sens barthésien du terme, c’est-à-dire un ensemble de signes pouvant être lus comme signifiants – comme substances explicites – et comme signifiés[9], comme des messages implicites : dans le cas présent, ces signes reflètent et perpétuent les récits et discours impérialistes occidentaux, et ce longtemps après « l’âge d’or des empires ».
Au-delà de cet exemple plutôt évident qu’est le roman, un autre objet est utilisé comme prisme permettant d’étudier « l’interpellation de la culture[10] » par les discours impérialistes, un objet qui sera au centre de cet article : la ville. L’idée de la « ville comme texte[11] » n’est pas nouvelle, ayant déjà fait l’objet d’une littérature fournie en géographie culturelle et humaine, études de patrimoine[12] ou urbanisme[13]. Pourtant, dans ces cadres analytiques précis, « la ville en tant qu’espace physique vécu [ou signifiant] et la ville en tant qu’ensemble complexe de connaissances, de mémoires et de représentations partagées [ou signifié][14] » ont souvent été étudiées comme deux objets distincts alors même que leur dialogue demeure le seul moyen d’assurer une interprétation significative des récits qu’elles contiennent. En fait, la ville représente « une série de discours ou de formations discursives intégrés mais opposés[15] » qui mobilisent l’urbanisme et la culture urbaine de la même manière qu’ils interpellent le roman et la « culture », au sens saïdien du terme. En bref, ces discours se matérialisent constamment dans l’espace urbain, faisant de la ville un objet lisible au travers duquel ils peuvent être interprétés mais aussi construits, légitimés et perpétués. C’est sur la base de cette observation que cet article a été conçu.
Hormis les deux études de cas choisies ici, ce dernier ne s’attardera pas sur la relation épistémologique liant discours et pouvoir : la littérature existante sur le sujet en a déjà fait un guide analytique de référence[16]. Comme évoqué plus haut, cet article se penche tout d’abord sur le discours matériel de Paris dont la lecture révèle l’intégration, dans le tissu urbain, de récits hégémoniques au service des élites impériales et bourgeoises, concrétisés et maintenus dans le temps et dans l’espace par les mécanismes contre-révolutionnaires et anticipatifs d’Haussmann. C’est ce même discours matériel parisien qui a ensuite été transposé à Beyrouth par l’impérialisme français, permettant ainsi la reproduction et la réappropriation d’un urbanisme préventif au profit des élites libano-beyrouthines.
L’urbanisme des deux villes est ainsi lié par un effort conscient d’entrave au droit à la ville des citadins, c’est-à-dire une exclusion délibérée de leur droit à jouir de l’espace urbain comme d’un bien commun, à contribuer à son aménagement. Il s’inscrit donc dans la lignée fonctionnaliste critiquée par Henri Lefebvre à la fin des années 1960 pour sa transformation de la ville industrielle en une réalité urbaine privilégiant circulation, productivité, marchandisation ou encore spéculation. Dans le Droit à la Ville[17], le chercheur français conceptualise plutôt l’espace urbain comme un produit à la fois tangible – fait de murs, de routes ou d’espaces verts – et intangible, fait d’échanges, de rencontres ou de pratiques. De cette interaction entre matériel et social naissent trois rapports à l’espace – perçu, conçu et vécu – qui, bien que différents, demeurent complémentaires. L’espace perçu désigne ainsi « la perception quotidienne de l’espace par ceux qui l’habitent[18] », ici, les Parisiens ou les Beyrouthins. L’espace conçu fait référence aux « constructions abstraites et techniques de l’espace, souvent associées aux entreprises, [aux urbanistes] et aux promoteurs[19] », tels qu’Haussmann à Paris ou Solidere à Beyrouth. Enfin, l’espace vécu fait se rencontrer perception et conception, créant parfois des tensions ou révélant une dissonance entre les deux. C’est en tout cas ce que met en évidence la lecture du discours matériel des deux capitales puisque l’espace conçu, privilégiant la protection des élites, a pour but d’entraver l’espace perçu de la majorité des citadins au moyen de mécanismes urbains contre-révolutionnaires et préventifs régulant leur droit d’accéder à la ville, de l’imaginer et d’y contribuer. En bref, la pratique de ces deux espaces aux objectifs différents entre en conflit au sein de l’espace vécu.
De fait, le continuum oppressif liant Paris à Beyrouth s’inscrit dans le cadre théorique du sociologue néerlandais Ruud Koopmans. En effet, ce dernier rejette toute approche classique des mouvements sociaux puisque celles-ci ignorent « le fait le plus fondamental de l’action collective, [à savoir] sa connexité, à la fois historique et spatiale, et avec d’autres instances d’action collective d’un type similaire, ainsi qu’avec les actions de différents revendicateurs tels que les autorités et les contre-mouvements […][20]. » Autrement dit, Koopmans place les actions collectives dans un contexte spatio-temporel donné dont l’enracinement apparent n’empêche pas leur capacité à interagir les unes avec les autres, à travers le temps et l’espace. Bien au contraire, les travaux de recherches les plus récents réfutent l’idée selon laquelle les mouvements sociaux ne seraient que de simples événements spontanés et indépendants déclenchés par des foules irrationnelles, soutenant plutôt une conceptualisation en termes de vagues et de processus mobilisant des liens sociaux forts[21]. De plus, ni modèle généraliste ni modèle culturaliste ne saurait invalider la pertinence d’une analyse spécifique au temps et à l’espace, mettant l’accent sur les particularités et les complexités d’un champ d’application donné : ce constat est d’autant plus vrai lorsqu’il s’agit d’étudier les mouvements sociaux d’Asie du Sud-Ouest et d’Afrique du Nord.
Cela étant dit, la prudence légitime entourant les schémas essentialistes ne devrait pas remettre en question l’existence de « mécanismes de base qui restent relativement stables[22] » lors d’épisodes contestataires, quels que soient leurs protagonistes. Ces mécanismes ont d’ailleurs souvent été observés dans la relation entre diverses actions collectives, voire entre un mouvement social et son contre-mouvement. Pourtant, cette observation semble aussi concerner une autre relation, moins évidente, associant un claim-maker[23] inhabituel – par exemple, un contre-mouvement ou des autorités étatiques – à un autre, de même nature. Ce lien crée non seulement un continuum spatio-temporel entre répression politique et mouvements contre-révolutionnaires, mais aussi – et ce sera le sujet de cet article – entre leurs mécanismes préventifs, conçus pour contrecarrer le potentiel contestataire des mouvements sociaux : c’est le cas de Paris et Beyrouth, façonnées par des autorités aux objectifs similaires et aux stratégies partagées.
Reste à admettre qu’il y a ici une certaine ironie à mettre en évidence des discours hégémoniques impérialistes tout en utilisant des outils d’analyse discursifs notoirement eurocentriques. Le but n’est pourtant pas de renforcer la position de Paris comme « ville paradigmatique[24] », ni même de réduire Beyrouth à la « variation empirique d’un récit universellement applicable sur ce que sont la ville, l’urbain et l’urbanisation[25] ». Il s’agit plutôt de comprendre la façon dont colonialisme et impérialisme français ont permis le transfert des mécanismes urbains préventifs de Paris vers la capitale libanaise.
Paris, Haussmann et les mécanismes urbains préventifs
Paris comme révolution
En mettant fin à deux siècles d’Ancien Régime, l’année 1789 marque un tournant dans l’histoire de Paris et de sa représentation, faisant de la ville un espace résolument révolutionnaire. La Révolution française qu’elle inaugure ouvre la voie à un XIXe agité, passé à la postérité comme un siècle rythmé par de nombreuses transitions politiques. En effet, ce dernier est ponctué par pas moins de trois révolutions qui établissent autant qu’elles renversent deux empires, trois monarchies et autant de républiques en moins de cent ans : plus qu’une scène révolutionnaire, Paris « peut revendiquer la révolution comme son principe même[26]. » Tel est le constat fait par Maurice Agulhon qui, dans Paris, la traversée d’est en ouest[27], utilise la capitale française comme prisme au travers duquel explorer l’interaction entre mémoire collective, c’est-à-dire « la mémoire d’un groupe social née de la déformation puis de la fusion de ses mémoires individuelles[28] », et espace. D’après lui, l’imaginaire collectif français représente Paris comme un espace hybride juxtaposant et opposant l’est à l’ouest, les quartiers bourgeois aux zones prolétaires, les symboles militaires et napoléoniens aux symboles révolutionnaires et républicains. De fait, ces dichotomies remettent en question les représentations homogènes et « touristiquement consensuelles[les][29] » de la capitale française (ex. : Ville Lumière) mais renforcent également la construction de « l’ordre symbolique parisien[30] » aux côtés d’autres binarités telles que rive gauche/rive droite ou Paris/banlieue. Plus important encore, elles sont le produit direct de la rénovation urbaine de Paris, commencée au milieu du XIXe siècle.
Paris, Napoléon III et le baron Haussmann : le Second Empire contre-attaque
Entamée en 1853 par Napoléon III[31], alors Empereur des Français, et menée par le Baron Haussmann, préfet de la Seine de 1853 à 1870, la première vague de travaux publics marque durablement la capitale française. Paris observe ainsi des changements notables parmi lesquelles l’extension des frontières de la ville intégrant dès lors les communes de la banlieue proche[32], l’élargissement de la capitale qui passe de douze à vingt arrondissements, la multiplication par quatre de sa population, ou encore l’aménagement de places, parcs et Grands Boulevards[33]. Outre la visée esthétique, hygiéniste et moderniste invoquée par les autorités, Maneglier et Beaurain expliquent ces rénovations longues[34] et coûteuses[35] en ces termes :
« [E]n donnant du travail aux classes laborieuses pour leur éviter de redevenir dangereuses, il s’agissait aussi et à la fois de mettre fin et de régler leur compte à tous les maux endémiques de la capitale : le choléra (1832), l’habitat insalubre, le maintien de l’ordre (cinq insurrections entre 1832 et 1848 : d’où le souci de dégager les bâtiments publics et le siège du gouvernement et de faciliter en cas de besoin les opérations militaires), la criminalité, le chômage et la pauvreté […]. Un urbanisme donc à volonté ‘sociale’, hygiéniste et stratégique, spéculative aussi[36]. »
Autrement dit, cette première vague de rénovation urbaine démontre une volonté claire de dompter voire miner le potentiel contestataire de la ville et de ses habitants afin d’assurer les intérêts de l’élite politique impériale et, plus tard, des régimes républicains qui s’ensuivront.
Paris entre démolition et construction : contrôler la capitale pour faire circuler le Kapital
Compte tenu du contexte dans lequel s’inscrivent les travaux publics d’Haussmann – celui de l’industrialisation et, plus généralement, de ce que l’on pourrait qualifier de « mutation historique du capitalisme » –, les interprétations marxistes ont légitimement analysé l’urbanisme du XIXe siècle comme une « reconquête bourgeoise de la ville siège du pouvoir politique[37] », visant à rassasier l’appétit des thésauriseurs de Kapital[38]. C’est en tout cas ce qu’avance Henri Lefebvre qui définit l’urbanisme d’Haussmann comme une stratégie voire une idéologie politique, déguisée en plan d’avancement socio-économique à destination des Parisiens et du peuple français. Sous Napoléon III, Paris devient donc un espace conçu par les groupes dominants afin de prévenir et de contrer le potentiel contestataire de la ville, objectifs qui se dessinent clairement à la lecture d’un discours matériel parisien intrinsèquement et délibérément contre-révolutionnaire, produit par une combinaison de mécanismes de démolition et de construction.
Attardons-nous d’abord sur le premier de ces mécanismes puisque la rénovation urbaine de Paris est avant tout un projet de démolition visant les quartiers populaires et ouvriers, identifiés comme centres révolutionnaires par le pouvoir en place. Caractérisé par des rues étroites et discontinues, l’agencement de ces faubourgs crée un environnement propice à l’érection de barricades qui sont rapidement devenues une constante de l’action contestataire dans le Paris du XIXe : rien qu’au cours des vingt-cinq années précédant le règne de Napoléon III, elles sont au centre de neuf insurrections, essentiellement républicaines[39]. Ces soulèvements aboutissent à la Révolution française de février 1848 ainsi qu’aux journées de Juin, considérées aujourd’hui comme l’un des éléments déclencheurs de la rénovation impérialiste autoritaire de Paris[40]. En effet, d’après le sociologue américain Mark Traugott, les barricades de juin 1848 étaient principalement dirigées contre les élites dirigeantes depuis des quartiers populaires. Leur proximité avec les lieux symboliques du pouvoir[41] s’était déjà avérée menaçante pour les élites lors d’épisodes contestataires antérieurs.
De fait, il existe une continuité évidente dans les usages contestataires de Paris au cours du XIXe qui, bien que séparés dans le temps, construisent un discours matériel pré-Haussmannien résolument révolutionnaire. C’est sur ce fondement qu’est établie la privation du droit à la ville de bon nombre de Parisiens, entraînant l’exode périurbain d’au moins 350 000 d’entre eux, à la suite de la démolition de leurs logements. À cela s’ajoute la délocalisation des usines en banlieue, l’augmentation des loyers, la spéculation immobilière ou encore la destruction de lieux de divertissement populaires tel que le fameux boulevard du Crime[42]. En parallèle, cette re-sémantisation du discours matériel de Paris s’accompagne de la construction d’un centre-ville ordonné, rectiligne et spacieux, reconnaissable à ses immeubles en pierre de taille, à ses jardins et parcs paisibles, à ses grands magasins et autres lieux destinés à une clientèle bourgeoise : en bref, une ville que les institutions policières peuvent aisément contrôler et défendre, et dans laquelle la paix civile s’achète au prix d’une ségrégation sociale assurant le contentement consumériste d’une bourgeoisie inoffensive à proximité des lieux et espaces symboliques de pouvoir. Cette nouvelle conception de Paris fait de la capitale un espace vécu comme lieu d’oppression et d’entrave au droit à la ville des Parisiens, et sera transposée à Beyrouth dès le début du mandat français au Liban.
Beyrouth, le colonialisme français et les mécanismes urbains préventifs
Le Beyrouth haussmannien comme discours matériel (post-)colonial
Bien que marquée par des influences diverses[43], l’identité urbaine du Beyrouth contemporain est largement façonnée par le mandat français imposé de 1920 à 1943. En effet, l’ingérence de la France au Grand Liban dépasse le tracé arbitraire des frontières nationales du pays ou l’institutionnalisation d’un système politique consociatif. Dans les faits, la plupart des projets coloniaux menés dans le pays – si ce n’est tous – visent à assurer le monopole de la France sur le secteur économique et les services publics libanais[44]. C’est notamment le cas de la planification urbaine de Beyrouth qui fait de la ville un carrefour contemporain entre Est et Ouest avec, entre autres, l’expansion de son port et la création d’un aéroport international. Plus important encore, elle fait du modèle parisien – et, par là même, du discours matériel qui lui est associé – celui sur lequel fonder la restructuration de Beyrouth, en particulier dans les quartiers du centre-ville tels que Ras Beirut et Achrafieh[45]. Ainsi, le plan d’urbanisme de 1932 – aussi connu sous le nom de plan Danger – mène à la construction du quartier Foch-Allenby et à la recentralisation du paysage urbain autour de la place de l’Étoile, ou place Nejmeh, « constituée d’avenues larges et en étoile jalonnées de galeries[46] ». Ce nouveau centre-ville n’est donc pas sans rappeler son pendant haussmannien : tout comme la rénovation urbaine de Paris sous le Second Empire, celle de Beyrouth remplace le tissu médiéval par un ensemble spacieux et rectiligne, facilement contrôlable et défendable afin de permettre la mobilité et l’accumulation du capital autour des espaces de pouvoir. D’après l’historien libanais Fawwaz Traboulsi, la concentration des repères gouvernementaux et commerciaux :
« contribue au développement d’un secteur tertiaire dominé par une bourgeoisie marchande/financière, qui devient de plus en plus implantée dans le système mandataire. À cela s’ajoute l’expansion de l’enseignement, autre politique du mandat, qui favorise la création d’une classe moyenne destinée aux professions libérales et à la bureaucratie…[47] »
Autrement dit, le mandat français assure l’émergence d’une « classe moyenne nationaliste[48] » et d’une élite beyrouthine redevables à la puissance coloniale, dont la proximité garantit la mainmise de la France sur le Liban, et ce même après l’indépendance du pays en 1943. En termes d’urbanisme, cette analyse s’applique à l’ère chéhabiste des années 1950-1960[49] durant laquelle les projets coloniaux sont poursuivis et étendus en parallèle d’efforts constants pour remplacer l’ancienne garde urbaine[50] par une garde moderniste ou postmoderne[51]. Ces derniers s’avéreront limités à l’architecture, ne parvenant pas à enclencher un aménagement de l’urbain à vocation socio-culturelle. En revanche, la préservation et l’expansion de l’héritage colonial français de Beyrouth assurent la transnationalisation des discours matériels autoritaires et sécuritaires du Paris haussmannien. Cette continuité garantit ainsi la continuité et la réappropriation de leurs objectifs préventifs par l’élite libano-beyrouthine.
Sans surprise, la guerre de 1975-1990 – ou, comme l’appelle Traboulsi, les « guerres du Liban[52] » – engendre des dégâts considérables dans le centre-ville mais laisse sa partie haussmannienne relativement intacte. Dès le début des affrontements, Beyrouth est séparée entre Est[53] et Ouest[54], la ligne de démarcation traversant la ville du Nord au Sud. Ce redécoupage des frontières de la capitale ne peut être compris qu’en intégrant les multiples facettes d’une guerre dont la nature sectaire, confessionnelle et religieuse, ethnique et politique – entre autres – infiltre le discours matériel de la ville, et redéfinit, au-delà de l’urbain, le tissu même de la société libano-beyrouthine. Prenons ici l’exemple de la ligne verte qui, en découpant le centre-ville, transforme également ce dernier et ses environs immédiats en un no man’s land, c’est-à-dire un espace liminal – un entre-deux – séparant diverses factions et narrations. Il agit ainsi d’un espace figé dans le temps d’avant-guerre, permettant au « paysage colonial/du début des temps modernes de former un ensemble cohérent et d’exhiber un caractère urbain distinct en tant que noyau financier, gouvernemental et religieux du Beyrouth de l’après-guerre civile[55] ». D’une certaine manière, la gestion post-conflit de cet espace reflète la nostalgie d’avant-guerre et l’amnésie d’après-guerre qui apparaissent dans les années 1990 avant d’être institutionnalisées par la loi d’amnistie de mars 1991. Elle fait écho à la condition du Liban au lendemain du conflit, pays composé d’une multitude d’acteurs interconnectés dont la nature hybride – à la fois étatique et non étatique – s’appuie sur l’urbain pour gagner en souveraineté et en légitimité[56]. Cet assemblage d’intérêts publics et privés est d’ailleurs illustré par Solidere et sa gestion du centre-ville de Beyrouth puisque, là encore, la sécurisation des repères gouvernementaux et des institutions néolibérales[57] est assurée par l’usage de mécanismes haussmanniens préventifs, anticipatifs et contre-révolutionnaires.
Solidere et le centre-ville de Beyrouth après-guerre : une instrumentalisation de l’urbanisme colonial comme mécanisme contre-révolutionnaire
Au lendemain des accords de Taëf (1991), le partenariat public-privé Solidere lance un plan « d’investi[ssement] dans l’avenir d’une ville ancienne[58] », donnant ainsi à Beyrouth sa forme actuelle[59]. Bien que n’étant pas le premier projet urbain commandé par le Conseil du Développement et de la Reconstruction (CDR), le groupe laisse une marque permanente sur la ville en mettant en œuvre « une stratégie d’aménagement urbain rappelant le Paris du milieu du XIXe, appliquée pour la première fois à Beyrouth dans les années 1920, [mais] n’atteignant son plein potentiel que trois quarts de siècle plus tard[60] ». Le projet utilise en effet le cadre haussmannien des grands axes Foch-Allenby – et donc, le discours matériel qu’il renferme – comme base sur laquelle développer le centre-ville de Beyrouth (BCD). Le projet révèle ainsi une nostalgie de l’histoire coloniale de la ville, instrumentalisation claire du passé par les autorités servant, avant tout, à empêcher la mémorialisation des quinze années de conflit et à détourner l’attention de leur inaction dans le Liban d’après-guerre[61]. En outre, il offre une description fidèle à la réalité de l’État libanais post-Taëf, miné par une combinaison élaborée de sectarisme, de clientélisme et de corporatisme – entre autres – au service de seigneurs de guerre mafieux. L’existence même de Solidere illustre l’assimilation du public par le privé, avec un État qui abandonne sa capacité d’agir et ses prérogatives[62] aux intérêts des entreprises. Aussi appelée haririsme (en référence au fondateur de Solidere et futur Premier ministre Rafiq Hariri), cette dynamique transforme le centre-ville – son urbanisme et sa vie urbaine – en une scène néolibérale articulée autour de la promotion d’intérêts privés, scène qui demeure aujourd’hui encore principalement concernée par l’attraction, la mobilité et l’accumulation d’un capital transnational[63].
La rénovation haussmannienne du Paris impérial et celle du Beyrouth d’après-guerre affichent donc deux objectifs différents, mais des résultats similaires : tandis que le premier vise le contrôle du prolétariat sur lequel repose son industrialisation et sa « modernisation », et que le second se concentre davantage sur les « flux transnationaux de l’économie mondiale[64] », tous deux enfreignent directement le droit à la ville de leurs habitants. Ils produisent des discours matériels similaires reposant sur l’anticipation et la prévention du potentiel contestataire du centre-ville pour garantir son attractivité et, par là même, sa stabilité. Prenons par exemple le cas de Beyrouth dont la distribution spatiale des mécanismes de sécurité est particulièrement révélatrice. D’après la carte réalisée par le Beirut Urban Lab[65], la plus forte concentration de barrières à levage verticales, de rues sécurisées voire interdites, mais aussi de baraques policières, militaires et de sécurité privée concerne, en 2010, le BCD. Lue avec prudence, cette carte montre une délimitation claire des espaces et lieux de pouvoir, déterminés par leur nature étatique mais aussi, et surtout, par leur proximité avec le Kapital puisque l’État libanais d’après-guerre s’efface au profit d’entreprises. En outre, cette absorption du public par le privé renforce l’idée du BCD comme un non-lieu, c’est-à-dire un espace dans lequel individus et communautés ne trouvent ni identité, ni histoire, ni relations, un espace dans lequel ils restent anonymes et ne font que passer.
C’est ce même discours matérialiste que les Libanais transgressent lors de la thawra de 2019, se réappropriant l’espace qui leur avait été confisqué jusque-là. Cette exclusion urbaine, préméditée et contrôlée, est donc défiée par les citadins qui réclament on ne peut plus explicitement leur droit à la ville, à y accéder et y contribuer. Les manifestants beyrouthins descendent tout d’abord au centre-ville, se heurtant aux dispositifs contre-révolutionnaires et préventifs en place avant de parvenir à se rassembler sur Nejmeh ou sur la place des Martyrs. Jusque-là, l’accès y était restreint par un ensemble de mécanismes politiques, militaires, sécuritaires et sociaux entravant le droit des citoyens libanais et des habitants de Beyrouth à se déplacer librement dans le centre-ville. Ce contrôle s’appuyait en grande partie sur la planification haussmannienne de l’espace urbain, les deux places jouant le rôle de lieux de passage, de simples nœuds créés par la rencontre d’axes de mobilité et conçus pour les voitures plutôt que pour les piétons. Dans les années 1950, la place des Martyrs servait par exemple de centre de transports mais demeurait tout de même un lieu central de la vie collective beyrouthine abritant cafés, hôtels et cinémas. Avec Solidere, elle devient un ensemble confus d’espaces délaissés et de parking, entouré de grandes artères routières. De fait, la place des Martyrs présente des similitudes non négligeables avec la place de la République à Paris, à la fois par sa forme rectangulaire mais aussi par sa quasi-inaccessibilité aux piétons, du moins avant son réaménagement en 2013 et sa mémorialisation en 2015[66]. La place de l’Étoile, quant à elle, est un pastiche à taille réduite de son analogue parisien, imposant rond-point reliant douze avenues aux noms militaires et dirigeant chaque jour des milliers de voitures vers le périphérique ou la ville.
Avec la thawra de 2019, la place des Martyrs devient un épicentre à la symbolique redéfinie, accédant dès lors au statut de paradigme urbain et contestataire. Elle fait figure d’hétérotopie[67], d’espace dans lequel Libanais et Beyrouthins peuvent rompre avec le contrat social qui leur a été imposé afin de construire un imaginaire collectif en tant que citadin d’une part, et citoyen d’autre part[68]. En tant que citadin d’abord, puisque en se réappropriant la place, ils parviennent à revendiquer leur droit à (ré-)écrire les récits publics et urbains qui les ont jusque-là empêchés de construire un lieu dans le centre-ville. La place des Martyrs devient ainsi un centre artistique et culturel à ciel ouvert où street artistes, improvisés ou pas, recouvrent murs et autres surfaces de fresques engagées. L’espace sonore lui-même est revendiqué à coups de slogans, de chants, de récitations et de mégaphones. Plus qu’occupé, l’espace devient habité au moyen d’interactions constantes comprenant distributions de nourriture, ramassage des déchets ou débats en tout genre. La place et ses alentours accueillent ainsi une agora, des souks, une boîte de nuit ou encore un café, tant de lieux laissant entrevoir ce que la ville et son centre pourraient être s’ils étaient conçus pour et par tous ses habitants.
Ces répertoires d’action collective visent ainsi à contrecarrer la violence intégrée de la ville, à la rendre accessible, à réécrire ses récits et discours et à imaginer des alternatives à la réalité. Mais, au-delà de cette reconquête urbaine et citadine, ils font de cette hétérotopie un espace à partir duquel construire un imaginaire citoyen, à l’échelle nationale donc. On citera ici l’organisation quasi utopique de l’espace contestataire par divers acteurs de la société civile, ou encore les échanges organisés sous les tentes de la place des Martyrs ou dans l’Oeuf[69]. Peuvent également être mentionnés la mise en place d’ateliers éphémères de sérigraphie sur tissu ou papier[70], ou la diffusion digitale d’œuvres[71] permettant de transposer le momentum de la thawra dans le temps et dans l’espace[72]. En somme, cette réappropriation du centre-ville permet de rejeter l’espace conçu au cours du dernier siècle et de réinventer l’espace vécu, faisant de ce dernier un microcosme où imaginer une ville appartenant enfin à ses habitants, une capitale servant enfin ses citoyens. Plus important encore, elle s’inscrit dans un continuum clair marqué par la transgression du droit à la ville des Parisiens commencée au milieu du XIXe sous Haussmann avant d’être imposée aux Beyrouthins par le mandat colonial français puis par Solidere et l’État libanais : en bref, la mise en place de mécanismes contre-révolutionnaires et préventifs, visant à entraver le droit à la ville des Beyrouthins et des Libanais, aura paradoxalement encouragé la thawra de 2019, marquée par une revendication de l’espace public. Les crises sans précédent apparues depuis lors et l’explosion du 4 août auront, au contraire, transformé le centre en une grande friche commerciale, sorte de ville fantôme faisant écho à l’exode de milliers de Libanais et Beyrouthins forcés à l’exil par l’incompétence de leurs dirigeants.
Conclusion
Au terme de cet article, il ne fait aucun doute que Beyrouth mérite d’être lue « en [ses] propres termes[73] », une lecture allant au-delà des discours matériels autoritaires qui ont été imposés à ses habitants afin d’identifier la façon dont ils sont parvenus à contrecarrer, se réapproprier et reconstruire l’espace afin de créer de telles alternatives[74]. Malgré quelques mentions en dernière partie, cet article a toutefois choisi de se concentrer sur les récits hégémoniques de pouvoir, visant à entraver le droit à la ville des habitants, en faisant appel à un prisme d’analyse inhabituel alliant urbanologie et études patrimoniales. En étudiant leur matérialisation dans l’espace urbain, cet article a donc permis d’explorer des entités notoirement imperméables aux analyses et critiques des chercheurs tout en obtenant une lecture peu traditionnelle des mouvements sociaux transcendant temps et espace, privilégiant prévention et anticipation plutôt que mouvements et contre-mouvements, ruptures et continuités plutôt que succès et échecs.
Cet article a déjà fait l’objet d’une publication dans le numéro 2 de revue étudiante Bidaya (publiée par le CAREP Paris). Il fait partie du dossier central consacré à la thématique : « Les révoltes arabes au-delà du succès ou de l’échec ».
Notes :
[1] Concept théorisé par le philosophe et sociologue Henri Lefebvre pour désigner le droit des habitants d’une ville à y accéder, y contribuer et y vivre. Voir Henri Lefebvre, Le droit à la ville, Paris, Éditions du Seuil, 1968.
[2] Tariq Jazeel, “The ‘City’ as Text”, International Journal of Urban and Regional Research, vol. 45, n° 4, 2021, p. 659.
[3] Edward W. Saïd, Culture et Impérialisme, New York (États-Unis), Vintage Books, 1993, p. xii.
[4] Edward W. Saïd, Orientalism, New York (É-U), Pantheon Books, 1978.
[5] Edward W. Saïd, Culture et Impérialisme, op. cit., p. xii.
[6] Saïd a discuté des trois empires avec lesquels il avait un lien personnel et dont la culture impérialiste qu’il a identifiée comme étant l’incarnation de la systématisation, de la centralité et de la cohérence : La France, la Grande-Bretagne et l’État colonisateur américain (voir Edward W. Saïd, Culture et Impérialisme, op. cit., p. xxiii-xxiv).
[7] Les récits anti-impérialistes comprennent à la fois des récits autochtones et non autochtones avec, par exemple, une analyse contrapuntique des textes de Joseph Conrad et de Ngugi wa Thiong’o.
[8] Edward W. Saïd, Culture et Impérialisme, op. cit., p. xiv.
[9] Roland Barthes, Mythologies, Paris, Éditions du Seuil, 1957, p. 192.
[10] Edward W. Saïd, Culture et Impérialisme, op. cit., p. 61.
[11] James S. Duncan, The City as Text : The politics of landscape Iinerpretation in the Kandyan Kingdom, Cambridge (GB) Cambridge University Press, 1990.
[12] Aussi connues sous le nom de Heritage Studies en anglais.
[13] Voir Ibid.; Manuel Guàrdia et Javier Monclús, Culture, urbanism and planning, Londres et New York City (É-U), Routledge, 2016 ; Tariq Jazeel, “The ‘City’ as Text”, op. cit.
[14] Simon Parker, “Urbanism as material discourse: Questions of interpretation in contemporary urban theory”, Urban Geography, vol. 33, n° 4, 2013, p. 530.
[15] Ibid., 534.
[16] Voir Michel Foucault, The archaeology of knowledge and the discourse on language, New York (É-U), Pantheon Books, 1972 ; Stuart Hall, “Negotiating Caribbean Identities”, New Left Review, n° 209, 1995, p. 3–14 ; Teun A. van Dijk, Discourse and power, New York City (É-U), Palgrave Macmillan, 2008.
[17] Henri Lefebvre, Le droit à la ville, op. cit.
[18] Mark Purcell, « Le droit à la ville et les mouvements urbains contemporains », Rue Descartes, vol. 1, n°63, 2009, p. 41.
[19] Idem.
[20] Ruud Koopmans, “Protest in time and space: The evolution of waves of contention” dans Sarah A. Soule, David A. Snow, Hanspeter Kriesi et Holly J. McCammon (dir.), The Wiley Blackwell companion to social movements, Hoboken (É-U), John Wiley & Sons, 2008, p. 19.
[21] Asef Bayat, “Un-Civil society : The politics of the ‘informal people’”, Third World Quarterly, vol. 18, n° 1, 1997, p. 53–71 ; Mark Traugott, « Les barricades dans les insurrections parisiennes : rôles sociaux et modes de fonctionnement » dans Alain Corbin et Jean-Marie Mayeur (dir.), La Barricade, Paris, Éditions de la Sorbonne, 1997 ; Ruud Koopmans, “Protest in time and Space: The evolution of waves of contention”, art. cit.
[22] Ibid., 35.
[23] Acteur qui revendique, qui a des demandes.
[24] Tariq Jazeel, “The ‘City’ as Text”, op. cit., p. 658.
[25] Idem.
[26] Priscilla Parkhurst Ferguson, Paris as revolution, Berkeley (É-U), University of California Press, 1997, p. 11.
[27] Maurice Agulhon, « Paris, la traversée d’Est en Ouest » dans Pierre Nora (dir.), Lieux de mémoire. Volume III : Les France. Partie 3 : De l’archive à l’emblème, Paris, Gallimard, 1992.
[28] Anaël Daoud Benattouche, “Marianne as a (neo-)colonial lieu de mémoire: An intersectional heritage reading of the female civic allegory in France and its colonial cities”, Master of Philosophy Thesis, University of Cambridge, 2021. Voir Maurice Halbwachs, La mémoire collective, Paris, Albin Michel, 1950.
[29] Laurent Le Gall, « Réverbérations agulhoniennes » dans Jacqueline Lalouette and Christophe Charle (dir.), Maurice Agulhon : aux carrefours de l’histoire vagabonde, Paris, Éditions de la Sorbonne, 2017, p. 204.
[30] Sophie Corbillé, Paris Bourgeoise, Paris Bohème : la ruée vers l’Est, Paris, Presses universitaires de France, 2018, p. 2.
[31] Louis-Napoléon Bonaparte (1808-1873), neveu et petit-fils de Napoléon Ier (sa mère n’était autre que la fille de Joséphine de Beauharnais, première épouse de Bonaparte, et du vicomte Alexandre de Beauharnais), fût le premier président de la Deuxième République (1848-1952) et devint Empereur des Français sous le Second Empire (1852-1870), après avoir fomenté un coup d’état en 1851.
[32] Il s’agit d’Auteuil, Passy, Batignolles, Montmartre, La Chapelle, La Villette, Belleville, Charonne, Bercy, Vaugirard, Grenelle. Des parties de Neuilly, Clignancourt, Saint-Ouen, Aubervilliers, Pantin, Prés-Saint-Gervais, Saint-Mandé, Bagnolet, Ivry, Gentilly, Montrouge, Vanves et Issy sont également annexées. Voir Fernand Bournon, Paris, Histoire – Monuments – Administration – Environs de Paris, Paris, Armand Colin, 1888.
[33] Voir idem ; Hervé Maneglier et Nicole Beaurain « Paris impérial : la vie quotidienne sous le Second Empire », L’Homme et la société, n° 104, 1992 ; Patrice de Moncan, Le Paris d’Haussmann, Paris, op. cit.
[34] Cette première vague de rénovation urbaine de Paris a duré plus de sept décennies, commençant sous le règne de Napoléon III et se terminant en 1927, sous la Troisième République (Voir Patrice de Moncan, Le Paris d’Haussmann, Paris, Les Éditions du Mécène, 2002).
[35] En termes de budget mais aussi, et surtout, en termes de coût humain et social car les travailleurs ont été maltraités et de nombreux habitants ont été déplacés et injustement expropriés.
[36] Hervé Maneglier et Nicole Beaurain « Paris impérial : la vie quotidienne sous le Second Empire », op. cit., p. 139.
[37] Renaud Epstein, « La démolition contre la Révolution : réactualisation d’un vieux couple », Mouvements, vol. 3, n° 83, 2015, p. 99.
[38] Voir David Harvey, Pour une analyse de la rénovation haussmannienne dans cette perspective marxiste, Paris, Les Prairies ordinaires, 2012.
[39] Mark Traugott, « Les barricades dans les insurrections parisiennes : rôles sociaux et modes de fonctionnement » op. cit.
[40] Renaud Epstein, « La démolition contre la Révolution : réactualisation d’un vieux couple », op.cit.
[41] On peut citer, entre autres, l’Hôtel de Ville, le Palais Royal, les Tuileries, etc.
[42] Voir Hervé Maneglier et Nicole Beaurain « Paris impérial : la vie quotidienne sous le Second Empire », op. cit. ; David Harvey, Pour une analyse de la rénovation haussmannienne dans cette perspective marxiste, op. cit.
[43] Comme les réformes urbaines ottomanes de 1900-1916. Voir Robert Saliba, “Historicizing early modernity – Decolonizing heritage: Conservation design strategies in postwar Beirut”, International Association for the Study of Traditional Environments vol. 25, n° 1, 2013, p. 7-24.
[44] Fawwaz Traboulsi, A History of modern Lebanon, London, Pluto Press, 2012.
[45] Tarek Abdelsalam, “Reshaping the city image: Impact of the French colonial architecture on the contemporary identity of Beirut central district”, University of Modern Sciences & Arts (MSA), 2015 [URL].
[46] Robert Saliba, “Historicizing early modernity – Decolonizing heritage: Conservation design strategies in postwar Beirut”, op.cit., p. 10.
[47] Fawwaz Traboulsi, A History of Modern Lebanon, op. cit., p. 92.
[48] Ngugi wa Thiong’o, “African identities: Pan-Africanism in the era of globalization and capitalist fundamentalism”, Macalester International, vol. 14, n° 9, Spring 2014, p. 28.
[49] En référence à Fouad Chehab, troisième président du Liban de 1958 à 1964, à qui l’on attribue la modernisation de l’État libanais et de ses institutions, ainsi que la militarisation accrue du pays.
[50] Pré-mandat français.
[51] Voir Jad Tabet, “From Colonial Style to Regional Revivalism: Modern Architecture in Lebanon and the Problem of Cultural Identity” dans Hashim Sarkis et Peter Rowe (dir.), Projecting Beirut, Episodes in the Construction and the Reconstruction of a Modern City, New York City (É-U) et Munich, Pestel, 1998 ; Elie G. Haddad, “Learning from Beirut: From modernism to contemporary architecture”, Journal for Architectural Research vol. 5, n° 1, 2008; Éric Verdeil, Beyrouth et ses urbanistes : une ville en plans (1946-1975), Beyrouth, Presses de l’Ifpo, 2010.
[52] Fawwaz Traboulsi, A History of modern Lebanon, op. cit., p. 92.
[53] Essentiellement chrétien.
[54] Essentiellement musulman.
[55] Robert Saliba, “Historicizing early Modernity – Decolonizing heritage: Conservation design strategies in postwar Beirut”, op.cit., p. 17.
[56] Sara Fregonese, “Beyond the ‘weak state’: Hybrid sovereignties in Beirut”, Society and Space, vol. 30, 2012, p. 655–674.
[57] Construits à proximité, comme à Paris.
[58] Solidere, “Solidere Ad”, The New York Times, 22 novembre 1993.
[59] Accord controversé, signé à Taëf sous l’égide de l’Algérie, du Maroc et de l’Arabie saoudite le 22 octobre 1989 pour mettre fin aux quinze années de guerre, et prévoyant notamment la dissolution des milices et la restructuration de la représentation politique libanaise.
[60] Robert Saliba, “Historicizing early modernity – Decolonizing heritage: Conservation design strategies in postwar Beirut”, op.cit., p. 21.
[61] Sune Haugbolle, War and memory in Lebanon, Cambridge (GB), Cambridge University Press, 2010.
[62] Par exemple, l’organisation des espaces publics, la détermination de son récit, etc.
[63] Voir Saree Makdisi, “Laying claim to Beirut: Urban narrative and spatial identity in the age of Solidere”, Critical Inquiry vol. 23, n° 3, 1997, p. 660–705; Robert Saliba, “Historicizing early modernity – Decolonizing heritage: Conservation design strategies in postwar Beirut”, op.cit., p. 21.
[64] Saree Makdisi, “Laying claim to Beirut: Urban narrative and spatial identity in the age of Solidere”, op. cit., p. 699.
[65] Ahmad Gharbieh, Mona Fawaz et Mona Harb, “Visible security mechanisms in municipal Beirut: Map”, 2010.
[66] En janvier 2015, après les attaques terroristes contre le journal Charlie Hebdo, la place de la République devient un espace important de revendications pour les Parisiens.
[67] Tout comme Tahrir en Égypte.
[68] Les deux n’étant pas mutuellement exclusifs.
[69] Ancien centre commercial imaginé par l’architecte Joseph Karam mais abandonné au début de la guerre en 1975.
[70] Voir par exemple les initiatives de Farah Fayyad, exposée au Victoria and Albert Museum de Londres lors du Jameel Price.
[71] Voir par exemple le compte Art of Thawra sur Instagram.
[72] Y compris au-delà des frontières nationales, auprès de la diaspora libanaise.
[73] Tariq Jazeel, “The ‘City’ as Text”, op. cit., p. 659.
[74] Mona Fawaz et Isabela Serhan, “Urban revolutions: Lebanon’s October 2019 uprisings”, International Journal of Urban and Regional Research, 2020.