Le 15 décembre dernier, s’est déroulée à l’Académie du climat à Paris la journée d’étude sur les Vies et circulations des rebuts dans l’espace méditerranéen. À l’initiative d’Emmanuelle Durand, Bénédicte Florin, Katharina Grüneisl et Isabel Ruck, l’événement a réuni des chercheur·e·s de différentes disciplines ainsi que des acteurs et actrices de terrain engagés dans la récupération, la gestion et la revalorisation des déchets dans les espaces urbains du pourtour méditerranéen. Organisée à l’occasion de la sortie du trente-septième numéro des Cahiers d’EMAM, la conférence a été dédiée par les organisatrices au géographe et directeur de recherches au CNRS Éric Denis, décédé le 21 août 2024.
La journée s’est ouverte sur un constat partagé : longtemps relégués aux marges de l’analyse, les déchets sont devenus des objets centraux de politisation dans de nombreuses villes méditerranéennes. Les crises des ordures rendent visibles, souvent de manière brutale, à la fois les défaillances des systèmes de gestion et les économies sociales qui prennent en charge les rebuts au quotidien. Loin d’être de simples résidus, les déchets apparaissent ainsi comme des révélateurs d’inégalités sociales, spatiales et environnementales, mais aussi comme des ressources au cœur de pratiques, de circulations et de conflits multiples.
PANEL 1 : Trajets, pratiques et gestes de la prise en charge des déchets
Le premier panel avait pour objet d’interroger la place des récupérateurs informels dans le recyclage en ville. À Barcelone, comme à Istanbul, ces travailleurs collectent une grande partie des déchets recyclables, mais leur travail reste précaire et peu reconnu. Bien qu’ils soient indispensables, ils ne profitent presque pas des bénéfices économiques du recyclage. À l’inverse, les acteurs formels et innovants sont davantage soutenus et valorisés. Cela témoigne de fortes inégalités dans le fonctionnement de l’économie circulaire.
À partir du cas de Barcelone, Solène Tixadou a ainsi montré le rôle central des chatarreros, collecteurs informels, spécialisés notamment dans les métaux, dont l’activité est visible et connue des habitants, mais demeure socialement et institutionnellement dévalorisée. Bien que toléré, ce travail reste précaire et exposé à des tensions récurrentes, notamment dans un contexte de gentrification accélérée du quartier de Poblenou. Leur précarité est renforcée par une forte dépendance aux dynamiques de marché, puisque « les conditions de vie des chatarreros sont très sensibles au cours du métal ». La coexistence spatiale entre les récupérateurs et les hubs de l’économie créative, tels que le FabLab Barcelona, a mis en évidence un paradoxe fort : tandis que les initiatives de type maker, fondées sur la réutilisation créative des matériaux – par exemple la fabrication d’« objets à base de noyaux d’olives ou de cuir d’oranges » – promeuvent une économie circulaire innovante et largement subventionnée, les collecteurs informels continuent de supporter l’essentiel du travail matériel de récupération, sans bénéficier de la valeur symbolique ou économique produite en aval.
Irem Nihan Balci nous a ensuite embarqués pour la Turquie avec son intervention portant sur les récupérateurs de déchets à Istanbul. En Turquie, près de 500 000 récupérateurs, majoritairement issus de groupes immigrés et marginalisés, assurent la collecte de la majorité des matières recyclables. « Le métier a explosé dans les années 1990, notamment avec les vagues de migration », affirme l’intervenante. L’augmentation massive des importations de déchets, notamment plastiques en provenance de l’Union européenne, a renforcé les chaînes industrielles du recyclage tout en accentuant la précarité des récupérateurs, dont les bénéfices restent captés par les intermédiaires et les usines : « Il y a une exclusion des bénéfices pour les récupérateurs alors même que le système repose sur eux », s’insurge Irem Nihan Balci.
Les échanges modérés par Eric Verdeil ont souligné un point commun aux deux contextes : l’existence d’une « mine urbaine » largement exploitée par des travailleurs informels indispensables mais invisibilisés, tandis que l’innovation, la valeur ajoutée et la reconnaissance institutionnelle bénéficient principalement à d’autres segments de la filière.
PANEL 2 : Circulations transnationales, gouvernances et injustices environnementales
Le deuxième panel de la journée cherchait à mettre en évidence les limites de l’économie circulaire face aux déchets industriels et aux grands projets. Le cas du phosphogypse à Gabès, en Tunisie, montre que recycler ne suffit pas à réparer les dégâts sur l’environnement et la santé. Les déchets de construction, notamment liés au nouvel aéroport d’Istanbul, ont fortement affecté la vie des habitants. Les crises des déchets ne sont pas dues seulement aux comportements individuels, mais à des problèmes politiques et d’organisation. Ces situations révèlent de fortes inégalités environnementales et sanitaires.
Diane Robert a ouvert ce panel avec son analyse sur le cas du phosphogypse à Gabès « une matière à la fois encombrante et toxique ». Son intervention a mis en évidence la persistance de « conflits sociaux et territoriaux autour de ce déchet industriel », dans un contexte marqué par des pollutions anciennes et une forte défiance envers les institutions. Les échanges ont souligné que les dispositifs de valorisation, souvent présentés comme des solutions techniques, peinent à répondre aux attentes locales en matière de santé, de reconnaissance et de justice environnementale.
Ce panel a également interrogé les rebuts liés aux mégaprojets d’infrastructure. Marguerite Teulade a présenté son analyse sur les injustices environnementales causées par les débris et les déchets de construction autour du grand projet d’aéroport d’Istanbul. Les déchets de chantier, visibles et concentrés dans les zones entourant l’aéroport – en particulier « des gros blocs de ferrailles en béton armé qui s’avancent dans la mer et créent des sortes de villes artificielles » – ont entraîné la perte d’usages traditionnels, des risques sanitaires accrus et une forte contestation face à des dispositifs de communication environnementale jugés déconnectés des réalités vécues. Marguerite Teulade ne manque pas de rappeler que les promoteurs du projet de l’aéroport l’ont vendu comme le plus grand et le plus durable.
Une lecture comparative des crises des déchets en Italie et en Tunisie proposée par Simone Di Cecco a permis de dépasser les explications réductrices centrées sur l’incivisme ou la criminalité en posant d’emblée la question des déchets comme un « fait social total », pour reprendre le concept proposé par Marcel Mauss. Ces crises apparaissent comme des phénomènes structurels, liés à la circulation internationale des déchets, à la saturation des infrastructures et aux blocages politiques, où le recours à des solutions extralégales révèle la porosité entre le formel et l’informel.
Enfin, l’intervention de Nelly Leblond sur les déchets électriques en Israël/Palestine a mis en lumière des injustices socio-environnementales inscrites dans un contexte de colonialisme, où les flux de déchets et les nuisances associées se concentrent dans des territoires palestiniens marginalisés. À partir d’un travail de terrain mené sur le long terme, elle a montré que la circularité existante repose sur une capture de valeur dissociée du traitement des pollutions, les activités les plus dangereuses étant reléguées aux segments les moins protégés de la chaîne. Cette analyse s’inscrit dans une évolution plus large des recherches, marquée par un déplacement de l’attention de l’amont et des responsabilités des producteurs vers des logiques d’« inversion de l’extraction », centrées sur la maximisation de la récupération des matières. Ce glissement tend à invisibiliser les acteurs formels au profit des pôles informels, tout en privilégiant la recherche de nouveaux débouchés pour les déchets du démantèlement, souvent au détriment de réflexions sur la réduction de leur toxicité. L’intervention a enfin présenté des pistes d’action fondées sur des « hubs » locaux co-construits avec travailleurs, habitants et élus, combinant alternatives au brûlage, formalisation encadrée, décontamination et réponses sanitaires ciblées. Ces propositions invitent à repenser la justice environnementale en articulant les attentes locales avec une analyse en amont des circulations de matières, condition indispensable pour des politiques de circularité capables de s’attaquer aux rapports de pouvoir et aux inégalités structurelles.
Les échanges ayant suivi les présentations, modérés par Soraya Boudia, ont mis en lumière plusieurs déséquilibres majeurs dans l’analyse des déchets. Il a d’abord été souligné que la recherche se concentre largement sur les déchets ménagers, au détriment des déchets industriels, pourtant majoritaires à l’échelle mondiale et bien plus toxiques, avec des effets durables sur les environnements. La question de la saturation des déchets a également été centrale. Le cas français illustre cette impasse : face à l’encombrement des sites, des évolutions législatives visent à remettre en circulation des remblais pourtant toxiques, traduisant une gestion du problème par déplacement plutôt que par résolution. Le panel a ensuite discuté la circulation des déchets, en rappelant que celle-ci s’accompagne aussi du maintien sur place de déchets dangereux dans certains territoires. Cette dynamique révèle des inégalités spatiales fortes. Un autre axe majeur a porté sur le lien entre travail et environnement, soulignant l’invisibilisation des conditions de travail et des inégalités d’exposition liées à la gestion des déchets. Les échanges ont enfin insisté sur l’importance des échelles d’analyse, qui influencent les formes de mobilisation et les conceptions de la justice environnementale. En s’éloignant d’une vision des déchets comme ressources, le panel a privilégié une approche centrée sur leur dangerosité, leur toxicité et leur invisibilité sociale, s’inscrivant clairement dans une réflexion critique sur l’économie politique des déchets.
Panel 3 : Alternatives et perspectives critiques de l’économie circulaire
Le troisième et dernier panel de la journée avait pour objectif d’interroger de manière critique les promesses de l’économie circulaire à travers deux cas d’études, celui des travailleurs informels du secteur des déchets en Inde et celui de la coopérative At-Tawafouk à Rabat au Maroc.
À partir du cas indien, Manisha Anantharaman a proposé une analyse des transformations contemporaines de l’inclusion des récupérateurs informels dans les dispositifs de l’économie circulaire. Son intervention a montré comment certaines initiatives entrepreneuriales et programmes transnationaux intègrent ces travailleurs par la formalisation, la numérisation et la production de données, tout en reconfigurant profondément les rapports de pouvoir au sein des chaînes de valeur. Loin de constituer un « gagnant-gagnant », cette inclusion sélective s’accompagne d’une réduction de l’autonomie des récupérateurs, de l’émergence de nouvelles hiérarchies sociales et d’une fragmentation des solidarités, notamment selon le genre et la caste. Elle a ainsi mis en évidence une dynamique d’« accumulation par inclusion », où la reconnaissance affichée des travailleurs informels sert avant tout les impératifs de croissance et de capture de valeur de l’économie circulaire.
À l’inverse, Mustapha Azaitraoui a mis en évidence, à partir du cas de la coopérative At-Tawafouk à Rabat, les conditions d’une « inclusion plus émancipatrice des récupérateurs de déchets ». Son intervention est revenue sur la transition d’une activité longtemps cantonnée à l’informel vers une « reconnaissance institutionnelle progressive, un soutien politique, et une organisation collective », rendue possible par la fermeture de la décharge d’Akrach et l’intégration des travailleurs au centre de tri d’Oum Azza, à proximité du nouveau centre d’enfouissement contrôlé. La mise en place d’une gouvernance collective, d’une égalité salariale et d’une meilleure valorisation des matériaux a permis une amélioration tangible des conditions de travail et de vie, ainsi qu’une requalification partielle du statut social des récupérateurs. Ce modèle demeure toutefois fragile car étroitement dépendant de cadres institutionnels et de soutiens publics spécifiques. Il reste exposé à des recompositions politiques, économiques ou contractuelles susceptibles d’en fragiliser les équilibres à moyen terme.
Dans les échanges animés par Denis Blot, la discussion est revenue sur le caractère durablement stigmatisant du contact de proximité avec les déchets. À travers des terrains pourtant très différents, il est apparu que la manipulation des rebuts reste associée à des formes de contamination symbolique, produisant des effets de disqualification sociale et morale sur les travailleurs concernés. Comme l’a rappelé Mustapha Azaitraoui à partir du cas marocain, « le déchet est associé à un manque de pureté », une représentation persistante qui limite la reconnaissance sociale des travailleurs du secteur.
Donner la parole aux acteurs de terrain
Une particularité de cette journée d’étude était la volonté des organisatrices à inclure des acteurs de terrain. Grâce aux témoignages de quatre acteurs de terrain tout au long de la journée, un dialogue a pu s’installer entre les recherches présentées et les réalités vécues par ces acteurs.
Romani Badir, Cairo Garbage Collectors Association : “Malgré de plus en plus de plastique et de matières mélangées, les chiffonniers arrivent à maintenir un taux de recyclage de 90%.”
Issu d’une famille de chiffonniers égyptiens, Romani Badir a retracé la structuration progressive d’un système de recyclage intégré, fondé sur des savoirs empiriques transmis sur plusieurs générations. Le quartier des chiffonniers cairotes fonctionne comme une véritable économie circulaire locale, combinant tri, recyclage et innovation technique, notamment autour du plastique, avec des taux de recyclage atteignant jusqu’à 90 %. Ce système, largement auto-organisé et autodidacte, alimente aujourd’hui des filières industrielles formelles, y compris à l’international. Pourtant, il demeure extrêmement vulnérable aux décisions politiques et aux interventions exogènes, comme l’a illustré l’abattage massif des porcs en 2010 qui a profondément désorganisé l’économie locale car ils étaient un maillon indispensable au fonctionnement de l’économie circulaire du recyclage : ils ingèrent les détritus alimentaires, réduisant les déchets. Malgré une reconnaissance internationale, la contribution des chiffonniers reste faiblement considérée au niveau national, révélant le décalage entre efficacité environnementale et reconnaissance sociale.
Samuel Le Cœur, Association des Marchés Économiques Locaux Individuels et Organisés du Recyclage (AMELIOR) : « Les marchés aux puces sont des vecteurs d’inclusion. »
Samuel Le Cœur a montré que la marginalisation du travail informel des déchets n’est pas propre aux Suds méditerranéens. L’association AMELIOR, créée en 2012 à Paris, vise à obtenir une reconnaissance légale et sociale des biffins, vendeurs et récupérateurs de rue. Les marchés de biffins mis en place, notamment à Montreuil, constituent des dispositifs hybrides, à la fois économiques, sociaux et environnementaux, permettant de valoriser le réemploi tout en luttant contre l’exclusion. Son intervention a mis en évidence les contradictions entre les discours publics sur l’économie circulaire et la « véritable répression policière quotidienne subie par les vendeurs de rue », ainsi que l’inadéquation des dispositifs d’insertion existants. Les circulations internationales d’expériences et l’inscription dans l’Alliance mondiale des récupérateurs ont été présentées comme des leviers essentiels de reconnaissance et de structuration collective.
Omar Itani, FabricAid Liban et Jordanie : « Quand j’ai lancé l’entreprise en 2017, le public cible était essentiellement composé de familles à faibles revenus. Mais avec les crises libanaises depuis 2019, le nombre de personnes dépendantes des vêtements de seconde main a quadruplé. »
L’intervention d’Omar Itani a illustré une tentative d’alternative opérationnelle à travers le développement de FabricAid, entreprise sociale spécialisée dans la redistribution de vêtements de seconde main au Liban et en Jordanie. Née du constat de l’inefficacité des circuits traditionnels de don, FabricAid a structuré une chaîne intégrée de collecte, tri, nettoyage et revente à prix très accessibles, tout en mettant l’accent sur la dignité des usagers. Dans un contexte de crise économique profonde, la seconde main est devenue un service essentiel pour une population élargie. Toutefois, l’intervention a également mis en lumière les tensions liées aux circulations internationales de vêtements usagés, qualifiées de “dumping textile”, ainsi que les difficultés rencontrées par les entreprises sociales pour accéder au financement et se développer dans des cadres légaux hétérogènes. Omar Itani a souligné les difficultés structurelles rencontrées par les entreprises au Moyen-Orient pour accéder au financement, dans un écosystème encore largement orienté vers les start-up technologiques : « Les investisseurs en capital-risque privilégient les entreprises tech à forte croissance et restent réticents à soutenir des modèles à impact social, pourtant essentiels mais moins scalables. L’écosystème n’a pas encore atteint ce stade de maturité », a-t-il rappelé.
Jalel Bouslah, Tounes Clean Up & Recycle Tunisia : « Dans le milieu du ramassage des déchets, les femmes sont encore largement stigmatisées en Tunisie. »
L’intervention de Jalel Bouslah a rappelé avec force la situation extrêmement précaire des ramasseurs et trieuses en Tunisie. L’augmentation massive du nombre de travailleurs après la révolution, l’absence de statut, la surreprésentation des femmes dans les tâches les plus pénibles et les tensions liées aux migrations ont mis en évidence les limites des programmes d’économie circulaire actuels, souvent déconnectés des réalités sociales. L’appel à définir des indicateurs sociaux, environnementaux et territoriaux précis a souligné la nécessité de dépasser les discours performatifs pour évaluer concrètement les effets des politiques publiques et des dispositifs d’inclusion.
CONCLUSION
Le mot de conclusion a été prononcé par Baptiste Monsaingeon, auteur de Homo détritus. Critique de la société du déchet (Seuil, 2017). Se déclarant d’emblée peu familier avec l’espace méditerranéen, il a toutefois souligné combien cette journée l’avait nourri par la diversité des débats et les paroles d’acteurs. Cette position “inconfortable” a servi de point de départ à une réflexion plus large, structurée autour d’une figure centrale, celle du parasite, emprunté à Michel Serres (Le Parasite, Grasset, 1980).
La question posée par Baptiste Monsaingeon dans sa conclusion est alors la suivante : qui parasite qui ? Les déchets et les circuits économiques qu’ils engendrent ? Ou bien nous-mêmes – chercheurs et institutions- qui nous nourrissons de ces situations pour les rendre visibles au risque d’en tirer aussi un bénéfice symbolique et académique ?
Les déchets sont des faits sociaux totaux. C’est là un premier constat fort de cette journée d’étude. Les crises observées au Caire, à Sfax, à Beyrouth, à Beyrouth ou même à Bangalore en Inde, ne sont jamais de simples problèmes techniques. Elles révèlent les inégalités structurelles, des rapports de pouvoir et des réseaux d’interdépendance, à la fois locaux et transnationaux. Les déchets rendent visibles les hiérarchies sociales, territoriales et politiques.
Le capitalisme circulaire est aussi un parasite, parfois à caractère colonial. Voilà un deuxième enseignement à tirer de cette journée. Les études de cas du deuxième panel convergent tous vers cette même logique : à Gabès, la technicisation du recyclage industriel ne résout pas les problèmes environnementaux, elle déplace les nuisances sans redistribuer les pouvoirs ; à Istanbul, les déchets de construction apparaissent comme des archives matérielles d’une modernité illégale, produite en périphérie des mégaprojets ; en Cisjordanie, la gestion des déchets électroniques illustre une toxicité sans frontières, mais des inégalités très strictement organisées par les frontières politiques, déterminant “qui respire quoi et pour le compte de qui”.
Le dernier panel de la journée a prolongé ces analyses en interrogeant l’économie circulaire comme une forme de greenwashing. En effet, l’informel est souvent intégré aux dispositifs de circularité, non pas pour transformer le système, mais pour le stabiliser et en capter la valeur/ le profit. D’où un enjeu central pour les récupérateurs de déchets : dépasser la reconnaissance symbolique pour obtenir une redistribution matérielle réelle.
Et si le parasite c’était nous, les chercheurs ? Voilà une troisième réflexion à laquelle invite cette journée d’étude. Nos travaux dépendent des récits, des gestes et des luttes des acteurs ; réciproquement, ces acteurs peuvent aussi dépendre de la visibilité que la recherche leur offre. Mais cette relation n’est pas neutre. En intégrant leurs luttes dans nos cadres académiques, ne risque-t-on pas de les normaliser, voire d’en désamorcer la portée critique ? La question finale posée par Baptiste Monsaingeon est aussi politique qu’éthique : comment croître, en reconnaissance, en institutionnalisation, en influence, sans se dénaturer ? Comment maintenir un geste critique à mesure que les chercheurs deviennent eux-mêmes, à travers le financement de leurs recherches, des acteurs de la production des politiques publiques ?
Pour aller plus loin :
DURAND Emmanuelle, FLORIN Bénédicte et GRÜNEISL Katharina, “Rebuts dans l’espace méditerranéen. Flux, pratiques et contestations”, Cahier d’EMAM, n°37, 2025, en ligne : https://doi.org/10.4000/15c88
MONSAINGEON Baptiste, Homo detritus. Critique de la société du déchet. Paris, Seuil, 2017.