Publié initialement en arabe par le centre Omran pour les études stratégiques, le 22 janvier 2019.
Résumé
La restructuration du ministère syrien de l’Intérieur est un enjeu central du processus de réforme globale des appareils de sécurité, en particulier dans le contexte actuel de transition politique qui appelle les services de renseignement à cesser d’interférer dans les affaires civiles. Affaibli par le régime Assad au profit des services de renseignement, ce ministère a vu ses prérogatives progressivement réduites. Depuis 1970, il souffre de dysfonctionnements chroniques — administratifs, législatifs, logistiques et humains — qui ont compromis son efficacité [1]. Ces défaillances ont conduit les Forces de sécurité intérieure (quwwāt al-amn al-dākhilī) à un état de quasi-effondrement, aggravé après 2000 par une montée inédite de la criminalité [2].
Le ministère de l’intérieur s’est relativement distingué des autres appareils de sécurité par un moindre recours au confessionnalisme dans ses recrutements. Toutefois, certaines pratiques discriminatoires persistent. La Direction de la sécurité politique (shuʿbat al-amn al-siyāsī), bien que formellement rattachée au ministère, en contrôle en réalité toutes les structures. Le ministre ne détient qu’une autorité administrative réduite, tandis que la direction exerce une tutelle de fait sur l’ensemble de l’appareil.
Le rôle du ministère s’est restreint au fil du temps, les différents services de sécurité ayant absorbé ses missions de contrôle et affaibli ses organes internes de supervision. Cette emprise a dévoyé sa fonction au service d’objectifs politiques. Depuis 2011, la participation active de la police à la répression du soulèvement syrien a accentué la rupture avec la population, en raison de violations graves commises par certains de ses agents. Pourtant, malgré la corruption et le déclin institutionnel, le ministère demeure l’un des plus anciens de l’État syrien, fondé en 1947 sur des bases constitutionnelles solides, inspiré de modèles juridiques étrangers.
Introduction
La restructuration des appareils de sécurité constitue un pilier fondamental de tout processus de transition, indissociable de la consolidation de la paix dans des situations post-conflit. En Syrie, les services de sécurité ont toujours été perçus comme des instruments de répression et de violence. Cette image s’est accentuée avec le déclenchement de la révolution en 2011, marquée par la brutalité de leurs interventions, tant dans l’espace public que dans les centres de détention. Dès lors, leur réorganisation, ainsi que leur retrait de la sphère civile, apparaissent, aux yeux de la population, comme une priorité absolue pour construire la paix. Dans ce contexte que se dessine l’importance du ministère de l’Intérieur, institution longtemps affaiblie par le régime au profit d’autres services de sécurité jugés plus dignes de confiance par les Assad. Dès son arrivée à la tête de l’État, Hafez al-Assad avait engagé un processus de réduction des prérogatives du ministère à travers une série de réformes structurelles touchant son cadre juridique et administratif. Ces modifications ont eu pour effet de dégrader les performances de l’institution et de ses agents, tout en ouvrant la voie à une mainmise croissante des services de renseignement sur ses domaines de compétence.
Le présent article se propose d’examiner le ministère syrien de l’Intérieur en tant que cadre de référence du travail policier et sécuritaire, dans une optique de réforme globale des structures sécuritaires du pays. Il part du postulat que ce ministère est appelé à jouer un rôle de premier plan une fois que les services de renseignement auront cessé d’interférer dans le quotidien des citoyens. Cette étude préliminaire — première étape d’un programme de recherche plus large — se concentre sur l’analyse de la structure administrative, organisationnelle et législative du ministère de l’Intérieur, ainsi que sur les principales étapes de son évolution. Elle propose un état des lieux de ses différentes directions, de leurs prérogatives, fonctions et actions [3]. L’objectif est d’identifier les dysfonctionnements qui affectent ce ministère, qu’ils soient d’ordre juridique, administratif, humain, matériel ou logistique, sans négliger les déséquilibres dans ses relations avec les autres institutions sécuritaires. Cela inclut la domination exercée par la Direction de la sécurité politique, ainsi que l’influence d’autres appareils sur le fonctionnement ministériel.
L’étude s’appuie sur une revue de la littérature spécialisée concernant le ministère de l’Intérieur syrien, enrichie par des groupes de discussion et des entretiens de terrain avec d’anciens officiers dissidents, de grades et de spécialités variés [4]. Ce travail constitue la base du futur programme qui vise à élaborer une réforme portant sur les aspects législatifs, structurels et fonctionnels du ministère, et à formuler des recommandations concrètes en s’inspirant d’expériences internationales jugées pertinentes et transposables au contexte syrien [5]. Ce projet s’inscrit dans la continuité des travaux du Centre Omran, qui s’attache à analyser et évaluer les environnements institutionnels, politiques, juridiques et administratifs de l’État syrien, en réponse aux impératifs de réforme imposés par la période post-conflit.
I. Contexte historique : les différentes phases de développement du ministère de l’Intérieur
Malgré la paralysie croissante et la corruption qui ont marqué le ministère de l’Intérieur syrien sous le régime des Assad, cette institution demeure l’un des ministères souverains les plus anciens. Cela ne tient pas à une volonté du pouvoir en place, mais à sa fondation, en 1947, par le décret législatif n° 77, qui s’appuyait sur des bases juridiques et constitutionnelles solides, ainsi que sur des décisions fondatrices. Le règlement intérieur du ministère s’inspirait notamment de certaines lois françaises. Les premières bases de l’organisation policière syrienne remontent à 1928, sous l’occupation française, avec la mise en place d’une structure divisée en plusieurs sections : judiciaire, administrative, inspection, politique, enquêtes, chancellerie, comptabilité, commissariat central, brigade des mœurs, circulation, chemins de fer, cavalerie, garde, école, registre, entrepôt, service médical, conseil de discipline, et revue de police.
Au fil du temps, les structures policières ont connu de profondes transformations qui ont affecté à la fois l’architecture de l’institution et son fonctionnement. Ces mutations structurelles ont modifié les mécanismes opérationnels du ministère, étroitement liés à l’organisation institutionnelle et à la répartition des compétences. Les textes juridiques suivants ont joué un rôle déterminant dans la définition et l’évolution du ministère de l’Intérieur [6] :
- Décret législatif n° 77 (1947), modifié par la loi n° 198 (1954) ;
- Décret législatif n° 14 (1958), instituant le Conseil supérieur de la police ;
- Décret présidentiel n° 221 (1958) ;
- Loi n° 253 (1959) ;
- Décret n° 196 (1961), abolissant le Conseil supérieur et instituant le poste d’adjoint au ministre en tant que commandant des Forces de sécurité intérieure ;
- Décret législatif n° 67 (1965) ;
- Décret n° 1623 (1970), supprimant le poste de commandant et conférant au ministre de l’Intérieur de larges pouvoirs : autorité suprême, ordonnateur des dépenses, responsable budgétaire, définissant par décision les missions des unités et la nomination de ses adjoints. Cette réforme marque le début du déclin des Forces de sécurité intérieure. Devenu texte de référence du ministère, ce décret souffre de nombreuses lacunes, comme le révèle une lecture critique [7] ;
- Décret législatif n° 1 (2012), relatif au statut des militaires des Forces de sécurité intérieure, resté en grande partie inappliqué en raison des circonstances exceptionnelles traversées par le pays [8].
II. Structure du ministère de l’Intérieur : organisation, compétences, doctrine
Organisation
Le ministère de l’Intérieur de la République arabe syrienne se compose, de manière générale, de deux grands appareils :
- L’appareil des Forces de sécurité intérieure (police) : il s’agit d’un corps structuré fonctionnant selon une discipline de type militaire. Il est chargé du maintien de la sécurité et de l’ordre public, de la prévention et de la répression de la criminalité, de la protection des libertés publiques et individuelles, ainsi que de missions spécifiques telles que la gestion de l’immigration, des passeports, de la nationalité, de la résidence, de la circulation routière et de l’administration pénitentiaire. Le personnel de cet appareil est régi par une législation particulière en matière de service et de retraite.
- L’appareil des Affaires civiles : composé de personnel civil, il est chargé des questions relatives à l’état civil, de l’application des lois et règlements qui le régissent, ainsi que de la gestion des élections générales, des référendums, du pèlerinage et du contrôle aux frontières. Les agents de cet appareil relèvent de la loi fondamentale des travailleurs de l’État pour tout ce qui concerne leur carrière et leur retraite.
Le ministère se divise également en deux grands secteurs fonctionnels :
- Le secteur des services et de la sécurité : il regroupe notamment la Direction de la sécurité politique, la Direction de la sécurité criminelle, la Direction de l’immigration et des passeports, la Direction de la circulation, la Direction des prisons, la Direction de la lutte contre les stupéfiants, les postes de police dans les gouvernorats, la Direction des opérations, les commandements de police et leurs unités, ainsi que les bureaux de l’état civil.
- Le secteur administratif : il comprend la Direction de l’organisation et de l’administration, la Direction financière, la section des contrats, la Direction des affaires administratives, la Direction des services médicaux, la Direction des ressources humaines, la Direction des affaires des officiers, et la Direction des instituts et écoles [9].
Le personnel
D’après les données de 2011, le ministère de l’Intérieur comptait environ 43 000 agents relevant des Forces de sécurité intérieure, soit environ un policier pour 400 habitants (un chiffre plus élevé encore si l’on considère que tous les agents ne sont pas en service opérationnel). À titre de comparaison, le taux mondial moyen est d’environ un policier pour 300 habitants.
Concernant le niveau de formation des agents :
- 100 % des officiers sont diplômés en droit, en médecine ou issus de l’académie militaire ;
- 50 % des sous-officiers sont titulaires du baccalauréat ou d’un diplôme technique, tandis que les 50 % restants ont seulement achevé le cycle intermédiaire ;
- Parmi les agents :
- 10 % possèdent le baccalauréat ;
- 45 % disposent d’un diplôme du cycle intermédiaire ;
- Le reste a uniquement suivi l’enseignement primaire [10].
Les missions du ministère
Le ministère de l’Intérieur est chargé d’assurer la sécurité intérieure et le maintien de l’ordre public, de garantir la protection des libertés publiques et individuelles, et de mettre en œuvre la politique de l’État dans ces domaines. À ce titre, il applique les dispositions prévues par les lois et règlements en vigueur. Ses missions couvrent un large éventail de responsabilités, parmi lesquelles :
- Assurer la sécurité de l’État, de ses institutions et de ses organes ;
- Prévenir et réprimer les infractions, protéger les vies humaines, l’honneur des personnes et les biens ;
- Gérer les questions liées à l’immigration, aux passeports, à la nationalité, à la circulation, à l’entrée et au séjour des étrangers, ainsi qu’à l’administration pénitentiaire ;
- Enregistrer la population et les événements relevant de l’état civil ;
- Superviser les élections générales, les référendums, les procédures liées au pèlerinage, le contrôle des frontières et les autorisations immobilières accordées aux étrangers ;
- Contribuer à la protection des mineurs, des détenus, de leurs familles et des anciens prisonniers ;
- Répondre aux demandes officielles émanant des autres institutions de l’État ;
- Collaborer avec les autres administrations dans les domaines d’action partagés ;
- Favoriser la coopération avec la société civile en matière de prévention et de lutte contre la criminalité [11].
Doctrine et philosophie
Les Forces de sécurité intérieure s’appuient sur une doctrine et une philosophie professionnelles articulées autour de plusieurs principes fondamentaux qui doivent orienter leur action:
- La sécurité est un droit fondamental que le citoyen doit ressentir concrètement dans sa vie quotidienne ;
- La devise « la police au service du peuple » guide l’engagement des agents dans leurs missions ;
- L’expérience professionnelle et la transmission du savoir entre agents sont considérées comme essentielles pour maintenir un haut niveau de compétence ;
- Le respect strict des lois, règlements et procédures s’inscrit dans la logique d’un État de droit ;
- L’éthique, la souplesse comportementale et la qualité des relations sociales sont encouragées pour renforcer la confiance entre la police et la population [12].
III. Obstacles structurels et opérationnels
L’action du ministère syrien de l’Intérieur est freinée par un ensemble de dysfonctionnements structurels et fonctionnels, qui se sont aggravés à partir de 1970. Depuis cette date, on observe un déclin continu de ses fonctions, jusqu’à l’apparition de problèmes majeurs affectant la performance de l’institution et de son personnel. Ces obstacles peuvent être regroupés en trois grandes catégories :
Obstacles administratifs et législatifs
Le ministère souffre de dysfonctionnements persistants sur les plans administratif, organisationnel et législatif. Parmi les plus significatifs :
- Centralisation excessive : l’ensemble des pouvoirs est concentré entre les mains du ministre de l’Intérieur, souvent désigné depuis l’extérieur du ministère, notamment parmi les cadres des services de renseignement. La suppression du poste de commandant des Forces de sécurité intérieure, auparavant chargé de superviser l’ensemble des fonctions policières, a créé un déséquilibre structurel, privant les chefs de service de leur autonomie. Cette centralisation, initiée par Hafez al-Assad, visait à réduire l’influence d’un ministère alors considéré comme le plus puissant après celui de la Défense [13].
- Marginalisation au profit des services de sécurité : les prérogatives de la police ont été largement réduites, y compris dans les zones qui relèvent pourtant de sa compétence. Les services de sécurité se sont vu confier des pouvoirs étendus, notamment en matière de surveillance des Forces de sécurité intérieure. Cette situation a entraîné une perte de légitimité du ministère, une baisse de moral au sein de ses effectifs, ainsi qu’une crise de confiance, tant interne qu’externe.
- Domination de la Direction de la sécurité politique : bien qu’elle soit théoriquement rattachée au ministère, cette direction échappe à son autorité réelle. Son directeur est nommé par décret présidentiel, sans consultation du ministre de l’Intérieur, et les rapports qu’elle produit sont directement adressés au Bureau de la sécurité nationale ou à la présidence. Les officiers de police affectés à cette direction relèvent exclusivement de sa hiérarchie, qui se réserve le droit d’évaluer, d’interroger, de sanctionner, voire d’arrêter tout agent du ministère soupçonné de corruption ou d’opposition au régime [14].
- Adhésion obligatoire au Parti Baas (Ḥizb al-Baʿth) : l’intégration aux Forces de sécurité est strictement réservée aux membres du parti au pouvoir. L’article 40 du règlement intérieur interdit toute appartenance à une autre formation politique, ainsi que toute expression d’opinions contraires à celles du Baas [15].
- Rupture avec le tissu social : les règlements interdisent aux agents de manifester des opinions confessionnelles ou de participer à des activités sociales ou politiques sans autorisation préalable. Cette restriction contribue à l’isolement de l’institution vis-à-vis de la société et freine l’instauration d’une relation de proximité et de confiance avec les citoyens.
- Complexité excessive de la structure administrative : la multiplicité des services et le chevauchement de leurs compétences alimentent la lourdeur bureaucratique et favorisent les pratiques de corruption. Un projet de fusion entre les directions de l’inspection et des affaires disciplinaires, proposé en 2012 pour améliorer la cohérence interne, n’a jamais été mis en œuvre.
- Corruption endémique : la perception dominante au sein de la population est celle d’une police profondément corrompue, régulièrement impliquée dans des pratiques telles que les pots-de-vin, les détournements de fonds et les abus de pouvoir [16].
Au niveau des ressources humaines
Le ministère de l’Intérieur est confronté à un déficit important en effectifs et en compétences, ce qui impacte directement ses performances :
- Pénurie de personnel : les effectifs actuels sont insuffisants pour assurer une couverture adéquate des 14 gouvernorats, 65 districts, 281 sous-districts, près de 1 000 postes de police, sans compter les directions centrales. Certaines unités ne comptent que 4 ou 5 agents [17].
- Affectation d’officiers non qualifiés : un grand nombre de diplômés de l’académie militaire, dépourvus de formation juridique, ont été affectés au ministère, ce qui a appauvri le niveau de compétence technique. Malgré des retraits massifs, la qualité globale du personnel s’est considérablement détériorée [18].
- Manque de spécialistes : le ministère manque cruellement de compétences dans des domaines clés tels que l’informatique, la criminalistique et les technologies modernes. Le cadre légal en vigueur limite l’accès à la fonction policière aux diplômés en droit ou en médecine, excluant de fait d’autres profils pourtant indispensables [19].
- Recrutement clientéliste et formation déficiente : les critères de sélection (niveau scolaire, intégrité, aptitude physique) sont souvent ignorés. La formation initiale est insuffisante : un an pour les officiers, huit mois pour les sous-officiers. Depuis 2011, ces durées ont été réduites pour pallier les désertions [20].
- Confessionnalisme résiduel : bien que moins prononcé que dans d’autres institutions, le recours à des critères confessionnels subsiste, notamment dans les secteurs sensibles (sécurité politique, immigration, circulation), où les Alaouites sont favorisés. Ce phénomène s’est accentué après 2011, dans un contexte de défections massives ayant touché environ un tiers des effectifs [21].
- Tensions avec le pouvoir judiciaire : les agents du ministère sont fréquemment humiliés lors de procédures judiciaires classiques. Une tentative de transfert de ces affaires vers la justice militaire, par décret, n’a pas permis d’améliorer la situation. Globalement, la relation entre police et justice s’est détériorée [22].
Des ressources matérielles et logistiques insuffisantes
Les insuffisances matérielles entravent gravement l’efficacité opérationnelle du ministère :
- Matériel obsolète : les unités manquent de véhicules ; certaines sont contraintes de recourir à des taxis pour leurs déplacements. Les locaux sont vétustes, parfois loués, et souvent inadaptés aux missions policières.
- Carences techniques : il existe un déficit en équipements de communication, d’informatique, d’archivage, ainsi qu’en matériel de scène de crime ou de laboratoire.
- Méthodes d’enquête archaïques : en l’absence d’outils scientifiques modernes, les enquêtes s’appuient encore largement sur des méthodes coercitives, incluant la torture ou les mauvais traitements, ce qui aggrave la rupture avec la population.
- Faibles rémunérations : les agents sont mal payés, travaillent de longues heures et disposent de moyens bien inférieurs à ceux des services de renseignement. Beaucoup sont affectés loin de leur gouvernorat d’origine, ce qui alimente leur insatisfaction.
Conclusion
Cette étude met en lumière l’ampleur et l’imbrication des dysfonctionnements qui affectent le ministère syrien de l’Intérieur. Néanmoins, leur identification et leur catégorisation permettent d’envisager des pistes concrètes de réforme. Ces problèmes ne sont pas irréversibles, à condition d’engager une analyse approfondie, inspirée par les expériences de pays ayant connu une transition démocratique et disposant d’un système sécuritaire comparable. L’objectif est d’élaborer un plan de restructuration global du ministère, en commençant par la réforme de son cadre législatif. Il s’agit de rétablir les prérogatives accaparées par les services de renseignement et de transformer le ministère en une institution garante des principes démocratiques. Cette transformation suppose notamment la nomination d’un ministre civil, ainsi que le rétablissement du poste de commandant des Forces de sécurité intérieure, confié à un officier de police et non à un militaire.
Il est également nécessaire de clarifier les relations entre la police et l’autorité judiciaire, de renforcer les mécanismes de contrôle internes à travers des comités parlementaires, et de lancer une réforme administrative visant à réduire la bureaucratie. L’amélioration des conditions de travail du personnel — rémunérations, horaires, perspectives de carrière, règles de promotion et de retraite — constitue un levier essentiel pour lutter efficacement contre la corruption.
Par ailleurs, une révision budgétaire s’impose : le rééquilibrage en faveur du ministère de l’Intérieur, au détriment des services de sécurité, permettrait de moderniser les équipements logistiques (véhicules, technologies, outils d’intervention) et de pallier les carences en effectifs afin de garantir une couverture sécuritaire équitable sur l’ensemble du territoire syrien. Enfin, cette restructuration devra être articulée au processus de justice transitionnelle. Elle doit établir les fondements d’une nouvelle relation entre citoyens et forces de sécurité, en engageant la responsabilité des auteurs d’actes de torture, d’assassinats ou de corruption commis durant la révolution syrienne. Il s’agira également de prévoir des mécanismes de réintégration pour les agents déserteurs ayant refusé de participer à ces violations — estimés à environ un tiers du personnel du ministère.
Annexes de l’étude
Les annexes de cette étude sont divisées en deux volets. Le premier présente en détail les missions et prérogatives du commandant des Forces de sécurité intérieure. Le second, enrichi de schémas, expose l’organigramme du ministère syrien de l’Intérieur, en précisant les structures, directions, départements, branches et services qui le composent [23].
Annexe n° 1 : Missions et prérogatives du commandant des Forces de sécurité intérieure
Le commandement des Forces de sécurité intérieure est directement rattaché au ministre de l’Intérieur. À ce titre, l’organisation de la police, la gestion de ses affaires et la mise en œuvre de ses missions relèvent, dans les limites des textes législatifs en vigueur (décret législatif n° 77/1947, loi n° 14/1958, décret n° 67/1965, décret n° 142/1966, décret n° 196/1962 modifié par le décret n° 101/1963), de l’autorité ministérielle.
La décision ministérielle n° 848 du 31 mai 1965 précise les compétences suivantes du commandant :
- Autorité effective sur l’ensemble des unités, directions, branches et divisions ;
- Réception et gestion des rapports, écrits ou oraux, relatifs à la sécurité politique et criminelle ;
- Coordination avec les autres services compétents pour les affaires de sécurité ;
- Création ou suppression d’unités (sections, postes, centres), avec validation ministérielle ;
- Définition des missions et élaboration des règlements internes des unités ;
- Délivrance de décrets d’interdiction pour raisons de sécurité ;
- Emission de directives opérationnelles en matière de maintien de l’ordre ;
- Propositions relatives à la carrière des officiers : nominations, promotions, mises à la retraite ;
- Approbation des sanctions disciplinaires et des résultats d’examens ;
- Recrutement de nouveaux policiers et réintégration des anciens ;
- Affectation ou changement de spécialité des agents ;
- Gestion des promotions, mutations, radiations et départs à la retraite du personnel non officier ;
- Instruction et exécution des dossiers disciplinaires ;
- Attribution de félicitations officielles ;
- Gestion des congés (administratifs et médicaux) ;
- Annulation ou modification de sanctions disciplinaires ;
- Validation des effectifs et des dotations en équipements des unités ;
- Approbation des missions officielles et des affectations ;
- Attribution de décorations et modification des attestations de service ;
- Autorisation des dépenses et délégation de responsabilités budgétaires ;
- Répartition des crédits entre les différents gouvernorats ;
- Signature des contrats publics et validation des marchés dépassant 10 000 livres syriennes ;
- Attribution de primes et de récompenses aux agents ;
- Gestion du parc équestre (achat, affectation, entretien des montures) ;
- Paiement des informateurs et gestion des fonds correspondants ;
- Représentation légale des Forces de sécurité intérieure ;
- Acquisition et répartition des véhicules ;
- Attribution des avances pour logement ;
- Présidence du comité budgétaire en charge de la planification annuelle ;
- Traitement des questions administratives et financières urgentes ;
- Supervision des campagnes d’orientation idéologique et des contenus pédagogiques ;
- Approbation des dons et cadeaux officiels ;
- Présidence du Conseil de direction des Forces de sécurité intérieure ;
- Exercice des compétences légales déléguées par le ministre ;
- Désignation d’officiers chargés de l’enseignement interne.
Annexe n° 2 :
Schéma 1 : Composition du ministère de l’Intérieur syrien

Schéma 2 : Commandement de la Police du Gouvernorat

Notes :
[1] Rapport non publié intitulé Les lois et règlements régissant le travail du ministère de l’Intérieur, émis par l’Unité d’information du Centre Omran pour les études stratégiques.
[2] Ibid.
[3] Pour consulter les détails de la loi, voir : https://bit.ly/2QukH9t
[4] Ces éléments sont issus d’entretiens de terrain menés par le chercheur avec plusieurs officiers dissidents du ministère de l’Intérieur (Immigration et passeports, Bureau des études et recherches, Lutte contre les stupéfiants), en octobre 2018. Les entretiens ont notamment mis en lumière l’impact des vagues de migration en provenance de la région d’al-Jazīra (nord-est de la Syrie) à la suite de la sécheresse de 2005, ainsi que l’entrée massive d’étrangers après 2003, en particulier des Irakiens — dont le nombre avait atteint environ 1,8 million à l’époque — dans un contexte marqué par une quasi-absence d’exigences administratives.
[5] Pour une visualisation détaillée de l’organigramme du ministère syrien de l’Intérieur, incluant ses appareils, directions et niveaux décisionnels, voir l’Annexe n° 2.
[6] Entretien réalisé par le directeur de l’Unité d’information du Centre Omran avec un commandant dissident du ministère de l’Intérieur syrien ayant travaillé dans les bureaux de communication. Entretien mené le 5 octobre 2018.
[7] Le ministère de l’Intérieur en République arabe syrienne : structure, missions et prérogatives, rapport non publié, Unité d’information du Centre Omran.
[8] Source précédemment citée.
[9] Ibid.
[10] Résultats issus d’un groupe de discussion intitulé Problèmes du ministère de l’Intérieur et obstacles à son fonctionnement, organisé par le Centre Omran avec des officiers de police dissidents, à Istanbul, les 12 et 13 novembre 2018.
[11] Le poste de commandant des Forces de sécurité intérieure exerçait la quasi-totalité des fonctions du ministère. Il était alors considéré comme la première autorité sécuritaire en Syrie. À cette époque, le ministère de l’Intérieur dominait encore l’appareil sécuritaire. Ce poste était occupé par des cadres compétents issus du ministère. L’abolition de cette fonction en 1970 (décret n° 1623) a été suivie par la création de postes d’adjoints au ministre.
[12] Entretien de terrain mené le 27 novembre 2018 à Istanbul avec un officier dissident du ministère de l’Intérieur, portant sur le fonctionnement de la Direction de la sécurité politique.
[13] La Direction de la sécurité politique sélectionne directement ses agents au sein de la police, indépendamment du système normal de répartition.
[14] Cette direction convoque, interroge et détient des policiers sans autorisation préalable de leur hiérarchie, en contradiction avec la réglementation qui exige l’accord du commandant de police ou du directeur administratif.
[15] Le ministère de l’Intérieur n’accepte officiellement que les membres du Parti Baas. Certains candidats politiquement neutres peuvent toutefois accéder aux postes de sous-officiers ou d’agents. En revanche, pour les postes d’officiers, l’adhésion au Baas est obligatoire. Chaque direction de police dispose d’une cellule partisane dirigée par le ministre ou par le chef de la sécurité politique.
[16] Aucune campagne structurée de lutte contre la corruption n’a été entreprise au sein du ministère. Les sanctions prononcées sous Bashar al-Assad relevaient souvent de règlements de comptes personnels plutôt que de critères objectifs.
[17] Voir note 10.
[18] Dans chaque unité de police, on distingue le « cadre théorique » (effectif prévu) du « cadre réel » (effectif présent), souvent largement inférieur.
[19] Depuis son arrivée au pouvoir en 2000, Bashar al-Assad a marginalisé le ministère de l’Intérieur, lui refusant les avantages accordés à d’autres institutions sécuritaires. La nomination de ministres issus de l’armée ou des services de renseignement en est un exemple manifeste.
[20] Le ministère accepte parfois des diplômés d’instituts techniques (comptabilité, informatique, soins infirmiers), ou emploie des ingénieurs sous contrat dans certaines directions.
[21] Voir note 17.
[22] Les sous-officiers et agents de police ne bénéficient pas des avantages prévus par le statut général des fonctionnaires. Leur carrière est régie par une loi spéciale (n° 135 de 1945), avec des promotions espacées de deux ans. Leurs salaires restent faibles jusqu’à la retraite (à 50 ans), ce qui alimente les pratiques de corruption.
[23] Le ministère de l’Intérieur en République arabe syrienne : structure, missions et prérogatives, rapport non publié, Unité d’information du Centre Omran.