12/11/2024

Destruction du patrimoine culturel à Gaza

Par Hamdan Taha
©️Israeli tank on gaza streets_Yairfridman_2024

Depuis le début de la guerre à Gaza, le patrimoine culturel palestinien a subi des destructions massives en raison des frappes des forces militaires israéliennes ciblant des sites anciens, des bâtiments historiques et religieux, des musées, des institutions culturelles et académiques, des édifices publics et des infrastructures essentielles. De nombreux sites archéologiques, tous les musées, les centres historiques, ainsi que des hôpitaux, des bibliothèques, des cimetières et des milliers d’objets archéologiques et culturels ont été endommagés ou détruits.

Cet article propose un aperçu des politiques de préservation du patrimoine culturel en Palestine et des protections juridiques assurées par le droit humanitaire international, tout en explorant le rôle de l’Unesco et d’autres organisations dans la protection de ce patrimoine. Il présente également une évaluation préliminaire des dommages infligés aux sites culturels gazaouis jusqu’au début de l’année 2024, formule des recommandations pour une évaluation complète des pertes et propose des mécanismes de suivi juridique ainsi qu’un cadre pour la mise en place de plans et de programmes de récupération et de reconstruction.

Hamdan TAHA

Chercheur et auteur sur l’histoire et l’archéologie de la Palestine, ancien directeur général et vice-ministre du ministère du Tourisme et des Antiquités de Palestine (2004-2014), ancien vice-président aux affaires académiques et doyen des études supérieures de l’Université Al-Istiqlal (2019-2020). Il est actuellement coordinateur du projet d’histoire et de patrimoine de la Palestine.

Introduction

L’appellation « bande de Gaza » est une désignation politico-géographique récente, faisant référence à une région bien plus vaste et ancienne. Cette expression est apparue pour la première fois après la Nakba de 1948 pour décrire une étroite bande côtière méditerranéenne au sud de la Palestine, longue d’environ quarante kilomètres et large de six à huit kilomètres. Aujourd’hui, cette zone abrite 2,3 millions de Palestiniens, dont 70 % sont des réfugiés et leurs descendants, expulsés de leurs maisons et de leurs terres situées dans l’ouest et le sud de la Palestine lors de la guerre de 1948-1949 et ses répercussions. Depuis 1967, cette population vit sous les conditions difficiles de l’occupation israélienne, la majorité résidant dans des camps de réfugiés surpeuplés. En 2007, un blocus sévère a été imposé, limitant drastiquement les mouvements de personnes et de marchandises.
Malgré sa petite taille, Gaza est riche en patrimoine archéologique et historique. Des études menées au cours du siècle dernier ont révélé l’existence d’environ 130 sites, ainsi que de 256 bâtiments historiques et les vestiges d’anciennes villes et villages répartis entre la ville de Gaza, Khan Younès, Deir el-Balah, Rafah, Beit Hanoun ainsi que dans huit camps de réfugiés et de nombreux villages.

Le nom ancien cananéen de Gaza était « Gazzato », mentionné dans des textes égyptiens datant du XVe siècle av. J.-C. Connue comme la « ville de Canaan », Gaza était l’une des cinq villes alliées des traditions bibliques, imprégnée de légendes religieuses comme celles de Samson et Dalida, ou de Goliath. Elle apparaît également dans des textes assyriens et dans des inscriptions de Main, au Yémen. Reliée à la péninsule arabique par la route de l’encens, Gaza est devenue, dès le VIIe siècle av. J.-C., un centre commercial majeur de la région, servant d’emporium méditerranéen pour la péninsule arabique. Elle entretenait des liens commerciaux, culturels et même matrimoniaux avec le Yémen.
Des sources classiques mentionnent Gaza lors de la campagne d’Alexandre le Grand. En 332 av. J.-C., Alexandre faillit y perdre la vie face à un rebelle arabe, alors que son gouverneur, Batis, refusait de se rendre. À l’époque préislamique, Gaza prospérait grâce au commerce avec la tribu mecquoise des Quraysh. Hachim ibn Abd Manaf, le grand-père du Prophète Mahomet, y est mort et est enterré, donnant à la ville le surnom de « Ghazzat Hashim » (« la Gaza de Hachim »).
Gaza conserva son importance en tant que port stratégique et halte sur la route entre l’Égypte et la Syrie tout au long de l’ère islamique arabe. Le fort de Khan Younès, construit à l’époque mamelouke, en fit la deuxième ville la plus peuplée de la région après Gaza elle-même. La ville est également le lieu de naissance du célèbre juriste ash-Shafi’i, fondateur de l’école de jurisprudence chaféite, qui écrivit ces vers en hommage à sa ville natale :

J’aspire à la terre de Gaza,
Bien que, après une longue séparation,
J’eusse réprimé ce désir, mais il m’a trahi.

 
La protection du patrimoine dans le cadre juridique international

Selon le droit international, les territoires palestiniens occupés – la Cisjordanie, y compris Jérusalem, et Gaza – sont des terres occupées, et Israël, en tant que puissance occupante, doit donc se conformer aux lois qui stipulent l’obligation des États membres de protéger le patrimoine culturel et naturel sous leur contrôle. Des conventions spécifiques s’appliquent : la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (1948) ; la quatrième Convention de Genève et ses annexes (1949) ; la Convention de La Haye pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé (1954) ; et la recommandation de l’Unesco sur les principes internationaux applicables aux fouilles archéologiques (1956).
De plus, l’article 27, paragraphe 4, de la quatrième annexe des règlements de La Haye de 1907 précise que le devoir des forces armées en situation de siège est de prendre toutes les mesures nécessaires pour ne pas endommager les lieux de culte et autres bâtiments abritant des institutions artistiques, scientifiques ou caritatives, ou des artefacts historiques. L’article 56 de la Convention de La Haye de 1954 interdit tout dommage aux lieux de culte, aux institutions caritatives et aux sites historiques, tandis que son cinquième article oblige toutes les parties occupant une région ou un sous-district à offrir un soutien à la partie dont la terre a été occupée afin de prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger ses biens culturels.

Les protocoles attachés à la quatrième Convention de Genève de 1977, à savoir les articles 53 du premier protocole et 16 du second protocole, interdisent la commission d’actes destructeurs dirigés contre des sites historiques, des œuvres d’art ou des lieux de culte qui incarnent l’héritage spirituel d’un peuple. Un certain nombre d’autres accords internationaux s’appliquent également aux territoires occupés : la Convention de l’Unesco sur les moyens d’interdire et de prévenir l’importation, l’exportation et le transfert illicites de propriété culturelle (1970) ; la Convention du patrimoine mondial, précédemment nommée Convention concernant la protection du patrimoine culturel et naturel mondial (1972) ; la Convention de l’Unesco sur la protection du patrimoine culturel subaquatique (2001) ; la déclaration de l’Unesco concernant la destruction intentionnelle du patrimoine culturel (2003) ; la Convention de l’Unesco pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel (2003) ; et des dizaines de résolutions émises par l’Unesco.

L’assaut actuel sur Gaza constitue une violation flagrante du droit international humanitaire, en particulier de la Convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide. Néanmoins, la volonté politique internationale a été beaucoup plus silencieuse concernant l’assaut actuel sur Gaza que ce qu’elle a pu être au cours d’autres conflits. Lors des guerres récentes en Irak et en Syrie, l’Unesco a joué un rôle efficace dans le suivi de la destruction du patrimoine culturel. À la suite de l’attaque de sanctuaires au Mali par des gangs armés, l’organisation a porté l’affaire auprès de la Cour pénale internationale et a plaidé pour que ces exactions ne restent pas impunies. L’instance judiciaire qualifiera cette attaque de « crimes de guerre ». Par la suite, une délégation internationale polyvalente, en coordination avec l’Unesco, sera chargée de protéger les sites culturels et historiques au Mali. Irina Bokova, alors directrice générale de l’Unesco, a considéré que le consensus atteint concernant la résolution 2347 du Conseil de sécurité de 2017 sur la protection des biens culturels, jugé important pour la sécurité, indiquait qu’« un nouveau paysage culturel » était en train de se construire et qu’« une nouvelle conscience globale » était en train d’émerger « pour protéger la culture pour la paix et la sécurité ». L’histoire enregistrera que l’Unesco, qui avait joué un rôle principal dans cette réalisation majeure, a échoué, sous la direction actuelle, à préserver le patrimoine culturel palestinien à Gaza. La seule mesure qu’elle a prise a été, le 14 décembre 2023, lors d’une réunion spéciale pour discuter de la Convention sur la protection des biens culturels en cas de conflit armé, d’inscrire le site de Tell Umm el-‘Amr sur la liste des sites nécessitant une protection supplémentaire de l’Unesco. Les réactions internationales à ce qui pourrait être considéré comme des crimes de guerre commis contre le patrimoine culturel de Gaza ont été discrètes ; en écho, l’absence d’un rôle efficace de l’Unesco sur la destruction de ce patrimoine a été frappante. D’autres institutions culturelles européennes ont également brillé par leur absence, comme en témoignent les déclarations tièdes émises par le Conseil international des monuments et des sites, l’Icomos, qui ressemblaient plus à un soutien à l’assaut.

Le cas palestinien ou la destruction systématique du patrimoine

La destruction du patrimoine culturel palestinien par les assauts récents n’est que la suite d’actes similaires commis par Israël au cours des soixante-quinze dernières années, en commençant par l’oblitération de plus de quatre cents villes et villages palestiniens et le nettoyage génocidaire ou l’expulsion d’un million de Palestiniens de leurs maisons et propriétés. Malgré l’horreur manifeste de ces crimes pourtant bien documentés, les Palestiniens n’ont pas pu inscrire leur patrimoine dans la mémoire collective de l’humanité. Depuis octobre 2023, les frappes aériennes et les bombardements israéliens ont entraîné une destruction catastrophique de toutes les sphères de la vie, occasionnant jusqu’à présent quarante et un mille morts et blessant plus de cent mille civils palestiniens, principalement des enfants, des femmes et des personnes âgées. Israël a également détruit les infrastructures de base et les institutions vitales, ciblé les hôpitaux et le personnel de santé, rasé des quartiers entiers en faisant s’effondrer des maisons et des tours résidentielles sur leurs habitants, anéanti des familles entières, déplacé la population en la forçant à se réfugier dans le sud de Gaza et dans d’autres régions manquant d’eau, de nourriture ou d’abri, provoquant ainsi une catastrophe humaine massive.
Plusieurs organisations locales ont commencé à effectuer des évaluations des dommages sur la base de témoignages et de rapports de terrain ainsi que d’informations provenant d’images satellites. Des informations d’une note interne du ministère du Tourisme et des Antiquités, signalant la destruction d’un grand nombre de sites archéologiques et de bâtiments historiques, sont également résumées ci-dessous. Heritage for Peace et l’Icomos-Palestine ont réussi respectivement en novembre 2023 et en janvier 2024 à évaluer les dommages subis par vingt-trois sites. La situation sécuritaire n’a pas permis une évaluation plus approfondie et complète des dommages causés ; l’information a été obtenue avec beaucoup de difficulté en raison des dangers dus aux frappes aériennes, aux tirs d’artillerie, ainsi qu’aux menaces des drones et des tireurs d’élite. Néanmoins, la documentation disponible fournit des preuves de dommages causés à des sites archéologiques, à des villes historiques, à des mosquées, des églises et des sanctuaires religieux, à des musées et des bibliothèques, à des centres de manuscrits[1], à des centres culturels et artistiques, à des universités et des institutions académiques. Les photos obtenues témoignent de la destruction systématique de cinq mille ans de patrimoine culturel et de sites anciens réduits dans de nombreux cas à des tas de gravats.

 
Sites archéologiques

Le ciblage par Israël d’un grand nombre de sites archéologiques a commencé dès le début de la guerre. Le plus notable de ces sites est Tell es-Sakan, au sud de la ville de Gaza, que les archéologues datent de l’âge du Bronze ancien (entre 3200 et 2300 av. J.-C.). Des rapports préliminaires indiquent que Tell el-Ajjul, site emblématique de l’histoire de Gaza durant l’âge du Bronze moyen et tardif (2300-500 av. J.-C.), a également été ciblé, tandis que les sites de Tell el-Mintar et les sanctuaires de Sheikh ‘Ali el-Mintar et Sheikh Radwan ont subi d’importants dégâts. Le site d’el-Blakhiyah, qui représente le port ancien de Gaza, l’Anthédon, construit pendant la période gréco-romaine et actif jusqu’au XIIe siècle, a également été ciblé. Des tirs d’artillerie ont gravement endommagé une église de l’époque byzantine à Jabaliya, avec une probable perte de ses très riches mosaïques représentant des figures humaines, des animaux, des plantes et des scènes mythologiques. Le cimetière historique de la ville, où des centaines de tombes datant des périodes romaine et byzantine avaient été excavées, a également été détruit. Les mosaïques à Abasan al-Kabera, datant de la même période, avaient déjà été détruites lors de la guerre de 2014. Le monastère Saint-Hilarion, sur le site archéologique de Tell Umm el-‘Amr, près du camp de Nousseirat, a été bombardé, et des indications montrent que le cimetière historique de Deir el-Balah sur la côte de la ville a subi d’importants dommages. Ce cimetière, où des fouilles menées de 1972 à 1982 avaient mis au jour des sarcophages anthropoïdes datant du XIIe siècle av. J.-C., représente un site d’importance exceptionnelle.

 
Bâtiments historiques et religieux

Les sites historiques et religieux ont été systématiquement ciblés par des frappes aériennes et des bombardements en 2023 et au début de l’année 2024, provoquant des dommages considérables au patrimoine culturel de la ville de Gaza, de Beit Hanoun, de Deir el-Balah, de Khan Younès et de Rafah, patrimoine qui comprenait des bâtiments historiques, des mosquées, des écoles, des demeures privées, des sanctuaires et des fontaines publiques. Parmi les bâtiments historiques et religieux ciblés les plus significatifs et les plus célèbres se trouvait la grande mosquée Omari, dans le quartier al-Daraj de la ville de Gaza, la plus ancienne et la plus grande mosquée de Gaza. On pense que ce lieu de culte avait été construit sur le site du temple romain dédié au dieu Marnas et de l’église byzantine d’Eudoxie, et remontait aux périodes ayyoubide et mamelouke. Il est particulièrement connu pour ses inscriptions mameloukes et ottomanes. D’une superficie de 4 100 m2, le bâtiment a été totalement rasé.
L’église de Saint-Porphyre, dans le quartier Zaytoun dans la ville de Gaza, a également été presque totalement détruite. Cette ancienne église comprend le tombeau du saint, évêque de Gaza en 425. Le 19 octobre 2023, l’église a été bombardée, détruisant ses murs et ses sols et entraînant l’effondrement du bâtiment qui abritait à ce moment-là les gardiens de l’église et causant la mort de nombreuses personnes de la région, des familles entières, qui s’étaient réfugiées là.


Toutes les mosquées historiques de Gaza ont subi des destructions partielles ou totales. La plus notable d’entre elles est la mosquée Katib el-Wilaya, également située dans le quartier Zaytoun. La plus ancienne partie du bâtiment date d’environ 1334, de l’époque mamelouke. Les parties occidentales de la mosquée ont été construites pendant la période ottomane par Ahmad Bey, le katib wilaya (« secrétaire en chef de la province »), en 1586, et son minaret se dresse à côté du clocher de l’église de Saint-Porphyre. La mosquée Sayed al-Hashim, l’une des plus belles mosquées historiques du quartier al-Daraj à Gaza, a également été détruite. Construite dans le style ottoman avec une superficie d’environ 2 400 m2, elle possède une cour ouverte (sahn), entourée d’arcades. Sous les arcades du côté occidental se trouve une tombe qui serait celle d’Hachim ibn Abd Manaf, grand-père du Prophète Mahomet. La mosquée historique Qashqar ainsi que la mosquée Omari à Jabaliya, construite à l’époque mamelouke, ont également été détruites, tout comme la mosquée de 600 m2 de l’époque mamelouke, Zafardamri, dans le quartier Shuja’iyya, construite par Shihab al-Din Ahmad Azfir ibn al-Zafadamri en 1360. La mosquée Mahkama, de l’époque mamelouke, également à Shuja’iyya, avait été détruite lors de l’attaque de 2014.


Un grand nombre de sanctuaires religieux ont également été détruits, notamment certains à Tell el-Mintar et à Sheikh Ijlin, et le maqam (le sanctuaire) de la légendaire figure d’al-Khidr à Rafah, qui comprend le tombeau de saint Hilarion. Le sanctuaire de l’époque ottomane du prophète Yusuf (Joseph), à l’est de Jabaliya, avait été détruit lors de l’attaque de 2014.
Des édifices publics tels que des écoles, des demeures, des résidences privées et des bains publics ont également été touchés. La guerre actuelle est différente des précédentes dans le sens où elle a systématiquement ciblé les centres historiques de la ville de Gaza, de Beit Hanoun et de Khan Younès. Notable à cet égard est l’exemple de Qasr al-Basha dans la vieille ville de Gaza, un grand palais de deux étages datant de l’époque mamelouke. Sa décoration comprend le rang ou l’emblème héraldiques du sultan Baybars. Il avait été utilisé comme résidence des gouverneurs de Gaza à l’époque mamelouke puis ottomane, période à laquelle il adopte son nom actuel, d’après la famille Radwan qui le possédait alors. Napoléon Bonaparte y a séjourné pendant trois nuits lors de sa campagne contre la Syrie en 1799, et le ministère du Tourisme et des Antiquités l’avait restauré il y a peu, et réaménagé en tant que musée.


La madrasa al-Kamiliya dans le quartier Zaytoun, nommée d’après le sultan ayyoubide al-Kamil qui avait commandé sa construction en 1237, a également été complètement détruite. Sur deux étages et d’une superficie de 537 m2 avec une cour centrale, cette madrasa était utilisée pour l’enseignement et pour le logement des étudiants pauvres et des voyageurs ; elle a été utilisée des siècles durant, jusqu’en 1930. C’était la dernière madrasa restant dans la ville. Sa destruction inclut la démolition presque totale de Dar al-Saqqa dans le quartier Shuja’iyya, qui avait été construit en 1661 par Ahmad al-Saqqa, un éminent marchand gazaoui. Ce manoir sur deux étages avait une superficie totale d’environ 700 m2. La famille al-Saqqa l’avait récemment restauré et transformé en centre culturel. La maison Tarazi, un bâtiment ottoman distingué, a également été ciblée, et des dommages importants ont été infligés à la maison ‘Alami et à l’arcade attenante dans le quartier al-Daraj, l’une des anciennes portes de la ville, située près de la mosquée Omari et du Qasr al-Basha. Le hammam ottoman al-Samra, récemment restauré, a également été détruit, ainsi que la fontaine publique Rifa‘iyya, de l’époque ottomane, construite par Bahram ibn Mustafa Pasha en 1568.
L’hôpital al-Ahli Arabi, dans le quartier Zaytoun, construit en 1882 et exploité par le diocèse anglican de Jérusalem, comprenait treize bâtiments. Il a subi de lourds bombardements le soir du mardi 17 octobre 2023, entraînant le massacre de quelque 471 civils qui y cherchaient refuge, y compris des patients accompagnés de leurs familles.

 
Sites du patrimoine mondial

Trois sites archéologiques inscrits sur la liste préliminaire des sites culturels en Palestine sont situés dans la bande de Gaza : el-Blakhiyah, ou Anthédon, le Tell Umm el-‘Amr, ou monastère de Saint-Hilarion, et le Wadi Gaza, des zones humides côtières classées site de patrimoine naturel.

El-Blakhiyah se trouve sur la côte au nord-ouest de la ville de Gaza, et était le port de la ville durant la période gréco-romaine. Les sources islamiques l’appellent Tida. Le site est situé à un kilomètre de l’ancienne ville portuaire, Maiuma. Des fouilles menées par des équipes conjointes palestiniennes et françaises ont révélé des traces de cultures néo-assyriennes, babyloniennes, perses, helléniques, romaines, byzantines et islamiques précoces. Le site a également révélé les murs de la ville et des quartiers abritant les artisans et la population, dont certains décorés de fresques. On a pu observer des mosaïques de sol, des zones de stockage et des structures fortifiées. Inscrit sur la liste préliminaire du patrimoine mondial palestinien avant son inclusion sur la liste du patrimoine mondial, el-Blakhiyah a été intensément bombardé en 2023 et 2024.

Tell Umm el-‘Amr, ou monastère de Saint-Hilarion, près du camp de Nousseirat, est connu comme l’historique Tabatha, un site qui apparaît sur la carte de Madaba, la plus ancienne représentation cartographique de la région, qui date de la fin du VIe siècle. Le site a été excavé par le département palestinien des antiquités en collaboration avec une mission archéologique française, et les fouilles ont révélé les restes d’un grand monastère datant des périodes byzantine et islamique précoces. Le monastère se compose de deux églises, d’une zone de baptême et d’accueil, en plus d’autres installations, comme des puits, un hammam et un logement pour les pèlerins. Sur les mosaïques au sol, des inscriptions grecques ont été trouvées mentionnant saint Hilarion, né à Gaza en 291 et mort à Chypre en 371. Saint Hilarion était le fondateur du monachisme palestinien, et sa biographie a été écrite par saint Jérôme. Sa renommée s’est répandue dans tout le bassin est-méditerranéen ; sa fête est célébrée à Chypre le 21 octobre. Le site a été inclus sur une liste préliminaire du patrimoine mondial en 2005 en tant que site culturel. Le monastère a été officiellement inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco pendant la 46e session du patrimoine mondial qui s’est tenue à New Delhi, en Inde, en juillet 2024.

Le fleuve Wadi Gaza émerge des collines du désert du Naqab et des hauteurs au sud d’al-Khalil (Hébron), et court de la ligne d’armistice de 1949 à l’est de Gaza jusqu’à la côte, où il se jette dans la mer. Après être entré à Gaza, il mesure sept kilomètres de long. Son lit forme l’une des régions humides côtières les plus importantes sur le bassin oriental de la mer Méditerranée et est riche en diversité géographique et biologique, y compris en tant qu’étape pour les oiseaux migrateurs. En raison de son importance comme habitat naturel, il a été inclus dans la liste palestinienne des sites culturels et naturels de valeur mondiale, et classé comme réserve naturelle qui abrite des espèces menacées ou rares. Depuis le début de la dernière attaque d’Israël sur Gaza, malgré sa haute valeur environnementale en tant qu’escale pour les oiseaux migrateurs et sa biodiversité, ce site a été un lieu majeur des opérations militaires israéliennes.

 

Musées et archives archéologiques

Au moins douze musées locaux et de nombreuses collections d’antiquités ont été systématiquement détruits lors de bombardements aériens et de bombardements terrestres. Nous avons déjà évoqué le Qasr al-Basha. Parmi les pièces qui y étaient exposées se trouvaient des artefacts issus de la plupart des fouilles importantes réalisées dans la bande de Gaza au cours des deux dernières décennies. Des dizaines de milliers d’objets archéologiques se trouvent désormais enfouis sous les décombres. Le musée de Deir el-Balah a également été détruit, et sa collection d’objets archéologiques et de patrimoine ensevelie avec lui ; le musée d’al-Qarara, qui abritait une collection variée d’objets anciens datant de différentes époques historiques, a subi le même sort. Des collections privées telles que la collection de Jawdat al-Khoudari à Gaza et la collection ‘Aqqad ont également été détruites, et de nombreuses autres collections familiales ou privées d’objets anciens ont été anéanties en raison des bombardements intensifs.
Les entrepôts appartenant au département gazaoui des antiquités, qui abritaient des dizaines de milliers d’objets archéologiques, ont été perquisitionnés et auraient été saccagés. Ils contenaient le résultat de fouilles archéologiques palestiniennes et internationales encore à l’étude, des dizaines de milliers de figurines en céramique ou en verre, d’ustensiles en métal et de pièces de monnaie. Les intrusions dans les musées et les magasins constituent pourtant une violation claire de la Convention de La Haye de 1954 pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé.
Des soldats israéliens ont effectué une rafle dans un magasin gazaoui d’antiquités, contenant des artefacts provenants de fouilles palestiniennes et franco-palestiniennes. Des photos et des vidéos ont ensuite été publiées sur Instagram par le directeur des autorités israéliennes des antiquités, et des photos des objets volés ont été exposées à la Knesset, le parlement israélien.

 

Destruction de mosquées et de cimetières

Une campagne de destruction systématique a ciblé les mosquées gazaouies, avec un acharnement sans précédent dans l’histoire moderne. Un rapport du ministère palestinien des Awqaf (dons religieux) daté du 22 janvier 2024 cite la destruction totale ou partielle d’au moins 1 000 mosquées sur un total de 1 200. Les cimetières ont également été ciblés, par exemple le cimetière baptiste chrétien dans la ville de Gaza et le cimetière des soldats du Commonwealth de la Seconde Guerre mondiale, dans le quartier Tuffah, ont subi d’importants dommages, tandis que le cimetière de Beit Hanoun a été détruit et de grandes sections en ont été excavées.

 

Ciblage des monuments de la ville de Gaza

Un rapport de la municipalité de Gaza a conclu que les forces d’occupation ciblaient les principaux monuments culturels de la ville, qui représentent son identité collective. En plus des bâtiments historiques, des mosquées et des églises, les monuments détruits incluent le jardin municipal, le monument du soldat inconnu, le centre culturel Rashad Shawa, le jardin al-Katiba, la bibliothèque publique, le centre pédagogique Is‘ad al-Tufula, la promenade municipale, les Archives centrales, le centre de restauration de manuscrits ainsi que les universités de la ville, des hôtels privés, des complexes touristiques, des centres de services et des centres commerciaux et des infrastructures municipales – routes, stations de traitement des eaux et puits.

 

De la destruction du patrimoine au Génocide

La Convention de 1948 pour la prévention et la répression du génocide a été signée à la suite des horreurs de la Seconde Guerre mondiale, en grande partie grâce à l’avocat juif polonais et réfugié Raphael Lemkin. Ce dernier a plaidé pour que le terme «génocide » soit utilisé pour la destruction physique et culturelle d’un groupe national, religieux ou racial, et a ensuite travaillé pour codifier cette notion au sein du droit international. Bien que cette définition ait été adoptée à l’unanimité dans une résolution de l’assemblée générale de l’ONU en 1946, l’élément de génocide culturel a été retiré du texte final du traité en raison des objections des États ayant une histoire impérialiste de décimation des populations autochtones. Par conséquent, les actions commises dans l’intention de détruire la langue, la religion et la culture d’un groupe humain ne sont pas spécifiquement proscrites par la Convention sur le génocide. Cependant, de nombreux chercheurs estiment aujourd’hui que le résultat visé du génocide culturel est en effet le génocide. Comme l’argumente le sociologue canadien Andrew Woolford, la destruction de l’identité collective des populations autochtones et le vol de leurs terres pour permettre aux colons de les dominer devraient être considérés comme un génocide, car cela prive le groupe de ses moyens d’exister. Raz Segal, un expert juif américain de l’Holocauste à l’université de Stockton aux États-Unis, a au sixième jour du conflit décrit la guerre actuelle à Gaza comme typique des guerres génocidaires visant intentionnellement à la destruction d’un groupe humain. Cette intention a été clairement exprimée dans de nombreuses déclarations faites par des dirigeants politiques et militaires israéliens et est directement liée à des opérations militaires telles que des bombardements, la destruction des infrastructures, un siège très strict, des évictions forcées et l’utilisation de la famine pour ensuite « justifier la violence au nom de l’Holocauste ». Leur objectif est de déconnecter le conflit de son contexte politique – une lutte contre l’occupation –, de comparer les victimes palestiniennes aux nazis et à Daech et de raviver la notion déshumanisante de combat contre la barbarie. Ce dernier point, selon Franz Fanon, était un discours impérialiste privilégié et précédait toujours la conduite d’une guerre criminelle. Le ciblage de centres historiques, de sites archéologiques, d’institutions culturelles et de musées est un autre indicateur d’un schéma délibéré de destruction de l’identité collective d’un groupe humain, tel que défini dans la Convention sur le génocide. John Hocking, membre du tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, a décrit la destruction du patrimoine culturel comme équivalente à un génocide culturel et a déclaré que, chaque fois qu’il y avait destruction culturelle, le génocide devait être suspecté.

 

Conclusion

Les efforts déployés jusqu’à présent pour mettre fin à la guerre à Gaza ont échoué, et malgré la résolution de l’assemblée générale de l’ONU et le veto des États-Unis sur toute résolution du Conseil de sécurité des Nations unies visant à mettre fin à la guerre, l’Afrique du Sud a soumis contre Israël un cas de quatre-vingt-quatre pages à la Cour internationale de justice, soutenant que l’État hébreu avait commis et continuait de commettre un génocide à Gaza. La Cour internationale de justice est considérée comme la plus haute autorité judiciaire de l’ONU. La demande sud-africaine, soutenue par un grand nombre d’États, repose sur la Convention de 1948 sur le génocide, qui proscrit le crime le plus odieux en droit international. Les 11 et 23 janvier 2024, l’Afrique du Sud a plaidé son cas sur la base de preuves objectives et a urgemment demandé qu’une décision soit rendue pour stopper les actes de génocide, qu’il s’agisse d’intention ou des cinq actions classées comme constituant le génocide. De nombreux experts en droit international estiment que les crimes commis par Israël en Palestine sont une conséquence normale de l’impunité accordée à Israël par l’Occident au cours des soixante-quinze dernières années du conflit israélo-palestinien.
Il est clair que des efforts doivent être intensifiés pour mettre fin à cette guerre et apporter une aide humanitaire adéquate. Quel que soit le verdict de la Cour internationale, il ne restaurera pas les vies des victimes ni le patrimoine qui a été perdu. Mais faire appliquer la justice et punir les criminels mettra fin à la perpétuation continue de ces crimes contre l’humanité et empêchera leur récurrence. Cet appel s’adresse à toutes les institutions, tant locales qu’internationales, impliquées dans la conservation du patrimoine culturel et les exhorte à agir avec fermeté pour évaluer les dommages causés et envisager un processus de reconstruction. Le patrimoine palestinien n’appartient pas uniquement à la Palestine ; il est indissociable du patrimoine mondial, et sa destruction est une perte pour l’ensemble de l’humanité.

Notes :
[1] Les centres de manuscrits sont des installations de services spécialisées situées au sein de grandes bibliothèques possédant des collections historiques.

Voir ou revoir l’intervention de Hamdan Taha à la journée d’étude Destruction du patrimoine et urbicide à Gaza