Bien que la résistance armée palestinienne ait fortement influencé et façonné la cause palestinienne depuis la fin du XIXe siècle, la recherche juridique a presque entièrement ignoré la question de sa légalité internationale. En effet, le sujet a été tantôt sous-exploré tantôt sciemment ignoré par les travaux de sciences sociales, y compris ceux des juristes spécialistes de la Palestine[1]. Cet article ambitionne de combler cette lacune. Il montre que malgré les tentatives américano-israéliennes de réfuter le droit du peuple palestinien à mener une lutte armée, celle-ci reste pourtant bien légale sur la base du droit international.
1960-1990 : La légitimation internationale de la résistance armée palestinienne
La résistance armée palestinienne, qui émerge à la suite de l’établissement d’Israël sur les terres de plus de 500 villages palestiniens déracinés entre 1947 et 1949[2], restait sporadique, désorganisée et principalement menée en collaboration avec les régimes arabes voisins, en particulier l’Égypte et la Syrie[3]. Durant cette période, l’ONU n’a pas pris en compte la question de la résistance armée palestinienne en raison de son caractère de faible intensité et de l’absence d’une voix indépendante représentant les aspirations nationales palestiniennes. La transformation de la question palestinienne en sujet juridique international a été facilitée à la fois par le changement de la composition de l’Assemblée générale des Nations unies, progressivement dominée par les nouveaux États indépendants du Sud global qui trouvaient dans le sort du peuple palestinien des échos de leur propre histoire, et par le mouvement indépendant de résistance armée palestinienne qui, après 1967, a joué un rôle crucial dans la réactivation de la lutte armée de libération nationale.
Au début des années 1960, de nombreux pays du Sud global nouvellement indépendants rejoignent l’Assemblée générale des Nations Unies (ci-après « AGNU »). D’un forum contrôlé par les anciens États coloniaux, l’AGNU devient une assemblée dominée par les États décolonisés poussant à l’adoption de résolutions favorables aux intérêts des sociétés du Sud global. À partir de 1960, l’AGNU adopte une série de résolutions affirmant le droit des peuples vivant sous domination coloniale, raciste et étrangère à réaliser leur droit à l’autodétermination[4]. Le principe d’autodétermination, déjà consacré dans la Charte des Nations unies, a ainsi été transformé en un droit doublé d’une obligation juridique internationale de le réaliser, du fait de son invocation constante et continue dans plusieurs résolutions de l’Assemblée générale[5], traduisant une opinio juris.
Majd Darwish
Titulaire d’une maîtrise en droit international de la SOAS (School of Oriental and African Studies), université de Londres, Majd Darwish s’intéresse tout particulièrement à la question de la légitimité de la résistance dans le respect du droit international. Ses travaux portent aussi sur les politiques et l’histoire décoloniale, ainsi que sur l’école Third World Approaches to International Law (TWAIL).
Qu’ils s’agissent de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et peuples coloniaux de l’AGNU de 1960, de la résolution 2105 datant de 1965 ou encore de la Déclaration sur les relations amicales de 1970 et bien d’autres, toutes ont dénoncé le colonialisme, l’occupation étrangère et la domination raciale comme étant contraires à la Charte de l’ONU. Elles ont également affirmé que l’usage de la force pour nier le droit à l’autodétermination était proscrit par le droit international. Bien que n’abordant pas directement la question de la légitimité de la résistance armée, ces résolutions ont néanmoins reconnu le droit des peuples opprimés d’utiliser la force contre la négation de leur autodétermination[6]. La résolution 2105 de l’AGNU est la plus significative puisqu’elle reconnait « la légitimité de la lutte que les peuples sous domination coloniale mènent pour l’exercice de leur droit à l’autodétermination et à l’indépendance ».
La légitimité de la lutte armée se précise après la guerre des Six Jours de 1967. En effet, avec l’émergence de la résistance armée palestinienne comme acteur central de la libération nationale[7], le droit des peuples opprimés à mener une lutte armée pour atteindre leur droit à l’autodétermination est directement reconnu dans les résolutions adoptées par l’AGNU. Dans la foulée de la première reconnaissance des droits des Palestiniens de 1969 à l’AGNU[8], le langage concernant la lutte des peuples sous domination change lui aussi radicalement. Ce changement a été appuyé par l’action militante du mouvement de résistance armée palestinienne qui a aidé à populariser la cause palestinienne au niveau international[9]. En 1970, l’AGNU adopte la résolution 2649, qui détaille les droits des peuples sous « domination coloniale et étrangère » à atteindre l’autodétermination et l’indépendance « par tous les moyens dont ils disposent ». Le texte condamne également le gouvernement israélien pour son déni du « droit à l’autodétermination aux peuples auxquels on a reconnu ce droit »[10]. Enfin, en 1973, l’AGNU adopte la résolution 3070, qui garantit clairement le droit des peuples sous « domination coloniale et étrangère et sous emprise étrangère » de lutter pour atteindre la libération par « tous les moyens en leur pouvoir, y compris la lutte armée »[11]. Dès lors et ce jusqu’au début des années 1990, l’AGNU a systématiquement réaffirmé le droit de tous les peuples sous domination coloniale et étrangère, y compris le peuple palestinien, de mener une lutte armée pour réaliser leur autodétermination[12].
À la différence de l’AGNU, le Conseil de Sécurité des Nations unies (ci-après « CSNU ») a été moins chevronné dans la promotion des droits du peuple palestinien. Le caractère plus réservé du CSNU est lié à sa composition : les États-Unis, la France et le Royaume-Uni, trois des cinq membres permanents du CSNU disposant de droits de veto, sont en effet des puissances occidentales ayant tissé des relations étroites avec Israël. Néanmoins, le conseil a fourni un certain espace juridique pour le mouvement de libération nationale palestinien tout au long de la période « d’activisme » de l’AGNU. Par exemple, le CSNU a systématiquement condamné les représailles militaires israéliennes contre le mouvement de libération palestinien en Jordanie et au Liban[13], deux pays dans lesquels le mouvement s’était successivement établi. Dans les résolutions qu’il a adoptées, le CSNU a qualifié les attaques israéliennes comme illégales et préméditées sans pour autant condamner les actions paramilitaires palestiniennes, sur lesquelles Israël faisait reposer la justification de ses représailles militaires. Lors des discussions au CSNU qui ont mené à l’adoption de ces résolutions, les États membres du Sud global tout comme ceux du Nord considéraient les actions paramilitaires palestiniennes comme une « lutte légitime du peuple de Palestine pour un retour en liberté dans leur propre patrie » et la « conséquence inévitable de l’occupation militaire[14] ». Non seulement la résistance armée palestinienne n’était pas condamnée, mais elle était également justifiée par les États membres du CSNU.
En 1972, l’organisation Septembre Noir prend en otage puis assassine 11 athlètes israéliens lors des Jeux olympiques de Munich. Israël réplique en bombardant le Liban et la Syrie, provoquant le massacre de près de 200 personnes[15]. Dans le sillage de ces événements, les États-Unis annoncent au Conseil de Sécurité qu’ils ne soutiendraient plus l’adoption de résolutions condamnant des actes de représailles israéliens si ces derniers ne sont pas remis dans le contexte d’une provocation induite par des opérations dites « terroristes » palestiniennes et arabes. Les États-Unis ont affirmé qu’Israël était légitime dans ses raids militaires, ayant le droit de répliquer contre des actes terroristes. Ainsi, les États-Unis ont fait peser la menace de leur veto à toute proposition de résolution qui condamnerait uniquement les représailles israéliennes, avertissement appliqué lors de vote sur des résolutions dénonçant des raids israéliens sur la Syrie et le Liban[16]. Cet épisode marque le début des efforts juridiques américains au CSNU pour tenter de légitimer les actions militaires israéliennes contre le peuple palestinien sur la base de la légitime défense. Néanmoins, les États-Unis n’ont pas réussi à imposer leur position à la communauté internationale car aucune résolution justifiant les représailles militaires israéliennes n’a été adoptée durant cette période. De plus, les Américains ont fait preuve d’incohérence dans leur travail juridique et diplomatique, puisqu’ils ont permis au CSNU d’adopter une résolution en 1985 condamnant uniquement Israël pour le massacre de Hammam Chott, en réponse à une opération paramilitaire palestinienne à Chypre ciblant des touristes israéliens[17]. Ainsi, les États-Unis, en près de treize ans, ont échoué à inverser le consensus international considérant les représailles israéliennes.
Bien que la pratique juridique des États du Sud global à l’Assemblée Générale ait conduit à la reconnaissance du droit des peuples occupés, colonisés et racialement discriminés à mener une lutte armée pour atteindre leur droit à l’autodétermination, elle n’est pourtant pas parvenue à criminaliser la domination coloniale du fait du caractère non-contraignant de toutes ces résolutions. De son côté, le Comité international de la Croix-Rouge (ci-après « CICR »), l’organisation responsable de l’observation de l’application des Conventions de Genève, a cherché à réglementer les guerres de libération nationale. Bien que constituant la principale forme de conflits se déroulant dans le monde à l’époque, ces guerres n’étaient en effet pas traitées par le droit international car considérées comme des conflits internes[18]. Soucieux d’internationaliser les conflits de libération nationale, le CICR a présenté deux protocoles additionnels aux Conventions de Genève en 1974. Les États du Sud global et du bloc socialiste ont ensuite proposé des amendements aux protocoles additionnels qui légitimaient les guerres contre le colonialisme, la domination étrangère et les régimes racistes en les caractérisant de Conflits Armés Internationaux (ci-après « CAI »). De plus, ils ont reconnu certaines tactiques de guérilla, largement pratiquées par les mouvements de libération nationale, y compris l’OLP[19]. En 1977, les amendements ont été adoptés, sans ratifications américaine et israélienne[20]. Néanmoins, la Cour Suprême israélienne a reconnu les Protocoles additionnels comme faisant partie du droit international coutumier, confirmant l’obligation d’Israël à s’y conformer[21].
Les manœuvres juridiques d’Israël pour délégitimer la résistance armée palestinienne
À la suite de la seconde Intifada, plusieurs avocats de l’armée israélienne tentent d’établir un nouveau cadre juridique aux appareils sécuritaires qui élargirait la belligérance d’Israël contre le peuple palestinien sans accorder à la résistance armée palestinienne une quelconque forme de légitimité ou de protection.
Dans leurs tentatives de délégitimation de la lutte armée palestinienne, les Israéliens ont considéré que la résistance armée ne relevait ni de la forme du Conflit Armé International (ci-après « CAI ») ni de celle du Conflit Armé Non International (ci-après « CANI »), mais uniquement d’une situation de confrontation « presque guerrière » (almost war)[22]. Les deux cadres de conflit établis au niveau international, le CAI et le CANI, confèrent au peuple palestinien le droit d’utiliser la force dans les limites de la loi applicable[23]. En reconnaissant le conflit comme un CAI, Israël devrait non seulement reconnaître les droits et le statut accordés aux militants palestiniens dans ce type de conflit, mais il serait également obligé, selon le droit international coutumier, de « s’abstenir de toute action forcée privant » le peuple palestinien vivant sous « domination étrangère et coloniale » d’atteindre son droit à l’autodétermination[24]. Israël a alors établi une troisième classification lui permettant d’ancrer sa domination coloniale sur le peuple palestinien : la catégorie de « conflit armé moins qu’une guerre » (armed conflict short of war)[25].
Les avocats militaires israéliens ont affirmé que les hostilités uniques auxquelles Israël est confronté « révèlent des faiblesses dans le système juridique d’avant-guerre, et il est nécessaire d’adapter de manière permanente la loi aux nouveaux développements[26] ». Israël s’est ainsi octroyé le droit d’élaborer de nouvelles régulations juridiques basées sur sa confrontation à la menace unique du « terrorisme ». La nouvelle classification israélienne autorise l’usage total de la force militaire contre le peuple palestinien tout en perpétuant le traitement colonial israélien des Palestiniens comme personnes non-juridiques, sans aucun droit à l’usage de la force[27]. Ainsi, Israël substitue le cadre juridique d’occupation – stipulant qu’une puissance occupante se doit protéger les populations qui vivent dans les territoires occupés et ne peut utiliser la force létale qu’en dernier recours – à un cadre de droit de la guerre, passant par une nouvelle classification de la confrontation comme un « conflit armé moindre ampleur qu’une guerre ». En d’autres termes, la guerre peut être déclarée contre le peuple palestinien, sans qu’aucune riposte palestinienne ne soit justifiable et légale.
La caractérisation juridique par Israël de son conflit avec le peuple palestinien a été rejetée au niveau international. Un an après le début de la seconde Intifada, les Hautes Parties contractantes à la Convention de Genève, qui regroupent tous les États membres de l’ONU, ont rejeté la tentative d’Israël de passer du cadre du droit de l’occupation au cadre des lois de la guerre et ont réaffirmé l’applicabilité du droit de l’occupation tel qu’exposé dans les Conventions de Genève[28]. L’Union européenne et le Parlement européen ont également rejeté le cadre israélien de « conflit armé moindre ampleur qu’une guerre » et ont souligné l’applicabilité de la Quatrième Convention de Genève de 1949, la pierre angulaire du droit en contexte d’application[29], à la situation palestinienne. En outre, la Cour internationale de Justice, dans son avis consultatif de 2004 sur la construction par Israël du mur de séparation en Cisjordanie, a appelé Israël à mettre fin à sa violation des lois relatives à l’occupation et a déclaré que tous les États parties aux Conventions de Genève avaient l’obligation juridique d’assurer le respect par Israël de ces mêmes lois[30].
Dans la foulée des attentats du 11 septembre, les États-Unis ont poussé à l’adoption de résolutions au CSNU leur fournissant une base juridique pour invoquer la légitime défense dans le cadre d’engagements militaires contre des acteurs non-étatiques « terroristes ». Les efforts américains ont mené à l’adoption des résolutions 1368 et 1373 du CSNU. Ces deux résolutions confèrent aux États-Unis, et potentiellement à tous les autres États, le droit d’invoquer la légitime défense pour répondre aux attaques armées « terroristes » conduites par des acteurs non-étatiques[31]. Alors qu’Israël depuis la fin des années 2000 ne cesse d’invoquer son droit de s’engager militairement contre les « attaques armées » palestiniennes, l’État hébreu trouve dans l’adoption de ces résolutions une base juridique internationale pour invoquer son prétendu droit à la légitime défense[32]. L’invocation par Israël des résolutions 1368 et 1373 du CSNU pour justifier ses campagnes militaires contre le peuple palestinien a été rejetée par la CIJ dans son avis consultatif de 2004. La Cour a indiqué que les résolutions 1368 et 1373 du CSNU sont inapplicables à Israël car la menace armée « provient de l’intérieur, et non de l’extérieur » des Territoires palestiniens occupés. Ainsi, Israël ne peut invoquer ces résolutions pour appuyer sa revendication d’un droit à la légitime défense[33].
Depuis son désengagement unilatéral de la bande de Gaza en 2005, Israël ne cesse d’affirmer qu’il n’occupe plus la bande côtière, présentant ainsi ses actions militaires comme des actes de légitime défense. Les affirmations d’Israël ont été invalidées par les réalités sur le terrain. John Dugard et Francesca Albanese, tous deux rapporteurs spéciaux de l’ONU sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés, ont indiqué qu’Israël exerce toujours un contrôle effectif sur la bande de Gaza, quand bien même ses forces armées ont été redéployées en dehors de la bande[34]. La Cour pénale internationale, la mission d’enquête du Conseil des droits de l’hmme dans la bande de Gaza, le CICR et de nombreuses organisations de droits de l’homme ont également conclu qu’Israël occupe toujours la bande de Gaza[35]. Israël exerce en effet un contrôle effectif sur ce territoire du fait de sa mainmise sur les passages frontaliers (à l’exception du passage de Rafah), l’espace aérien et les eaux territoriales, le registre de la population, le réseau de télécommunications, la sphère électromagnétique et la distribution des revenus fiscaux[36]. Ainsi, selon le droit international, la bande de Gaza est toujours sous « occupation étrangère » et le peuple palestinien de Gaza peut revendiquer son droit de résister à l’occupation « par tous les moyens disponibles, y compris la lutte armée ». Un tel raisonnement a été soutenu par John Dugard lui-même lorsqu’il a déclaré que les factions de résistance palestiniennes étaient « obligées de porter leur résistance à l’occupation et au siège illégal de Gaza à Israël lui-même[37] ». Cette déclaration précise clairement que les Palestiniens ont le droit de cibler Israël « à l’intérieur de la ligne verte ». Le récit israélien qui décontextualise la résistance armée de Gaza en affirmant qu’elle n’est pas justifiable du fait de la prétendue absence de « contrôle effectif » est ainsi entièrement démonté.
La situation contemporaine de la résistance armée palestinienne dans le droit international
En 1988, l’OLP a officiellement rejoint le processus de négociations mené par les États-Unis en acceptant les conditions américaines pour sa participation à un accord de paix. Les conditions américaines, biaisées en faveur des intérêts d’Israël, exigeaient que l’OLP reconnaisse le droit d’Israël à exister et renonce au « terrorisme[38] », ce qui signifiait que l’OLP devait renoncer à la lutte armée pour libérer la Palestine historique. Par conséquent, l’AGNU n’a plus produit de résolutions reconnaissant le droit palestinien à la résistance armée à partir du début des années 1990. Outre la capitulation de l’OLP, la fin du soutien au droit à la lutte armée par l’AGNU s’explique par la chute des États du bloc socialiste à la fin de la Guerre froide. De plus, à la suite de la signature des accords d’Oslo de 1993 entre Israël et l’OLP, qui ont entamé les négociations directes officielles entre les deux parties, l’AGNU a cessé d’affirmer l’illégalité de l’occupation israélienne et a commencé à exprimer son « espoir » qu’elle prenne fin à travers des négociations directes dans le cadre d’une solution à deux États[39]. Enfin, bien que l’AGNU ait déclaré qu’elle « déplore » certains actes spécifiques de résistance armée palestinienne dans une de ses résolutions[40], elle a également invoqué une résolution du CSNU qui exige que les forces de sécurité palestiniennes et israéliennes coordonnent leur action pour faire face au « terrorisme[41] ».
En dépit de cette démobilisation, toutes les tentatives américano-israéliennes de criminaliser la résistance armée palestinienne au niveau international ont été rejetées. Aujourd’hui, si l’AGNU ne produit plus de résolutions invoquant le droit palestinien de mener une lutte armée, elle continue de s’opposer aux efforts d’internationaliser, dans son hémicycle, la condamnation des factions de résistance palestinienne. Par exemple, en 2018, à travers deux projets de résolutions, les Américains ont tenté de faire condamner le Hamas et d’autres groupes de résistance dans la bande de Gaza[42]. Dans les deux cas, ces projets de résolutions ont été rejetés par les États du Sud global. Ces derniers ont pointé le fait que ces résolutions américaines détournent l’attention des causes profondes de la violence, à savoir le régime d’occupation prolongé d’Israël[43]. Le Hamas a de son côté accueilli avec satisfaction le résultat des sessions de l’Assemblée générale, considéré comme une affirmation de la « lutte palestinienne[44] ». Danny Danon, représentant permanent d’Israël auprès de l’ONU avait à l’époque alors décrit l’AGNU comme « l’ogives sur les missiles du Hamas[45] ».
Après les attaques du 7 octobre, aucun projet de résolution rédigé par les États occidentaux et Israël pour condamner les attaques et dénoncer le Hamas comme organisation terroriste n’a été adopté, ni au CSNU ni à l’AGNU. Le représentant de la Chine a souligné que le peuple palestinien a le droit à la lutte armée pour atteindre son droit à l’autodétermination lors de l’audience de la CIJ sur l’occupation israélienne [46]. Si le recours palestinien à la lutte armée n’est plus un droit invoqué à l’AGNU, il reste un droit coutumier international contraignant, et toutes les tentatives de changer cette réalité ont été systématiquement rejetées et ignorées, et ce jusqu’à aujourd’hui.
La désignation du Hamas, du Jihad islamique palestinien, du Front populaire de libération de la Palestine et d’autres mouvements palestiniens comme organisations terroristes par un certain nombre d’États (principalement occidentaux ou alignés sur l’Occident) ainsi que par des organisations régionales ne reflète donc pas un consensus international. La désignation d’importantes factions palestiniennes comme « terroristes » témoigne de préoccupations nationales sans pour autant présenter de base juridique. Les tentatives d’internationalisation de la désignation « terroriste » n’ont donc pas abouti sein de l’ONU : l’AGNU a continué de résister aux tentatives de condamner le Hamas et les autres factions armées palestiniennes et le CSNU n’a ajouté aucune organisation palestinienne à sa liste de sanctions.
Conclusion
En conclusion, le droit des Palestiniens à mener une lutte armée pour réaliser leur droit à l’autodétermination a été systématiquement invoqué à l’AGNU pendant la période « décoloniale » de l’Assemblée, du fait de l’activisme des États nouvellement indépendants du Sud global et du bloc socialiste. Le travail juridique de ces groupes d’États a conduit à l’internationalisation et à la réglementation des luttes de libération nationale. Les Protocoles additionnels aux Conventions de Genève de 1977, en faisant entrer les guerres de libération nationales dans le cadre du conflit armé international, ont consacré la légalité de la résistance armée dans le droit international coutumier.
Depuis la renonciation de l’OLP au « terrorisme » et la chute du bloc socialiste, ce droit n’est plus systématiquement invoqué à l’AGNU. Néanmoins, le recours à la lutte armée palestinien est toujours légal au vu de l’occupation prolongée d’Israël et toutes les tentatives occidentales et israéliennes de délégitimer la résistance armée palestinienne au niveau international ont été écartées.
Notes :
[1] Seuls W. T. et S. V. Mallison ont avancé une défense juridique de la lutte armée palestinienne. Publié en 1973, leur ouvrage The Juridical Characteristics of the Palestinian Resistance: An Appraisal in International Law n’a néanmoins pas pu étudier la vague d’activisme juridique qui, jusque dans les années 1990, étend les droits des sociétés colonisées et occupées. Les travaux plus contemporains de Noura Erakat et de George Bisharat ont quant à eux surtout cherché à contrer les efforts juridiques israéliens pour délégitimer la résistance armée palestinienne sans se pencher sur la légalité de cette dernière. Échouant à prendre en considération tout le corpus juridique international disponible, John Quingly et Richard Falk n’ont pu avancer qu’une analyse partielle de la légalité de la lutte armée. Enfin, Henry Cattan et Ardi Imseis ont ignoré la lutte armée palestinienne dans leurs recherches.
[2] Ilan Pappe, The Ethnic Cleansing of Palestine (Oneworld Publications, 2006) XVII
[3] Yazid Sayigh, Armed Struggle and The Search for State: The Palestinian National Movement, 1949-1993 (Oxford University Press, 2000) 60-65
[4] UNGA Res. 1514 (14 December 1960) A/RES/1515; UNGA Res. 2105 (20 December 1965) A/RES/2105; UNGA Res. 2625 (24 October 1970) A/RES/2625; UNGA Res. 3314 (14 December 1974) A/RES/3314
[5] Malcolm Shaw ‘The International Status of National Liberation Movements’ (1983) 5(1) The Liverpool Law Review 19, 21
[6] Remi Brulin, ‘Compartmentalization, contexts of speech and the Israeli origins of the American discourse on ‘’terrorism’’’ (2015) 39(1) Dialectical Anthropology 5-6
[7] Michael Hudson, ‘The Palestinian Arab Resistance Movement: Its Significance in the Middle East Crisis’ (196) 23(3) Middle East Journal 291
[8] UNGA Res. 2535 (10 December 1969) A/RES/2535
[9] Hudson (n 11) 307
[10] UNGA Res. 2649 (30 November 1970) A/RES/2649
[11] UNGA Res. 3070 (30 November 1973) A/RES/3070
[12] UNGA Res. 3246 (29 November 1974) A/RES/3246; UNGA Res. 35/35 (14 November 1980) A/RES/35/35; UNGA Res.37/43 (27 January 1983) A/RES/37/43; UNGA Res. 42/95 (7 December 1987) A/RES/42/95; UNGA Res. 45/130 (14 December 1990) A/RES/45/130
[13] John Quigly, The Case for Palestine: An International Law Perspective (Duke University Press, 2005) 198; UNSC. Res. 248 (24 March 1968) UN Doc S/RES/248; UNSC Res. 262 (31 December 1968) UN Doc S/RES/262; UNSC Res. 280 (19 May 1970) UN Doc S/RES/280
[14] Armand Bérard & Agha Shahi, Permanent Representatives of France and Pakistan to the United Nations (Statement at the 1402nd Security Council meeting, New York, 21 March 1968)
[15] Avery Plow, Targeting Terrorists: A License to Kill? (Ashgate Publishing 2008) 45
[16] Brulin (n 3) 7
[17] UNSC Res. 573 (4 October 1985) UN Doc S/RES/573
[18] Jochen Von Bernstroff, ‘The Battle for Recognition of Wars of National Liberation’ in Phillip Dan and Jochen Von Bernstroff (eds), The Battle for International Law: South-North Perspectives on the Decolonization Era (Oxford University Press, 2019) 55
[19] Protocol Additional to the Geneva Conventions of 12 August 1949, and relating to the Protection of Victims of International Armed Conflicts (adopted 8 June 1977, entered into force 7 December 1978) 1125 UNTS 3 Art 44(3)
[20] Von Brenstroff (n 13) 56-57
[21] Craig Jones, The War Lawyers: The United States, Israel, and Judicial Warfare (Oxford University Press, 2020) 182
[22] Noura Erakat, Justice for Some: Law and the Question of Palestine (Stanford University Press, 2019) 178
[23] Erakat (n 2) 179
[24] UNGA Res. 2625 (24 October 1970) A/RES/2625(XXV); UNGA Res. 37/43 (3 December 1982) A/Res/37/43; UNGA Res. 45/130 (14 December 1990) A/Res/45/130
[25] Ce terme est utilisé dans une lettre du 20 février 2001 adressée au Secrétaire Général par le Chargé d’affaires de la mission permanente d’Israël aux Nations Unies. Part III: General Aspects of the Current Violence – c. The Nature of the Conflict’ [IRL]
[26] Yoram Dinstein, ‘The Recent Evolution of the International Law of Armed Conflict: Confusions, Constraints, and Challenges’ (2018) 51(3) Vanderbilt Journal of Transnational Law 701, 707
[27] Noura Erakat, Justice for Some: Law and the Question of Palestine (Stanford University Press, 2019) 179
[28] Government of Switzerland, ‘Conference of High Contracting Parties to the Fourth Geneva Convention: Declaration’ (United Nations website 2001)
[29] Ellen Margrethe Løj, Permanent Representative of Denmark to the UN, ‘Statement by the Presidency on behalf of the EU on the report of the Secretary-General on Jenin’ (Speech at the Special Session of the General Assembly: Report of the Secretary-General on the recent events that took place in Jenin and other Palestinian cities, New York, August 5, 2002)
[30] Legal Consequences of the Construction of a Wall in the Occupied Palestinian Territory (Advisory Opinion) [2004] ICJ Rep 136 para 159
[31] UNSC Res. 1368 (12 September 2001) UN Doc S/RES/1368; UNSC Res. 1373 (28 September 2001) UN Doc S/RES/1373
[32] Erakat (n 2) 189
[33] The Wall (n 29) para 139
[34] United Nations Human Rights Council, Fourth Session 2007 ‘Report of the Special Rapporteur on the situation of human rights in the Palestinian territories occupied since 1967, John Dugard’ (29 January 2007) ; David Hurst, ‘Australia and other western governments ‘paralysed’ in response to Gaza conflict, says UN expert’ The Guardian (14 November 2014)
[35] Situation on Registered Vessels of Comoros, Greece and Cambodia (Article 53(1) Report) ICC-01/13-6 AnxA (6 November 2014); United Nations Human Rights Council ‘Report of the United Nations Fact-Finding Mission on the Gaza Conflict’ (15 September 2009) UN Doc. A /HRC/12/48, 676; ‘Israel and the Occupied Territories’ (ICRC); ‘Israel: ‘Disengagement’ Will Not End Gaza Occupation’ (Human Rights Watch, 2004)
[36] Erakat (n 2) 195
[37] John Dugard, ‘Debunking Israel’s self-defence argument’ Aljazeera America (31 July 2004)
[38] Rashid Khalidi, The Hundred Years’ War on Palestine: A History of Settler Colonialism and Resistance, 1917-2017 (Metropolitan Books, 2020) 178
[39] UNGA Res. 49/36 (9 December 1994) A/RES/49/36; UNGA Res. 50/29 (6 December 1995) A/RES/50/29; UNGA Res. 55/130 (8 December 2000) A/RES/55/130; UNGA Res. 60/104 (8 December 2005) A/RES/60/104; UNGA Res. 66/76 (9 December 2011) A/RES/66/76; UNGA Res. 74/87 (26 December 2019) A/74/87
[40] UNGA Res. ES-10/L.23 (13 June 2018) A/RES/ES-10/L.23
[41] UNGA Res. 2334 (23 December 2016) A/RES/2334; UNGA Res. 73/L.49 (6 December 2018) A/RES/73/L.49
[42] Raphael Ahern, ‘UN General Assembly condemns Israel for ‘excessive’ force at Gaza border’ The Times of Israel (14 June 2018); UNGA Res. 12101 (29 November 2018) UN Doc A/73/L.42
[43] ‘General Assembly Adopts Text Reiterating Call for Comprehensive Middle East Peace, after Failing to Pass Resolution Condemning Actions by Hamas in Gaza’ (United Nations Press, 2018)
[44] ‘UN General Assembly rejects US resolution to condemn Hamas’ Deutsche Welle (7 December 2018)
[45] ‘GA Votes on Resolution Condemning Israel’ (Permanent Mission of Israel to the United Nations, 2018)
[46] ‘China tells ICJ: Palestinians have the right to use ‘armed force’ against Israel’ Middle East Eye (22 February 2024)