Article publié par la revue Esprit, numéro de mai 2025.
L’Algérie a acquis son indépendance il y a plus de soixante ans. Paradoxalement, comme en témoigne la grave crise qui vient d’intervenir, les relations avec la France sont plus tendues qu’elles ne l’étaient en 1962, après une « guerre de libération » meurtrière. Ainsi, le temps n’a pas apaisé des relations qui restent fondamentalement conflictuelles malgré les efforts de réconciliation de part et d’autre. Comment expliquer une telle situation ? Quelles sont les racines de la crise actuelle ? Que faire pour avoir avec l’Algérie des relations privilégiées et apaisées ?
Le poids de l’histoire
Dans la mémoire, voire dans l’inconscient des deux peuples, les traumatismes du passé jouent une grande place. Ce passé est souvent mis en avant du côté algérien. Le rappel de la guerre et de son million de « martyrs » est fait de façon implacable, comme en témoigne la visite du mémorial qui se dresse sur les hauteurs d’Alger. Le ressentiment porte également sur les
périodes antérieures, qu’il s’agisse des débuts de la colonisation, au sujet de laquelle on évoque les « enfumades » perpétrées par le général Bugeaud au moment de la conquête, ou des massacres de Sétif en 1945. Ainsi, le système colonial fait l’objet d’un procès continu et les accusations de génocide sont récurrentes.
Du côté français, la relation avec l’Algérie est aussi lourde de traumatismes. Elle a conduit à la chute de la IVe République, mené le pays au bord de la guerre civile en 1958, puis lors du putsch des généraux en 1961. Le souvenir des « événements » demeure dans toutes les familles françaises après l’envoi du contingent en Algérie. Les nombreuses pertes subies, le mal‑être des jeunes appelés face aux conditions de la guerre, notamment à la pratique de la torture, restent dans les mémoires des générations qui avaient « 20 ans dans les Aurès ». S’y ajoute le traumatisme des rapatriés d’Algérie, du million de pieds‑ noirs souvent installés depuis plusieurs générations, de la communauté juive et des harkis. Une partie importante de la population française reste encore marquée par ce passé qui ne passe pas.
Denis Bauchard
Ancien diplomate, conseiller pour l’Afrique du Nord et le Moyen- Orient à l’Institut français des relations internationales, il a notamment publié Le Moyen- Orient au défi du chaos. Un demi-siècle d’échecs et d’espoirs (Hémisphères, 2021). Il occupe actuellement les fonctions de Président du CAREP Paris.