Joseph DAHER
Enseignant à la Faculté des Sciences sociales et politiques à l’université de Lausanne et Professeur affilié à l’Institut universitaire européen à Florence dans le cadre du projet « Wartime and Post-Conflict in Syria project », Joseph Daher a récemment publié Le Hezbollah, Un fondamentalisme religieux à l’épreuve du néolibéralisme, Paris, éditions Syllepse, 2019 et Syria After the Uprisings: The Political Economy of State’s Resilience, Londres, éditions Pluto Press, 2019.
1/ Isolement politique et social progressif du Hezbollah sur la scène nationale libanaise depuis 2006
Dès le lendemain du 7 octobre 2023, le Hezbollah a tenté de lier le sort des fronts militaires libanais et gazaouis, stratégie dite de « l’unité des fronts »(3). Cependant, les discours des représentants du parti et son action militaire ont démontré, au contraire, une volonté d’éviter une guerre ouverte avec l’État israélien(4) : les opérations militaires sont restées dans une perspective calculée et relativement modérée, si on les compare à la violence et à l’ampleur des attaques israéliennes(5). Les objectifs du parti étaient de montrer sa solidarité avec leurs alliés politiques palestiniens et d’être crédibles dans l’utilisation de la rhétorique de la résistance, tout en cherchant à protéger leurs intérêts politiques et leur alliance avec l’Iran… L’organisation libanaise ne se doutait certainement pas que la guerre de l’AOI contre la bande de Gaza se poursuivrait aussi longtemps et qu’Israël ferait preuve d’un tel niveau d’intensité dans ses attaques contre le Liban. Plusieurs raisons peuvent expliquer la prudence du Hezbollah dans ses opérations contre les forces d’occupations israéliennes jusqu’à l’éruption de la guerre ouverte israélienne à la mi-septembre 2024 : parallèlement à la crise économique profonde vécue dans le pays et à la volonté de la République islamique d’Iran d’éviter le déclenchement d’une guerre régionale qui impliquerait potentiellement un affrontement direct avec Israël et avec les États-Unis, l’isolement progressif politique et social du parti sur la scène nationale, en dehors de sa base populaire chiite, a beaucoup joué(6). Cette situation contraste avec celle de 2006, lors de la guerre israélienne contre le Liban, quand le Hezbollah disposait d’une plus grande popularité au sein des autres confessions religieuses et quand l’accueil des déplacés internes avait été mieux organisé. Un de ses principaux alliés politiques, le Courant patriotique libre (CPL), qui avait signé un document d’entente avec le Hezbollah en 2005 et avait joué un rôle dans l’organisation de l’accueil des déplacés internes lors de la guerre de 2006, critique de manière constante depuis octobre 2023 la décision du Hezbollah d’être entré en conflit avec Israël, et parle d’« erreur stratégique » à propos de sa politique « d’unité de fronts ». Le CPL a souligné que le parti s’était depuis « affaibli » et qu’il avait « contribué à l’affaiblissement du Liban »(7). Fin octobre 2024, Gebran Bassil, le président du CPL, est allé encore plus loin en affirmant que son parti n’était pas « en situation d’alliance » avec le Hezbollah, et a mis en garde contre les « risques réels de troubles internes » auxquels le pays faisait face(8). Mais certaines raisons de l’isolement politique et social du Hezbollah remontent à bien avant le 7 octobre 2023 et sont liées à son rôle et à ses actions politiques sur les scènes nationales et régionales depuis deux décennies. Tout d’abord, le parti a fait usage de son armement contre d’autres acteurs libanais, par exemple en mai 2008 lorsqu’il a envahi militairement certains quartiers de Beyrouth-Ouest et s’est engagé dans des confrontations armées dans d’autres régions, le Chouf notamment. Ces actions armées se sont déroulées après l’annonce du gouvernement libanais de vouloir démanteler son réseau de communication. Les violences ont pris fin une semaine plus tard, avec pour bilan plus de 80 morts et 250 blessés. Le Hezbollah avait atteint ses objectifs : les décrets des 6 et 7 mai(9) furent finalement annulés par le gouvernement. De même, l’implication militaire du parti au côté du régime syrien pour réprimer de manière sanglante le soulèvement populaire après 2011 a affecté la popularité du parti libanais, à la fois sur les scènes nationales et régionales, tout en provoquant une montée des tensions confessionnelles au Liban. Le rôle du Hezbollah en Syrie a également reflété l’importance croissante qu’il jouait au sein du réseau d’influence iranienne dans la région. Bien que le Hezbollah soit sur l’échiquier libanais doté d’une certaine forme d’autonomie politique, le parti agit comme le principal acteur au service des intérêts politiques régionaux iraniens. Son rôle a été essentiel dans la consolidation et l’expansion du réseau d’alliés régionaux de l’Iran, y compris avec les acteurs étatiques et non étatiques, et encore davantage après l’assassinat en 2020 de Kassem Soleimani, chef du Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI)(10). Dans ce cadre, alors que la résistance contre Israël était au cœur de son identité au moment de la création du parti, le Hezbollah a été de plus en plus subordonné aux objectifs politiques nationaux du parti, de ses alliés et de l’Iran, son sponsor. Entre 2006 et 2023, les armes de la « résistance » ont dès lors de plus en plus été détournées de la lutte contre Israël pour être utilisées à l’intérieur et à l’extérieur du Liban, notamment en Syrie, mais aussi donc pour attaquer les partis politiques libanais. La confrontation militaire avec Israël est devenue secondaire par rapport aux intérêts politiques du parti et de ses alliés régionaux. Le soutien rhétorique à « l’axe de la résistance » et à l’appareil armé du parti a été utilisé pour justifier ses politiques et ses actions. Cela ne signifie pas que la branche militaire du Hezbollah ne jouait plus un rôle contre l’agression et les guerres d’Israël – comme c’est le cas depuis le 7 octobre – mais plutôt qu’elle était subordonnée à d’autres objectifs. Au sein de la population, le Hezbollah a été de plus en plus perçu comme un acteur politique assimilé aux classes dirigeantes, bénéficiant du système politique confessionnel et néolibéral libanais qui a mené le pays à la crise économique et financière de 2019(11). Le parti a en effet participé à tous les gouvernements libanais depuis 2005 et s’est opposé de manière véhémente au soulèvement populaire en 2019 : son ancien secrétaire général, Hassan Nasrallah, accusait les manifestants de plonger le pays dans le chaos et d’être les instruments d’un complot étranger, tandis que les membres et supporters du parti attaquaient et menaçaient les individus participants au mouvement de protestation(12). Reflétant cet isolement, le parti a été impliqué dans un certain nombre d’incidents confessionnels ces dernières années, comme en témoigne en août 2021 l’épisode de Khaldé, une ville au sud de Beyrouth : des combats y ont éclaté entre le Hezbollah et des tribus arabes sunnites locales, faisant trois morts. Le même mois, des miliciens du Hezbollah équipés d’un lance-roquettes voulaient cibler Israël depuis la localité de Chouaya, village majoritairement druze. Des jeunes en colère ont intercepté la camionnette transportant les combattants, leur ont arraché le lance-roquettes, et les ont chassés du village. Deux mois plus tard, en octobre 2021, un autre incident majeur a eu lieu : suite à une manifestation de membres du Hezbollah et de son allié Amal contre Tarek Bitar, le juge chargé de l’enquête sur l’explosion au port de Beyrouth le 4 août 2020, des combats de rue ont éclaté dans le quartier voisin de Tayouné, au sud de Beyrouth. Les affrontements ont opposé des combattants chiites du Hezbollah et d’Amal à d’autres minorités établies dans des quartiers chrétiens, très probablement des membres des Forces libanaises (FL). Cet affrontement de rue a fait sept morts et trente-deux blessés, faisant craindre une nouvelle période de tensions menaçantes pour la stabilité du pays(13). Dans ce cadre, depuis le 7 octobre 2023, le Hezbollah a continuellement tenté d’empêcher que les tensions confessionnelles n’embrasent le pays(14). C’est dans ce contexte national marqué par une guerre violente israélienne soutenue par les États-Unis que le Hezbollah fait face au plus grand défi politique et militaire qu’il ait à relever depuis sa fondation dans les années 1980.2/ Quel avenir politique et militaire pour le Hezbollah ?
L’AOI a provoqué des destructions massives aux infrastructures civiles et militaires du Hezbollah et s’est engagé dans une série d’assassinats de ses hauts dirigeants, y compris son illustre secrétaire général Hassan Nasrallah, à la tête du parti depuis 1992. Les responsables du Hezbollah tentent depuis lors de démontrer que le parti poursuit quand même la voie tracée. Naïm Qassem(15), nouveau secrétaire général du parti élu fin octobre 2024, a d’ailleurs tenté de souligner cela devant ses partisans et ses membres en déclarant lors de son premier discours : « Nous continuons dans les pas de Nasrallah(16). » Pour le Hezbollah, les priorités sont désormais de protéger ses structures internes et sa chaîne de commandement, notamment en comblant le vide au sommet du parti : un nouveau secrétaire général a été élu, il faut maintenant réorganiser les différentes responsabilités politiques et militaires. Lors de sa troisième prise de parole, à la mi-octobre 2024, dans une volonté claire de démontrer la solidité du parti et de ses structures, ainsi que rassurer ses partisans, Naïm Qassem a déclaré « Nous avons récupéré nos forces sur le terrain et remplacé les cadres [que nous avons perdus]. Il n’est pas une seule de nos positions qui reste vacante(17). » Ces priorités expliquent en partie l’évolution rhétorique récente du Hezbollah concernant l’objectif affiché depuis le 7 octobre 2023 : ne pas séparer les fronts de Gaza et du Liban jusqu’à un cessez-le-feu dans la bande de Gaza. En effet, Naïm Qassem et des députés du parti, Hussein Hajj Hassan et Amine Cherri, ont affirmé après l’assassinat de Hassan Nasrallah que leur priorité était de mettre fin à l’agression israélienne contre le Liban et de soutenir un cessez-le-feu, indépendamment d’un arrêt des combats à Gaza(18). De même, lors de sa tournée dans le Golfe, le ministre iranien des Affaires étrangères, Abbas Araghchi, a confirmé la séparation entre les fronts libanais et gazaoui, affirmant qu’« il doit y avoir un cessez-le-feu à Gaza et au Liban, mais l’idée que l’arrêt des combats au Liban est une nécessité et une priorité est également correcte(19) ». Ces acteurs ont tous depuis lors constamment réitéré leur soutien à la mise en application de la phase initiale de la résolution 1701(20) du Conseil de sécurité des Nations unies, y compris le volet concernant le retrait des capacités armées du Hezbollah des zones du sud du Litani et le soutien à l’armée libanaise et à son déploiement dans cette zone, mais sans l’application des résolutions 1559 (2004), et 1680 (2005) appelant au désarment du Hezbollah. Ces déclarations restent cependant lettre morte, car l’AOI poursuit sa guerre meurtrière contre le Liban. Malgré ces défis à relever au plan national et l’incapacité de l’Iran, son principal soutien, d’apporter une aide accrue au Hezbollah, le parti reste l’acteur politique le plus important au Liban, et continue à exercer une influence dépassant ses frontières nationales – notamment en Syrie – et à représenter le fer de lance de l’influence politique de Téhéran dans la région. Les capacités militaires du Hezbollah restent l’atout majeur du parti, et ce malgré les incursions terrestres israéliennes, l’affaiblissement de la communication interne et l’assassinat d’un grand nombre de ses commandants militaires expérimentés. Le parti dispose notamment de plusieurs dizaines de milliers de soldats – probablement environ 50 000, en comptant les réservistes – et d’un vaste arsenal de roquettes et de missiles. Ces dernières semaines, et pour la première fois depuis le 7 octobre 2023, le parti a d’ailleurs fait usage de différents types de missiles longue portée pour frapper des sites militaires dans la périphérie des villes de Haïfa et de Tel-Aviv(21). De même, lors des premières tentatives d’infiltration de l’AOI sur le territoire libanais, les soldats du Hezbollah leur ont infligé des pertes notables, détruisant plusieurs tanks et causant la mort de plusieurs soldats israéliens(22). Parallèlement à sa branche armée, le parti dispose d’un vaste réseau d’institutions, toujours capable de fournir à sa base populaire des services clés et essentiels, même si elles ont été partiellement mises à mal par la guerre et les bombardements israéliens. Ces institutions civiles du Hezbollah sont visées alors même que la population, impactée par la guerre, est sous forte pression, avec des besoins toujours croissants. L’AOI a notamment mené de nombreuses frappes contre plusieurs branches de l’institution financière al-Qard al-Hassan(23) et contre des entrepôts destinés à l’emballage de marchandises avant leur distribution à al-Sajjad, la chaîne de supermarchés du Hezbollah ; elle a assassiné plusieurs secouristes du Comité sanitaire islamique(24) et des membres de la chaîne de télévision al-Manar(25). Même si une forme de solidarité nationale avec les civils tués par l’AOI et une opposition plus globale aux actions d’Israël s’expriment au Liban, des tensions politiques et sociales au sein du pays se sont intensifiées depuis la mi-septembre 2024, reflétées par exemple dans certains problèmes liés à l’accueil des déplacés internes majoritairement issus des régions à majorité chiite, menacés et frappés par les bombardements israéliens, ou dans les critiques politiques à l’encontre du Hezbollah. Les responsables israéliens – du Premier ministre Benyamin Netanyahou au porte-parole Avichay Adraee, à la tête de la division des médias arabes de l’AOI – tentent par leurs déclarations d’alimenter les tensions confessionnelles au sein de la population libanaise, dans le but de provoquer un conflit interne ou, pire, une guerre civile dans le pays. Dans son discours du 8 octobre 2024, Netanyahou a par exemple adressé un message au peuple libanais, l’avertissant qu’il pourrait être confronté à une « destruction comme Gaza » s’il n’agissait pas maintenant pour « sauver le Liban » du Hezbollah. Dans ce cadre, il s’est notamment adressé « à chaque mère et à chaque père au Liban », affirmant : « il existe une meilleure solution pour vos enfants. Levez-vous et reprenez votre pays des mains des terroristes du Hezbollah, soutenus par l’Iran. Vous avez une occasion unique de sauver le Liban avant qu’il ne se transforme en destruction et en souffrance comme nous le voyons à Gaza(26). » Les bombardements israéliens sur les zones accueillant des personnes déplacées provenant de zones majoritairement peuplées de chiites sont également des moyens de susciter des tensions et des divisions confessionnelles ; la frappe en octobre 2024 sur Aito, village situé dans le district de Zghorta, au nord du Liban, habité en majorité par des populations chrétiennes, qui a tué plus de 20 civils déplacés des régions du sud du pays, en est un exemple criant(27). Les tensions sont jusqu’à présent circonscrites et limitées(28) alors que la majorité de la population reste accueillante et compatissante envers les déplacés. Bien conscient de cette situation et voulant éviter tout débordement interne, le Hezbollah cherche à consolider une forme de « couverture nationale » autour de la guerre, ou du moins à apaiser les tensions. Cette orientation trouve un reflet dans la participation de personnalités religieuses chiites proches du Hezbollah – le président du Conseil supérieur chiite, le cheikh Ali Khatib ou le mufti jaafarite, le cheikh Ahmad Kabalan – à une réunion des chefs religieux des principales confessions libanaises, sous la houlette du patriarche maronite, Béchara Raï, pour trouver une position unifiée à adopter au sujet de la guerre. La présence de ces figures proche du parti chiite correspondait à un premier signe d’ouverture à l’égard de l’Église maronite après des mois de relations tendues, notamment en raison des critiques émises de manière répétée par le patriarche Raï contre la décision du Hezbollah d’impliquer le pays dans la guerre contre Israël en soutien au front militaire de la bande de Gaza(29). Cependant, une guerre prolongée dans le temps attisera probablement les tensions confessionnelles et politiques, et particulièrement si aucune solution n’est trouvée pour l’accueil des déplacés internes. C’est d’ailleurs dans ce contexte que le patriarche maronite Raï a appelé, début novembre 2024, à ce que les écoles utilisées pour loger des dizaines de milliers de personnes soient « libérées » afin que les élèves puissent y être scolarisés, et à « protéger les propriétés privées », tout en mettant en garde contre le « spectre de conflits » internes si la question des déplacés est négligée(30). Après la guerre, le Hezbollah devra fournir à sa base populaire les services essentiels, des dédommagements et des aides financières, et assurer la reconstruction des maisons et des infrastructures, comme cela fut le cas en 2006. Cette période représentera alors un véritable défi pour le parti, qui pourra très probablement compter sur Téhéran pour se renflouer financièrement. Un affaiblissement trop important du Hezbollah serait en effet problématique pour la stratégie géopolitique et le réseau d’influence régional de l’Iran(31). Le nouveau secrétaire général Naïm Qassem a d’ailleurs conclu son troisième discours télévisé en mentionnant la promesse de l’ancien secrétaire général Hassan Nasrallah : « Vous retournerez dans vos maisons, que nous reconstruirons pour qu’elles soient plus belles qu’elles ne l’étaient, et nous avons déjà commencé les préparatifs pour cela(32). » Dans ce contexte, il est très difficile d’envisager une baisse significative de la popularité du Hezbollah au sein de sa base populaire. Une grande majorité va très probablement rester fidèle au parti, malgré des critiques potentiellement plus importantes formulées à son encontre et à l’encontre de ses politiques. L’absence d’une alternative politique inclusive et démocratique, au milieu d’une crise économique profonde et continue avec un État et ses services publics aux abonnés absents, joue également en faveur du parti.Conclusion
Le Hezbollah n’avait jamais connu de période aussi dangereuse depuis sa fondation, et il est peu probable que cette situation s’améliore compte tenu des attaques continues de l’État israélien et de l’isolement du parti au plan national. Les objectifs d’Israël au Liban ne se limitent pas seulement au retour des déplacés israéliens dans le nord du pays mais vont même au-delà du retrait des capacités militaires du Hezbollah du sud du Liban jusqu’au nord du fleuve Litani, comme le stipule la phase initiale de la résolution 1701 de l’ONU(33). L’État d’Israël cherche plus largement à affaiblir considérablement le parti au Liban, tant militairement que politiquement, et avec lui le soi-disant « axe de la résistance » dirigé par Téhéran. L’appel du Premier ministre israélien Netanyahou pour un « nouveau Moyen-Orient » reflète les ambitions israélo-américaines d’un nouvel ordre régional dominé par Washington et ses alliés. Dans ce contexte, les rivaux politiques libanais du Hezbollah souhaitent également profiter de ce moment d’affaiblissement du parti pour promouvoir leurs propres intérêts politiques, notamment avec l’objectif de l’élection présidentielle en poussant un candidat hostile, ou en tout cas pas favorable, au Hezbollah ou en affirmant de manière répétée qu’ils ne veulent pas revenir au statu quo politique d’avant le 7 octobre, considéré comme dominé par le Hezbollah. C’est un scénario soutenu par Washington. En effet, le porte-parole du département d’État américain, Matthew Miller, a déclaré au début du mois d’octobre que la guerre au Liban était une opportunité afin de changer le pays sur le plan politique(34). Si les principaux atouts du mouvement ont été de construire une organisation forte et disciplinée, et non un « one-man show » – malgré le culte de la personnalité dont bénéficiait Nasrallah –, la capacité du parti à élargir sa base est très limitée par sa stratégie et ses orientations politiques. Le Hezbollah ne s’est pas engagé dans la construction d’un projet contre-hégémonique qui remettrait en cause le système confessionnel et néolibéral libanais. Il l’a en fait activement soutenu en devenant l’un de ses principaux défenseurs. De plus, le parti a agi comme le centre majeur d’influence des intérêts iraniens dans la région, en particulier après l’éruption des soulèvements populaires en Syrie et au Moyen-Orient et en Afrique du Nord depuis 2011, qui favorisent également un ordre autoritaire néolibéral. Alors que le Hezbollah cherche à étendre sa base populaire, ses perspectives restent pour le moment limitées face à ses contradictions politiques. Voilà qui multiplie les défis, à la fois au niveau national et régional, auxquels doivent faire face les dirigeants du parti.Notes :
[1] Lire Amnesty international, « Risque de génocide à Gaza : ce qu’il faut savoir sur la décision de la Cour internationale de justice », 8 février 2024. URL : https://www.amnesty.fr/conflits-armes-et-populations/actualites/israel-gaza-cour-internationale-de-justice-decision-genocide
[2] Lire Amnesty international, « Sept choses à savoir sur les attaques aux bipeurs et talkies-walkies au Liban », 23 septembre 2024. URL : https://www.amnesty.fr/conflits-armes-et-populations/actualites/sept-choses-a-savoir-sur-les-attaques-aux-bipeurs-et-talkies-walkies-au-liban
[3] Le Hezbollah avait déjà commencé avant le 7 octobre à renforcer sa collaboration militaire avec ses alliés palestiniens et d’autres groupes régionaux soutenus par Téhéran, notamment en Irak et au Yémen. Cette stratégie visait à renforcer sa capacité de dissuasion à l’égard d’Israël.
[4] Les premières cibles du mouvement libanais le lendemain du 7 octobre ont d’ailleurs été les fermes de Chebaa en territoire libanais occupé et non les territoires israéliens. Par la suite, le Hezbollah a visé des sites militaires israéliens avec, récemment, une intensité croissante en réaction aux attaques de l’AOI.
[5] L’AOI a notamment attaqué Beyrouth à deux reprises avant la mi-septembre 2024 – actions considérées comme une « ligne rouge » à l’époque – et assassinant en janvier dans la banlieue sud Saleh al-Arouri, chef adjoint du bureau politique du Hamas, et à la fin juillet Fouad Shokr, haut responsable militaire du Hezbollah. De plus, depuis le début de l’année 2024, les forces d’occupation israéliennes ont continuellement intensifié leurs actions militaires sur de vastes pans du territoire libanais, ne se limitant pas aux régions frontalières.
[6] Une enquête menée en juillet 2024 a montré que le soutien au Hezbollah en dehors de la communauté chiite était l’un des plus faibles de son histoire, avec seulement 30 % de la population libanaise faisant confiance au parti. Lire Mary Clare Roche et Michael Robbins, « What the Lebanese people really think of Hezbollah », Foreign Affairs, 12 juillet 2024. URL : https://www.foreignaffairs.com/lebanon/what-lebanese-people-really-think-hezbollah?check_logged_in=1
[7] Le président du CPL est d’autre part critique du Hezbollah en raison de son soutien à la candidature à la présidentielle de Sleiman Frangié, chef des Marada et rival politique du CPL.
[8] « Bassil : le CPL n’est pas “en situation d’alliance” avec le Hezbollah », L’Orient le jour, 22 octobre 2024. URL : https://www.lorientlejour.com/article/1432420/bassil-le-cpl-nest-pas-en-situation-dalliance-avec-le-hezbollah.html
[9] International Crisis Group (ICG), « Lebanon: Hizbollah’s weapons turn inward », 15 mai 2008. URL : https://www.crisisgroup.org/sites/default/files/b23-lebanon-hizbollah-s-weapons-turn-inward.pdf
[10] Joseph Daher, « The Growth of Hezbollah. The Nexus of Iran’s Influence », ISPI, 22 mars 2023. URL : https://www.ispionline.it/en/publication/the-growth-of-hezbollah-the-nexus-of-irans-influence-121909
[11] Selon une étude de la Banque mondiale publiée en 2024, la part des individus vivant sous le seuil de pauvreté au Liban a plus que triplé entre 2012 et 2022, passant de 12 % à 44 %. Lire World Bank, « Lebanon poverty and equity assessment 2024 : Weathering a protracted crisis », 23 mai 2024. URL : http://documents.worldbank.org/curated/en/099052224104516741/P1766511325da10a71ab6b1ae97816dd20c
[12] Lire Joseph Daher, « Le Hezbollah face au mouvement populaire libanais : du confessionnalisme comme système de domination », Carep, janvier 2020. URL : https://www.carep-paris.org/wp-content/uploads/2020/03/Joseph_DAHER_Le_Hezbollah_face_au_mouvement_populaire_libanais.pdf
[13] Voir Joseph Daher, « Hezbollah is increasingly isolated in the Middle East », Jacobin, 22 octobre 2023. URL : https://jacobin.com/2023/10/hezbollah-israel-palestine-lebanon-iran-history
[14] Le parti a y compris opéré une forme de rapprochement avec des secteurs de la population sunnite libanaise, dont la grande majorité soutient les Palestiniens. Depuis le 7 octobre 2023, les tensions confessionnelles entre sunnites et chiites au Liban ont considérablement diminué. De plus, la Jama’ah al-Islamiya (qui représente la branche du mouvement des Frères musulmans au Liban) a, sous l’égide du Hezbollah, participé à des actions militaires contre les forces d’occupation israéliennes à la frontière libanaise, tandis que de plus en plus de cheikhs sunnites ont ouvertement soutenu la « résistance » lors de leurs prêches du vendredi, y compris des personnalités de haut rang de Dar al-Fatwa, l’organisme officiel de supervision des affaires religieuses des sunnites du Liban, qui s’était par le passé farouchement opposé au Hezbollah. Lire Mohamad Fawaz, « The Jamaa al-Islamiyya charts its own course », Carnegie, 29 juillet 2024. URL : https://carnegieendowment.org/middle-east/diwan/2024/07/the-jamaa-al-islamiyya-charts-its-own-course?lang=en
[15] Qassem occupait jusque lors la position de secrétaire général adjoint du parti, et cela depuis 1991.
[16] Lire « Sheikh Qassem: Hezbollah using minimum of its capabilities, Ready for all scenarios », Al-Manar, 2 octobre 2024. URL : https://english.almanar.com.lb/2213895
[17] Lire Salah Hijazi, « Kassem souffle le chaud et le froid : pas de séparation entre Liban et Palestine… mais le front de soutien est terminé », L’Orient le jour, 15 octobre 2024. URL : https://www.lorientlejour.com/article/1431429/kassem-souffle-le-chaud-et-le-froid-pas-de-separation-entre-liban-et-palestine-mais-le-front-de-soutien-est-termine.html
[18] Lire Salah Hijazi, « Does Hezbollah want to free itself from Iran’s unity of fronts? », L’Orient le jour, 8 octobre 2024. URL : https://today.lorientlejour.com/article/1430437/does-hezbollah-want-to-free-itself-from-irans-unity-of-fronts.html?_gl=1*ryz8u2*_gcl_au*MTEyMDQ1OTAzNC4xNzI4MDI5OTMy
[19] Mounir Rabih, « War in Lebanon: Diplomatic efforts launched, Israel doesn’t want to hear anything », L’Orient le jour, 11 octobre 2024. URL : https://today.lorientlejour.com/article/1430900/war-in-lebanon-diplomatic-efforts-launched-israel-doesnt-want-to-hear-anything.html?_gl=1*2v6773*_gcl_au*MTEyMDQ1OTAzNC4xNzI4MDI5OTMy
[20] Cette résolution du 11 août 2006 appelle en priorité à une cessation complète des hostilités entre Israël et le Hezbollah, et exige le retrait du Hezbollah au nord du fleuve Litani, à 30 km de la frontière et le respect par Israël de la souveraineté libanaise et du retrait de toutes ses forces militaires du Liban. De plus, la résolution appelle « le gouvernement du Liban et la Force intérimaire des Nations unies au Liban, la FINUL, à déployer leurs forces de concert à travers le sud [du Liban] ». Cette résolution mentionne également « l’importance de l’extension du contrôle du gouvernement sur tout le territoire libanais, conformément aux dispositions de la résolution 1559 (2004), de la résolution 1680 (2005) et de l’accord de Taëf », mais ces parties sont rejetées par le Hezbollah et ses alliés, y compris le mouvement Amal, dirigé par Nabih Berri, président de la Chambre des députés du Liban depuis 1992.
[21] Lire Malek Jadah, « Drones, roquettes, missiles : ce que l’on sait sur l’arsenal du Hezbollah », L’Orient le jour, 25 octobre 2024. URL : https://www.lorientlejour.com/article/1432628/drones-roquettes-missiles-ce-que-lon-sait-sur-larsenal-du-hezbollah.html
[22] Entre le 30 septembre (début de l’offensive terrestre israélienne) et le 28 octobre 2024, le nombre de soldats israéliens tués s’élevait à 37.
[23] Al-Qard al-Hassan a été créé en 1983 et distribue des prêts sans intérêt, conformément à la loi religieuse islamique. Selon son site internet, l’institution a prêté plus de 4,3 milliards de dollars depuis 1983, pour un total de plus de deux millions de prêts. Ces prêts sont financés par des dons, des taxes religieuses, des frais administratifs et des cotisations à l’institution. Al-Qard al-Hassan est devenue la plus grande organisation de microcrédit du pays et a étendu ses activités après le déclenchement de la crise financière d’octobre 2019. Elle emploie aujourd’hui près de cinq cents personnes et compte une trentaine d’antennes à travers le pays, presque toutes dans des zones à prédominance chiite, même si des branches se situent dans des localités plus mixtes au niveau confessionnel. L’association compte plus de 400 000 contributeurs.
[24] Le Comité sanitaire islamique a été fondé en 1984. Il dispose aujourd’hui de près de cent agences et emploie environ 4 000 personnes : secouristes, pompiers ou employés des pompes funèbres.
[25] Lire Raphaël Abdelnour, « Al-Qard al-Hassan, Jihad el-Bina’, Manar… Les institutions civiles associées au Hezbollah », L’Orient le jour, 21 octobre 2024. URL : https://www.lorientlejour.com/article/1432191/al-qard-al-hassan-amana-sajjad-manar-ces-institutions-civiles-du-hezbollah.html
[26] Voir « “Libérez votre pays du Hezbollah”, lance Netanyahu dans un message aux Libanais », Le Parisien, octobre 2024. URL : https://www.dailymotion.com/video/x96zz3o
[27] Lire « Israeli strike kills 21 in northern Lebanon as Hezbollah steps up attacks », Al-Jazeera, 14 octobre 2024. URL : https://www.aljazeera.com/news/2024/10/14/israeli-strike-kills-18-in-northern-lebanon-as-hezbollah-steps-up-attacks
[28] Lire Lina Sinjab, « Tensions rise in Beirut after influx of displaced people », BBC, 31 octobre 2024. URL : https://www.bbc.com/news/articles/c99rx89znmlo
[29] Lire Yara Abi Akl, « À Bkerké, les chiites rejoignent Raï à mi-chemin : oui à la 1701 et au “consensus” présidentiel », L’Orient le jour, 17 octobre 2024. URL : https://www.lorientlejour.com/article/1431615/a-bkerke-les-chiites-rejoignent-rai-a-mi-chemin-oui-a-la-1701-et-au-consensus-presidentiel.html
[30] « Raï à la veille de la rentrée scolaire du public : Les écoles doivent être “libérées” de la présence de déplacés », L’Orient le jour, 3 novembre 2024. URL : https://www.lorientlejour.com/article/1434041/rai-a-la-veille-de-la-rentree-scolaire-du-public-les-ecoles-doivent-etre-liberees-de-la-presence-de-deplaces.html
[31] Les objectifs stratégiques de Téhéran, notamment depuis le 7 octobre, ont été d’améliorer sa position géopolitique régionale afin d’être dans les meilleures conditions possibles pour les futures négociations avec les États-Unis, en particulier sur les questions nucléaires et les sanctions, et de garantir ses intérêts politiques et sécuritaires. La dernière attaque iranienne contre Israël doit être considérée dans ce cadre, tout en essayant de réaffirmer une forme de dissuasion, bien qu’inégale par rapport à la supériorité des capacités militaires israéliennes et au soutien apporté par Washington.
[32] Lire « Sheikh Qassem: Hezbollah will hold reins of Israeli beast and return it to barn », Al-Manar, 15 octobre 2024. URL : https://english.almanar.com.lb/2232639
[33] Par exemple, dans un brouillon d’une proposition américaine de cessez-le-feu entre Israël et le Liban, qui a fuité dans la presse israélienne fin octobre 2024, il est stipulé que Tel Aviv garderait la liberté d’attaquer le Liban et le Hezbollah, si le gouvernement libanais ou tout autre organisme de surveillance placé sous les auspices des Etats-Unis ne parvient pas à contrecarrer des situations perçues comme des « menaces » par l’Etat israélien et lui permet également de continuer de survoler l’espace aérien libanais pour recueillir des renseignements.
[34] Ali Harb, « Is Biden administration seeking de-escalation – or driving Middle East war? », Al-Jazeera English, 9 octobre 2024. URL : https://www.aljazeera.com/news/2024/10/9/is-biden-administration-seeking-deescalation-or-driving-middle-east-war