Journée d’étude organisée par le Centre arabe de recherches et d’études politiques de Paris (CAREP Paris) en partenariat avec la Fondation Frantz Fanon et l’Institut de recherche sur le Maghreb contemporain (IRMC).
- Date /horaire : 27 octobre 2022, de 9h30 à 18h.
- En présentiel : CAREP Paris, 12 Raymond Aron 75013 Paris.
- À Distance : s’inscrire sur via bouton “En visioconférence”.
Argumentaire
En Tunisie, le racisme anti-Noirs cible avant tout les Tunisiens noirs, qui représentent environ 10 à 15 % de la population, et les Noirs d’origine étrangère. Alors que la population « noire tunisienne » est formée à la fois de descendants d’esclaves et d’immigrés d’Afrique subsaharienne, le discours social actuel continue d’associer les personnes de peau noire à des descendants d’esclaves, comme l’illustrent des épithètes abid (esclave) ou wasif (serviteur) qui leur sont souvent accolés.
Présente en Tunisie depuis la fin du XIXe siècle, cette racialisation est toujours opérante, et donne lieu à une image dévalorisante de ces populations. Dans l’imaginaire collectif tunisien, les personnes de couleur continuent d’être stigmatisées, assimilées spontanément aux classes sociales inférieures disposant d’un faible niveau d’éducation. Elles restent prisonnières de stigmates les renvoyant tantôt à la violence, tantôt à leur supposée apathie et soumission à une domination sociale.
Ces clichés ont également été plaqués sur les travailleurs immigrés subsahariens qui ont commencé à investir l’espace public tunisien depuis que le gouvernement de Ben Ali (1987-2011) a opéré un rapprochement politique avec l’Afrique subsaharienne. S’ajoute à cela le flux de réfugiés subsahariens ayant fui la Libye depuis 2011. Ces derniers se sont heurtés à un racisme plus accentué que les Tunisiens noirs, du fait qu’en plus d’être de couleur de peau plus foncée, ils ne parlent pas forcément la langue arabe et ne sont pas de confession musulmane. Depuis la révolution de 2010-2011, le mouvement des noirs qui a vu le jour en Tunisie a attiré l’attention des chercheurs qui, en mettant en lumière leurs revendications, ont contribué à nourrir le débat sur la question raciale, aussi bien dans la sphère académique que dans les champs politico-médiatique et militant.
Alors que le triangle “femme-peau noire-disponibilité sexuelle” reste très ancré dans l’imaginaire racial de la société tunisienne, la question des femmes noires s’est posée avec plus d’acuité du fait des nouvelles formes d’oppression et leur convergence. Si la campagne #EnaZeda a mis en exergue le harcèlement sexuel des femmes tunisiennes, le mouvement n’a guère défendu la cause des femmes noires, silence qui a entraîné la création du collectif “Voix des femmes tunisiennes noires”.
Malgré l’adoption le 9 octobre 2018 par l’Assemblée des représentants du peuple tunisien d’une loi sur l’élimination de toutes les formes de discrimination, la question raciale demeure en suspens. Quatre ans plus tard, il nous semble nécessaire d’interroger ses effets ou l’absence d’effets, aussi bien sur ces populations discriminées que sur l’ensemble de la société tunisienne. Tel est l’objectif de cette table ronde qui se propose de faire un état des lieux de la question.
Programme de la journée
9h30 I Accueil du public
9h45 I Mot de bienvenue par Isabel RUCK et Maha ABDELHAMID
10h00 – 11h30 I Panel 1 / Le racisme, l’impensé des sciences humaines et sociales arabes ?
Modération : Leïla SEURAT, CAREP Paris
- Marie PERETTI-NDIAYE, CREF / Université Paris-Nanterre, Racisme et mécanismes d’invisibilisation
- Kmar BENDANA, Université de la Manouba / IRMC, Le racisme en Tunisie : réflexions sur une question minorée dans les SHS (par Zoom)
- Amir AL-AZRAKI, Renison / Université de Waterloo, Anti-Black Racism in Arab Culture: Roots and representations (par Zoom et en anglais)
11h30 – 13h00 I Panel 2 / Racines historiques du racisme en Tunisie
Modération : Mireille FANON-MENDÈS-FRANCE, Fondation Frantz Fanon
- Salah TRABELSI, Université Lumière Lyon II / CIHAM, Les minorités noires en Tunisie face au déni de l’histoire
- M’hamed OUALDI, SciencesPo -Centre d’histoire, Esclavages des Européens, Caucasiens et des Ouest-Africains dans la Tunisie du XIXe siècle : différences historiques et effets sociaux aujourd’hui
- Shreya PARIKH, SciencesPo – CERI / IRMC, Ya Hasra ? Le passé nostalgique comme une construction racialisée (par Zoom)
13h00 – 14h30 I Pause déjeuner
14h30 – 16h00 I Panel 3 / Evolution du racisme dans la Tunisie post-révolutionnaire
Modération : Maha ABDELHAMID, CAREP Paris
- Yasmine WARDI AKRIMI, Université de Gand, La migration subsaharienne en Tunisie au prisme de l’intersectionnalité (par Zoom)
- Inès M’RAD DALI, Université de la Manouba / FLAHM, Être noir.e tunisien.ne après 2011 : changements et positionnements identitaires
- Omar FASSATOUI, MESOPOLHIS, La question raciale en Tunisie : entre politisation et juridicisation
16h00 – 17h30 I Panel 4 / Mobilisations contre le racisme en Tunisie : approches intersectionnelles
Modération : Isabel RUCK, CAREP Paris
- Khayam TURKI, Think Tank Joussour, Au-delà du racisme anti-Noir : l’existence d’un racisme social et régional en Tunisie
- Maha ABDELHAMID, CAREP Paris, S’engager contre le racisme : de la recherche à l’action collective
- Fathia DEBECH, Écrivaine, Résister à travers l’écriture : le cas du roman Mélanine (par Zoom)
17h30 I Conclusions
Biographies des intervenants
Maha ABDELHAMID
Chercheure associée, CAREP Paris
Maha Abdelhamid est une chercheuse tunisienne qui travaille sur les minorités au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Après un doctorat en géographie sociale obtenu en 2018 à l’université Paris X-Nanterre sur « Les transformations socio-spatiales des Oasis de Gabès (Tunisie) : déclin des activités agricoles, urbanisation informelle et dégradation de l’environnement à Zrig, des années 1970 à nos jours », elle a publié plusieurs articles et collaboré avec différentes institutions de recherches : ARI (Arab Reform Initiative), EuroMESCO, IRMC (Institut de recherche sur le Maghreb contemporain). De 2010 à 2012, elle a été la coordinatrice d’un projet égypto-tunisien autour de la dynamique de pauvreté en milieu rural pour le Social Research Center (Amercain University, Le Caire). Avec le CAREP Paris, elle entame un projet sur la thématique : Histoires et vécus des femmes noires en Afrique du nord et au moyen orient : Dynamiques de l’intersectionnalité.
Yasmine AKRIMI
Doctorante, Université de Gand en Belgique
Yasmine Akrimi est doctorante en sciences politiques à l’Université de Gand en Belgique et analyste sur l’Afrique du Nord au centre de recherche Brussels International Center (BIC). Ses recherches portent principalement sur les processus postcoloniaux de racialisation en Afrique du Nord, le fonctionnement du racisme contemporain et son intersection avec les inégalités de genre, l’identité nationale et l’héritage colonial et esclavagiste.
Amir AL AZRAKI
Dramaturge, professeur, Université Waterloo
Amir Al Azraki est un dramaturge arabo-canadien, traducteur littéraire, praticien du théâtre de l’opprimé, professeur agrégé et coordonnateur des études du programme des cultures islamiques et arabes au Collège universitaire Renison de l’Université de Waterloo. Parmi ses pièces, citons Waiting for Gilgamesh: Scenes from Iraq, The Mug, et The Widow. Al-Azraki est l’auteur de The Discourse of War in Contemporary Theatre (en arabe), co-éditeur et co-traducteur de pièces de théâtres irakiennes contemporaines, « A Rehearsal for Revolution » : An Approach to Theatre of the Oppressed (en arabe), et co-éditeur et co-traducteur de la poésie arabe de poètes féminins. Il traduit actuellement l’ouvrage intitulé Representations of the Other : L’image des Noirs dans l’imaginaire arabe médiéval du critique bahreïni Nader Kadhim.
Kmar BENDANA
Professeure émérite, Université de La Manouba
Kmar Bendana est professeure émérite d’histoire contemporaine à l’Université de La Manouba (Tunisie) et chercheuse associée à l’Institut de Recherche sur le Maghreb Contemporain (IRMC, Tunis). Elle s’intéresse à l’histoire des intellectuels et de la culture politique tunisienne à l’époque contemporaine. Ses travaux portent sur l’histoire des revues, du cinéma et sur les conditions de production du savoir (les manuels, l’université, les institutions culturelles). Ses objets d’étude privilégiés sont la traduction, le co-linguisme et l’historiographie en lien avec l’évolution des sciences humaines et sociales consacrées à la Tunisie.
Fathia DEBECH
Écrivaine
Fathia Debech est une écrivaine et traductrice de nationalité franco-tunisienne. Originaire de Mareth (Tunisie), elle part faire ses études à Lyon. Diplômée d’un master en langue arabe à l’Université Lyon III, elle se lance d’abord dans l’enseignement, avant de se consacrer à la littérature, à l’écriture et à la traduction. Fathia Debech compte plusieurs ouvrages à son actif. Son dernier roman Mélanine a obtenu le prix Katara pour le meilleur roman arabophone en 2020.
Mireille FANON MENDES-FRANCE
Juriste, militante
Mireille Fanon Mendès-France est une juriste et militante de la lutte contre le racisme. Elle est la fille aînée de Frantz Fanon et l’épouse du fils de Pierre Mendès France. Mireille est la Présidente de la Fondation Frantz Fanon et experte du groupe de travail sur les Afro-descendants au Conseil des droits de l’homme de l’ONU. En 2013, elle a également fait partie des membres du jury des Y’a Bon Awards 2013.
Omar FASSATOUI
Officier des droits de l’Homme à l’ONU
Omar Fassatoui est docteur en droit et en science politique de Sciences Po Aix en Provence. Il est actuellement officier des droits de l’Homme aux Nations unies, où il travaille essentiellement sur les questions liées à la non-discrimination, et aux droits des minorités et des groupes discriminés.
Inès MRAD DALI
Enseignante, Université de la Manouba
Inès Mrad Dali est enseignante en histoire contemporaine (FLAHM) et docteure en anthropologie sociale (EHESS), Inès Mrad Dali s’intéresse aux phénomènes de l’esclavage et des post-esclavages en Tunisie et dans les pays arabo-musulmans. Utilisant l’outil historique et l’investigation archivistique pour compléter et enrichir ses observations sur le terrain contemporain, elle se consacre actuellement aux questions migratoires et aux dernières vagues de revendications identitaires des minorités noires, apparues dans ces régions après 2011.
M’hamed OUALDI
Professeur, Sciences Po-Paris
M’hamed Oualdi est professeur d’histoire à Sciences Po-Paris. Il a enseigné aux Langues orientales (INALCO) puis à l’université de Princeton. Dans son premier ouvrage Esclaves et maîtres (Publications de la Sorbonne, 2011), il a étudié les mamelouks, des serviteurs et esclaves d’origine européenne et convertis à l’islam au service des gouverneurs de la province ottomane de Tunis du XVIe siècle à la fin du XIXe siècle. Son deuxième livre paru chez Columbia University Press, en 2020, A Slave Between Empires. A Transimperial History of North porte sur le passage d’une tutelle ottomane à la colonisation française en Tunisie.
Shreya PARIKH
Doctorante, CERI-Sciences Po Paris/ Université de Caroline du Nord
Shreya Parikh est doctorante en sociologie au CERI-Sciences Po Paris et à l’Université de Caroline du Nord à Chapel Hill (en cotutelle). Elle est boursière de Beyond Borders (2022-24) financée par la Fondation Zeit-Stiftung et chercheuse affiliée à l’Institut de Recherche sur le Maghreb Contemporain (IRMC) à Tunis. Ses travaux portent sur les constructions et contestations de la race et de la racialisation en Afrique du Nord à travers un focus sur l’étude de la racialisation des Tunisien.ne.s noir.e.s et des migrants subsahariens. Ses recherches ont été publiées dans le Middle East Report du MERIP et le Carnet de l’IRMC ; plusieurs de ses essais sont parus dans Nawaat (Tunisie), The Wire (Inde) et Dawn (Pakistan).
Marie PERETTI-NDIAYE
Consultante, COPAS
Marie Peretti-Ndiaye est docteure en sociologie. Elle a soutenu une thèse sur le racisme en Corse en 2012. Elle est actuellement consultante associée au sein de la société coopérative COPAS, qui intervient dans le champ des politiques sociales, des politiques éducatives et de la lutte contre les discriminations. Elle travaille sur la lutte contre les discriminations et les inégalités injustes de santé.
Isabel RUCK
Responsable de recherche, CAREP Paris
Isabel Ruck est politiste de formation et spécialiste du Moyen-Orient, Isabel Ruck occupe la fonction de responsable de recherche et de coordination scientifique au sein du CAREP Paris.
Leila SEURAT
Chercheure, CAREP Paris
Leila Seurat est titulaire d’une thèse de doctorat de l’IEP de Paris en 2014, consacrée à l’étude de la politique étrangère du Hamas, qu’elle a publiée ensuite sous le titre « Le Hamas et le monde » (CNRS Éditions, 2015), puis en anglais, dans la collection SOAS Palestine Studies chez I.B Tauris (2022). Elle occupe actuellement la fonction de chercheure au CAREP Paris. Elle est également chercheure associée au Centre de recherches Sociologiques sur le Droit et les Institutions Pénales (CESDIP), ainsi qu’à Observatoire des Mondes Arabes et Musulmans (OMAM-ULB).
Salah TRABELSI
Professeur, Université Lyon 2
Salah Trabelsi est professeur des universités en histoire et civilisation des pays arabes et musulmans à l’Université Lumière Lyon 2. Il est membre du Conseil scientifique du Centre international de Recherches sur l’Esclavage (EHESS-CNRS) et membre du Comité de suivi des recherches dans le monde arabe « La Route de l’esclave », UNESCO. Ses recherches portent sur l’Histoire et civilisation du monde arabe et musulman médiéval, avec un focus sur : l’expansion musulmane et le long processus d’islamisation et d’arabisation des pays conquis.
Khayam TURKI
Politicien, fondateur de Joussour
Khayam Turki est un homme politique tunisien. Diplômé de l’IHEC de Carthage, de Sciences-Po Paris et de l’American University of Cairo, il commence sa carrière en 1992 et occupera, pendant 18 ans, plusieurs responsabilités de direction en Afrique du Nord, en Europe et au Moyen-Orient dans des secteurs liés à la finance principalement, mais également au commerce internationale, et à l’immobilier. Khayam Turki a travaillé durant 5 ans en tant que directeur financier du Groupe Spie Batignolles en Égypte en charge des montages financiers de plusieurs grands contrats dont notamment celui du métro du Caire.
Il a également travaillé à Londres à la City (Société Générale Investment Banking) en tant qu’analyste financier spécialisé dans les bourses du monde arabe. En 2011, il rejoint le parti Ettakatol de Mustapha Ben Jaafar dont il a été le secrétaire général adjoint en 2014. En 2015, il quitte le parti et fonde le Think Tank Joussour, spécialisé dans la production de politiques publiques.
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