L’ouvrage collectif récemment publié par l’Arab Center for Research and Policy Studies, Les Arabes et les Kurdes : intérêts, craintes et éléments communs, rassemble des contributions présentées à la conférence éponyme organisée par l’ACRPS à Doha du 29 avril au 1er mai 2017, conférence portant sur la genèse de la question kurde dans l’Orient arabe, sur les Kurdes dans le contexte arabe et régional et sur les appréhensions culturelles liées aux relations kurdo-arabes.
L’histoire de la question kurde
Composé de 428 pages de format moyen, références et index compris, l’ouvrage est divisé en trois parties. La première, intitulée « La genèse de la question kurde dans l’Orient arabe », comprend cinq chapitres. Au premier chapitre, « Les relations kurdo-arabes (1891-1918) : une étude historique », Hooker Taher Tawfik énonce qu’historiquement, les Arabes ne constituaient pas un problème pour les Kurdes, et réciproquement, car les territoires des uns et des autres étaient soumis à la domination de l’Empire ottoman, qui asservissait l’ensemble des groupes ethniques.
Au deuxième chapitre, « Constantes et variations de la position nationale kurde vis-à-vis du pouvoir arabe de Bagdad au temps de la monarchie (1921-1958) », Saad Bashir Iskandar analyse le discours politique de deux courants du mouvement national kurde : le courant pacifiste-parlementariste et celui des partis politiques organisés. Il constate que si les nationalistes kurdes ont adopté des attitudes contrastées dans leur conflit avec le pouvoir arabe, la classe dirigeante, elle, a affiché une position unifiée dont elle ne s’est jamais départie durant la période de la monarchie : le refus absolu de tout projet accordant une forme d’autonomie au peuple kurde.
Collectif, Les Arabes et les Kurdes : intérêts, craintes et éléments communs. Doha : ACRPS, 2019.
La répression et les élites politiques
Au troisième chapitre, « Le rôle de la répression politique dans l’émergence de l’identité kurde en Irak (1921-1991) », Al-Nasser Dureid Said étudie l’émergence de l’identité séparatiste chez les Kurdes sur soixante-dix ans d’histoire de l’État irakien.
Il montre que depuis la création de ce dernier, le Kurdistan irakien a connu des vagues de violence – en particulier après la fin de la révolution en 1975 et jusqu’en 1991 – et subi une politique de répression, d’extermination et d’exode forcé sans précédent, outre d’actives tentatives pour dissoudre son identité. L’auteur impute à cette politique la responsabilité de l’émergence d’une identité séparatiste collective au Kurdistan irakien et de la perte du sentiment d’appartenance à l’Irak.
Au quatrième chapitre, « Les initiatives de l’État irakien pour régler la question kurde : une étude historique de l’accord du 29 juin 1966 », Shirzad Zakaria Mohamed analyse les moyens pacifiques mis en œuvre par l’Irak pour régler la question kurde. Il affirme que l’État ne s’est résolu à tenter une solution pacifique qu’après l’échec de la répression du soulèvement kurde par l’armée irakienne.
Enfin au cinquième chapitre, « Le point de vue des élites politiques syriennes sur la question kurde », Shamseddine al-Kilani se penche sur la posture des élites et partis syriens vis-à-vis de l’évolution de l’État syrien moderne depuis l’indépendance jusqu’à la révolution de mars 2011. Il aboutit à la conclusion que l’on ne peut dissocier la communauté kurde de la temporalité socio-politique syrienne – soit des transformations du contexte syrien et des crises traversées par le pays –, ni de l’influence du contexte arabe et moyen-oriental.
Le contexte arabe et régional
La deuxième partie, intitulée « La question kurde dans le contexte arabe et régional », comprend cinq chapitres. Dans le premier, « Les relations entre les forces chiites et kurdes en Irak : les limites de la lecture “ethno-communautariste” », Hareth Hassan refuse de réduire l’équation politique irakienne au conflit kurde-sunnite-chiite. Il affirme qu’il existe également un antagonisme entre les forces centripètes – au sein des courants chiites – et un autre entre les forces centrifuges – au sein des courants kurdes – qui ne sont pas moins importants que le conflit politique apparent en Irak.
Au deuxième chapitre, « Confédération et complémentarité après l’échec du système consensuel en Irak après 2003 : vers une nouvelle approche de la question kurde », Abdulhakim Khasro Jozel étudie les dimensions politiques de la question kurde et débat de la nouvelle approche des forces politiques kurdes, à savoir l’idée d’une confédération, vers laquelle convergent à présent la plupart des mouvements kurdes en Irak et en Syrie. Dans ce cadre, il compare le projet du Parti démocratique du Kurdistan (le PDK) et celui du Parti des travailleurs du Kurdistan (le PKK), et leurs conceptions respectives de la confédération kurde.
Le Golfe et la Turquie
Au troisième chapitre, « Le mouvement kurde dans l’espace arabe : le cas des Kurdes de Syrie », Mohannad Ibrahim Al-Katea examine la nature du mouvement politique kurde en Syrie, ses différentes branches, ses références, les facteurs influençant son discours dans l’espace arabe et les formes de soutien qui lui sont apportées par certains régimes arabes.
Au quatrième chapitre, « Le système régional du Golfe et son impact sur les relations arabo-kurdes : le cas du Kurdistan irakien », Jotyar Adel Aqrawi traite de l’influence des acteurs régionaux des pays du Golfe sur la question kurde en Irak. Il adopte une approche à la fois descriptive, analytique et historique des systèmes régionaux.
Au cinquième et dernier chapitre de cette partie, « Une nouvelle approche de la question kurde en Turquie », Emad Youssef Qaddoura se penche sur la nouvelle politique adoptée par la Turquie à l’égard des Kurdes depuis que le gouvernement turc a cessé de négocier avec le PKK en 2015 à cause de la reprise de la guerre. Une telle politique consiste à :
- ancrer l’idée de l’absence d’un interlocuteur kurde sérieux pour parvenir à une solution concrète
- s’engager dans une confrontation militaire totale avec le PKK
- affaiblir le Parti démocratique des peuples
- établir des contacts avec d’autres mouvements et partis kurdes
- consolider l’influence des conservateurs kurdes.
Appréhensions culturelles
La troisième et dernière partie, intitulée « Appréhensions culturelles dans les relations arabo-kurdes », est divisée en deux chapitres.
Au premier chapitre, « L’angoisse existentielle kurde dans la poésie arabe : poétique de l’aliénation et de la colonisation chez Sahrourdi et Salim Barakat », Shaho Saïd étudie sous un angle sémiotique l’expérience de deux poètes kurdes de deux époques différentes, l’un du XIIe siècle – Aboul-Foutouh Shihab al-Din Sahrourdi –, l’autre contemporain – Salim Barakat –, qui tous deux ont écrit en arabe et fait l’expérience de l’exil.
Au second et dernier chapitre, « L’image des Kurdes en Irak à travers les sites internet des chaînes d’information arabes : une étude analytique d’aljazeera.net et alarabiya.net », Ibrahim Saïd Fathallah et Ibtisam Ismaïl Qader examinent le contenu de ces deux sites pour comprendre la manière dont les médias présentent les sociétés kurdes aux citoyens arabes. Réalisée en 2016, l’étude montre que les deux chaînes se concentrent globalement sur les problèmes sécuritaires, politiques et économiques des Kurdes, mais qu’Al-Jazeera met plus l’accent que sa concurrente sur les dissensions qui sont apparues entre les peshmergas et les forces irakiennes présentes sur le terrain pour combattre Daech, et sur leur choix de ne pas se soumettre aux ordres du gouvernement unifié du Kurdistan.
(traduction de l’arabe par Stéphanie Dujols)