Dans son ouvrage intitulé Déterminants et dimensions de la politique étrangère de l’Iran vis-à-vis des pays du Golfe dans le contexte des pourparlers sur le nucléaire iranien, récemment publié par l’Arab Center for Research and Policy Studies, Aisha Khaled Abdel-Rahman Al Saad se propose d’étudier les facteurs qui déterminent la politique étrangère de l’Iran vis-à-vis de ses voisins membres du Conseil de coopération des États arabes du Golfe, et ce sous trois angles distincts : la dimension locale, la dimension extérieure et enfin celle de la politique identitaire et nationale. Elle s’attache à cerner l’importance stratégique du programme nucléaire iranien et de l’accord historique conclu en 2015 avec les grandes puissances internationales, ainsi que l’impact de celui-ci sur la politique étrangère de l’Iran. Elle passe ainsi en revue les possibles scénarios et implications de la politique iranienne dans la région du Conseil de coopération du Golfe après le retrait américain de l’accord sur le nucléaire iranien.
Une politique étrangère liée au nucléaire
De format moyen – 152 pages, références et index compris –, l’ouvrage se compose d’une introduction et de six chapitres. Dans le premier, intitulé « Le projet nucléaire iranien », la chercheuse remonte aux sources du projet nucléaire iranien : revenant sur ce que l’on a appelé la « renaissance » nucléaire du pays, elle se penche sur les motifs et la conjoncture locale et internationale qui ont amené l’Iran à se lancer dans une politique nucléaire. Elle propose également une analyse critique de la stratégie nucléaire iranienne, avant d’aborder l’accord sur le nucléaire et ses répercussions sur la politique étrangère iranienne. D’après elle, celles-ci sont encore difficiles à cerner, notamment en ce qui concerne la politique de l’Iran à l’égard des pays membres du Conseil de coopération du Golfe. Elle rappelle que ces derniers ont été écartés de l’ensemble des pourparlers sur le nucléaire, et que « cela a amplement contribué à créer un climat de méfiance et d’inquiétude au sein du Conseil de coopération, lequel craignait qu’au bout du compte, ces pourparlers donnent carte blanche à l’Iran dans la région ». Al Saad s’attache à comprendre dans quelle mesure ces transformations intérieures ont pu influencer la politique étrangère de l’Iran à l’égard des pays membres du Conseil de coopération du Golfe, à une époque où la question nucléaire était la pierre angulaire de la politique étrangère iranienne.
Aisha Al Saad, Déterminants et dimensions de la politique étrangère de l’Iran vis-à-vis des pays du Golfe dans le contexte des pourparlers sur le nucléaire iranien, ACRPS, 2018.
Aisha Al Saad
Aisha Al Saad est chercheuse et documentaliste au Bureau de l’émir du Qatar. Elle est titulaire d’un Master en Études régionales (golfe Persique) à l’Université du Qatar. Elle a participé à de nombreux colloques, conférences et programmes de formation arabes et internationaux.
Perceptions de la menace
Au troisième chapitre, « Rouhani : programme nucléaire et politique étrangère vis-à-vis des pays du Golfe », l’auteure se concentre sur l’évolution du dossier nucléaire iranien sous la présidence de Hassan Rouhani, et plus précisément sur la signature de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien et l’impact qu’il a eu et qu’il continuera à avoir sur la politique de l’Iran à l’égard des pays membres du Conseil de coopération du Golfe. « Avec la signature de l’accord sur le nucléaire, écrit Al Saad, non seulement l’Iran acquiert une reconnaissance en tant que puissance régionale, mais il jouit des retombées géopolitiques qu’impliquent un tel traité. Désormais, l’Iran se positionnera comme une puissance régionale majeure au Moyen-Orient, aux côtés de pays comme Israël, la Turquie et l’Arabie saoudite, et il fera tout pour obtenir la reconnaissance de ses intérêts économiques et politiques dans la région. »
Le quatrième chapitre, « L’Iran et le Conseil de coopération du Golfe : perceptions réciproques de la menace », traite des perceptions réciproques de la notion de menace en Iran et dans les pays membres du Conseil de coopération du Golfe, ainsi que des facteurs qui ont pu contribuer à former et à ancrer ces perceptions. L’auteure se penche ici sur les racines de la méfiance qui s’est installée entre l’Iran et les pays du Golfe. Observant que la politique étrangère iranienne a tendance à placer le curseur sécuritaire de plus en plus haut, elle analyse l’équilibre des forces régionales et constate que la menace la plus inquiétante pour l’Iran dans la région du Golfe réside dans la politique sécuritaire du Conseil de coopération, politique axée sur la protection étrangère, ce qui met à mal le sentiment de sécurité de l’État iranien.
Après l’accord sur le nucléaire
Au cinquième chapitre, intitulé « La politique étrangère de l’Iran vis-à-vis du Conseil de coopération : perceptions et convictions », la chercheuse présente une série d’entretiens qu’elle a menés en 2015, peu après la conclusion des pourparlers sur le nucléaire iranien et la signature de l’accord de Vienne, auprès d’experts de la question iranienne et de la politique extérieure du Conseil de coopération – experts saoudiens, qataris, koweïtiens et iraniens. Ces entretiens visaient à définir les facteurs déterminant la politique étrangère de l’Iran telle qu’elle était perçue de part et d’autre du golfe Persique et à envisager les perspectives post-accord de Vienne. Pour tous les interviewés, l’accord sur le nucléaire constituait un tournant historique dans la région. « Aucun ne pensait, ni n’aurait pu imaginer, que cet accord durerait à peine plus d’un an. »
Enfin, au sixième et dernier chapitre, intitulé « L’Iran et le Conseil de coopération après l’accord sur le nucléaire », l’auteure se penche sur la politique de l’Iran dans le Golfe après la signature de l’accord, et sur la décision du président américain Donald Trump de se retirer de ce dernier. Elle fait le point sur les gagnants et les perdants et s’interroge sur l’étape à venir pour l’Iran et le Conseil de coopération. « En cette ère post-accord nucléaire, écrit-elle, l’Iran se trouve face à un Moyen-Orient complètement différent. Ainsi, forts du soutien d’alliés puissants et réactifs, en particulier de l’administration Trump, les pays hostiles membres du Conseil de coopération, notamment l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis, sont tout à fait disposés à répliquer. Par ailleurs, même si le Qatar et le Koweït semblent adopter une attitude de neutralité face aux tensions qui règnent entre l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, d’une part, et l’Iran, d’autre part, il est clair qu’ils ne soutiendraient aucune agression ni escalade iranienne dans la région. » Elle ajoute que la position de l’Iran en Syrie est périlleuse, à la fois parce qu’Israël et les États-Unis veulent l’en faire sortir, et parce que la Russie elle-même semble maintenant avoir intérêt à ce qu’elle y ait moins d’influence. Enfin, du fait des sanctions dont il fait l’objet, l’Iran n’est plus en mesure d’engager une escalade, ni de financer des « agents » et des interventions sur des fronts multiples dans la région du Golfe et les pays voisins.
(traduction de l’arabe par Stéphanie Dujols)