Par Lina Benchekor
Le concept de « réseau », de plus en plus employé dans les sciences humaines et sociales, n’avait jusqu’ici pas été abordé pour traiter de la question palestinienne. En partant de cette notion, les onze auteurs de cet ouvrage nous donnent à voir la réticularisation de la Palestine sous divers angles, aussi bien à l’intérieur des Territoires palestiniens qu’à l’international. Ils interrogent les dynamiques palestiniennes, parfois sous-jacentes et agissant dans l’ombre des institutions étatiques. Leurs articles couvrent les champs multiples dans lesquels la cause palestinienne survit et se poursuit dans les domaines de la politique, des droits de l’homme, ou encore de l’art. « La Palestine en réseaux » est aussi une invitation à penser la Palestine au-delà du cadre territorial qui ne cesse de se resserrer au fil des colonisations israéliennes.
Cet ouvrage collectif emploie le terme de « réseau », à la fois comme outil d’analyse et comme objet d’étude. Les auteurs nous y montrent comment cette notion se prête au contexte palestinien. En effet, le peuple palestinien est marqué par la « dispersion » et la « fragmentation » en raison des expulsions, des exils, et de l’occupation israélienne sur son territoire. L’émergence des nouveaux réseaux sociaux devient dès lors un canal important de communication et de transmission qui permet aux Palestiniens de véhiculer de l’information et d’organiser des mobilisations. Ces réseaux sont multiples : artistiques, politiques ou culturels, surtout, ils parviennent à constituer une force à partir de liens faibles. C’est aussi l’analyse des rapports de pouvoir entre les différents réseaux qui composent la question palestinienne en Israël/Palestine et à l’international, qui forme le fil conducteur de ces essais mêlant l’étude de la mobilisation des Palestiniens dans les Territoires palestiniens occupés (TPO) à celles des diasporas et des militants étrangers.
Du local à l’international
Elsa Grugeon analyse l’engagement politique des Palestiniens de Jérusalem autour de la mosquée Al-Aqsa. Ces derniers sont la seule interface possible entre le lieu saint, les Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza et l’ensemble du monde musulman. Ils créent des collectifs virtuels à travers les médias sociaux, constituant un réseau de croyants. Cet engagement digital et alternatif, prend une plus grande importance (politique) lors des guerres à Gaza, car ces jeunes documentent les atteintes aux fidèles à l’intérieur du lieu saint. L’usage des réseaux sociaux permet ainsi d’informer et de mobiliser autour de l’esplanade des Mosquées. Clio Chaveneau fait, quant à elle, le lien entre la mobilisation en Israël/Palestine et au niveau international en s’intéressant aux parcours et aux engagements politiques des travailleurs étrangers au sein des organisations internationales et des ONG installées dans les TPO. Par « travailleurs étrangers » elle renvoie aux expatriés qui poursuivent leurs carrières au sein d’organisations et d’institutions installées en Israël/Palestine. Elle revient sur ces réseaux de militants internationaux et leurs expériences sur le terrain afin d’appréhender leurs relations aux autorités et au mouvement national palestinien. Puis, se focalisant davantage sur le contexte français, Nicolas Dot-Pouillard retrace la mobilisation pro-palestinienne en France. Il tente de définir les différents réseaux qui composent « la toile française de la Palestine ». Il met en avant les connexions entre ces réseaux avec les pays du Proche-Orient et d’Amérique latine, en insistant sur la perméabilité et le mouvement permanent de ces mobilisations qui dépassent la seule cause palestinienne.
De retour dans les TPO, Minas Ouchaklian nous emmène à la rencontre des shabab du camp de Balata en Cisjordanie. Il examine les rapports de ces jeunes hommes armés avec l’Autorité nationale palestinienne (ANP) et le Fatah, entre répression et insertion, résistance et délinquance. Le chercheur présente une analyse des dynamiques qui opèrent dans ces espaces ghettoïsés donnant le sentiment aux jeunes de Balata de subir deux occupations parallèles. On retrouve également la contribution de Mariangela Gasparotto qui mène son étude dans la ville de Ramallah. Elle s’intéresse aux migrants internes provenant d’autres localités palestiniennes mettant ainsi en lumière les réseaux de sociabilité dans cette ville à la réputation « cosmopolite ». Elle relève de nombreuses « frontières » et « hiérarchies » internes instituées par l’élite urbaine et qui rendent difficile l’installation des jeunes Palestiniens qui viennent y vivre.
La contribution de Jalal Al Husseini permet de restituer l’histoire de la diaspora palestinienne et son engagement pour le « droit au retour ». L’auteur revient sur le rôle de l’UNRWA, l’organisation maintenant le lien entre les réfugiés et la Palestine par la création du statut de « réfugié palestinien ». Il met également l’accent sur les différences qui existent entre les diasporas, dépendantes des politiques menées par les pays d’accueil. L’article permet de comprendre les enjeux de la mise en place du retour des réfugiés, soulignant les dangers qu’elle représenterait pour les autorités, israélienne mais aussi palestinienne. Face à l’impasse dressée par la question de l’exil, l’auteur attire l’attention sur les réseaux diasporiques mobilisés pour faire avancer la cause du retour et proposer une alternative au leadership de l’ANP.
Du côté des réseaux artistiques
Sur les réseaux artistiques, les articles de Marion Slitine sur l’art contemporain en Palestine et de Najla Nakhlé-Cerruti sur le théâtre palestinien à travers la pièce des Monologues de Gaza, offrent des perspectives intéressantes. La première se penche sur les artistes des TPO, leurs œuvres et leur importance dans la résistance palestinienne. La chercheuse analyse les évolutions des arts visuels palestiniens au prisme de la lutte nationale. Elle met en lumière l’impact des accords d’Oslo en 1993, sur la production artistique locale. D’un côté, l’arrivée de financements privés et l’internationalisation du marché de l’art, ont vu l’émergence d’une nouvelle génération d’artistes parfaitement à l’aise avec les codes de l’art contemporain occidental. Tout en se réappropriant des éléments et des symboles de la culture palestinienne, les artistes ont adopté des modes d’expression plus « universels » leur permettant de constituer une scène « artistique transnationale en réseau ». Côté scène, Najla Nakhlé-Cerruti montre comment la pièce du théâtre Ashtar, réalisée avec des enfants gazaouis ayant vécu la guerre de 2008, permet une ouverture sur l’international et la création de réseaux de solidarité à travers le théâtre et en faveur de la jeunesse de Gaza.
Un ouvrage d’une grande richesse qui offre une vue panoramique des dynamiques qui animent la résistance palestinienne, à l’intérieur comme à l’extérieur des TPO. Il donne à voir des aspects différents mais connectés, reliant ainsi les Palestiniens aux réseaux internationaux dans la longue histoire, encore en train de se faire de la résistance palestinienne.