La confrontation entre le président américain Donald Trump et le président ukrainien Volodymyr Zelensky à la Maison-Blanche ne relève pas du hasard. Il s’agissait plutôt d’une manœuvre délibérée, visant à montrer, à tous et en particulier aux élites du Parti républicain, le type de politique étrangère que le président Trump entendait promouvoir pour les quatre années à venir.
Isolationnisme ou mondialisme ?
La tension entre les tendances mondialistes et isolationnistes de la politique étrangère américaine perdure depuis plus d’un siècle. L’une des expressions les plus marquantes des ambitions mondialistes s’est manifestée en 1918 lorsque le président Woodrow Wilson a présenté ses quatorze points, appelant à la création d’un nouvel ordre mondial après la Première Guerre mondiale. Toutefois, la mise en place de la Société des Nations a été rejetée par le Sénat américain, témoignant du fort réflexe isolationniste des États-Unis.
Les raisons de cet attachement à l’isolationnisme sont multiples. D’une part, les États-Unis bénéficient d’une protection géographique assurée par deux océans et partagent leurs seules frontières avec le Canada et le Mexique, ce qui leur confère un certain degré de sécurité. D’autre part, leur éloignement de l’Europe et de l’Asie contribue à renforcer la tendance à éviter l’implication dans des conflits étrangers. Une autre raison de l’isolationnisme réside dans la taille et la diversité interne du pays. Composé de cinquante États et d’une masse continentale près de quinze fois celle de la France, les Américains estiment souvent que leur propre pays offre suffisamment de défis et d’opportunités, réduisant ainsi le besoin de s’engager à l’étranger.

Ahmet T. Kuru
Ahmet T. Kuru est professeur de sciences politiques aux États-Unis et auteur de Islam, Authoritarianism, and Underdevelopment (Cambridge University Press, 2019), paru en France aux éditions Fenêtres en 2024 sous le titre Islam, autoritarisme et sous-développement.
Néanmoins, malgré ces conditions favorisant le repli, les États-Unis ont adopté une politique étrangère mondialiste après la Seconde Guerre mondiale. Ayant défait le Japon et l’Allemagne, ils ont ensuite poursuivi une stratégie d’endiguement mondial face à l’Union soviétique. À cette époque, les États-Unis représentaient près de 40 % de la production économique mondiale. Le besoin des entreprises américaines de conquérir de nouveaux marchés et la dépendance croissante du pays aux importations de pétrole ont rendu incontournable une politique mondialiste. L’effondrement de l’Union soviétique a marqué la fin de la guerre froide. Cependant, dix ans plus tard, les attentats du 11 septembre 2001 ont imposé une nouvelle priorité : la guerre contre le terrorisme. L’administration de George W. Bush a envahi l’Irak et l’Afghanistan. Bien que Barack Obama ait considéré ces interventions comme purement stratégiques, son administration a largement maintenu la politique mondialiste. Donald Trump, en revanche, a fait campagne pendant son premier mandat sous le slogan « America First », marquant cette fois un tournant vers une politique isolationniste. Cependant, malgré ce repositionnement, sa présidence a peu modifié la politique étrangère américaine. Après lui, l’administration de Joe Biden a réaffirmé l’alliance occidentale sous l’égide des États-Unis, notamment en réponse à l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
Le chaos intérieur et le chaos mondial
Dès sa réélection, Trump a coupé le soutien à l’Ukraine, adoptant une rhétorique pro-russe et cherchant à éloigner les États-Unis du bloc occidental, abandonnant ainsi le rôle qu’il considérait comme étant le leur dans le maintien de l’ordre mondial. Sa position sur deux zones de guerre majeures illustre une tendance persistante : se ranger systématiquement du côté des puissants contre les opprimés. À Gaza, il a suggéré publiquement d’expulser les Palestiniens, une idée que même Israël n’ose formuler ouvertement. Cette proposition va à l’encontre du droit international et des résolutions de l’ONU. En Ukraine, il a affirmé à tort que Volodymyr Zelensky était un dictateur impopulaire ayant provoqué la guerre – une accusation extrême, que même la Russie n’avait pas osé porter. Ces déclarations ignorent les engagements internationaux pris par les États-Unis et par la Russie pour garantir l’intégrité territoriale de l’Ukraine, en échange de la renonciation de celle-ci à ses armes nucléaires. Cependant, pour Trump, ces engagements semblent secondaires ; son principe directeur reste le pouvoir.
Donald Trump a la possibilité de mener sa politique sur le court terme. Il est peu probable que les républicains du Congrès ou la Cour suprême, à majorité conservatrice, contestent un président républicain nouvellement élu. Cependant, ses chances de succès à long terme demeurent incertaines. Trois facteurs majeurs compromettent ses perspectives. Tout d’abord, Trump a été élu avec le soutien d’à peine la moitié de l’électorat, et sa cote de popularité est déjà tombée sous les 50 %. Ses deux axes politiques principaux – l’augmentation des droits de douane et l’expulsion d’un grand nombre d’immigrés – devraient entraîner une hausse des prix et de l’inflation. Sa campagne s’appuyait pourtant sur des promesses de baisse des prix et, contrairement à d’autres sociétés, les Américains ont peu de tolérance pour la stagnation économique.
Deuxièmement, Trump ne compte guère d’alliés internationaux en dehors de la Russie et d’Israël. En l’espace de quelques semaines, il a réussi à détériorer les relations avec son plus proche voisin, le Canada, et avec des partenaires européens clés. L’isolement de la politique étrangère américaine risque d’avoir des conséquences économiques pour les entreprises américaines. Il est impossible de continuer à profiter des avantages économiques d’un ordre mondial tout en cherchant à le démanteler. La baisse des ventes de Tesla en Europe et la chute de son action en bourse au cours des derniers mois témoignent déjà des répercussions économiques de cette politique. Troisièmement, Trump prend ces risques géopolitiques à un moment où son pays est en pleine tourmente intérieure. Sa décision de nommer Elon Musk à la tête d’une nouvelle agence de réduction des coûts a entraîné des licenciements massifs dans la fonction publique, Musk se moquant publiquement des bureaucrates, qu’il considère comme une classe à part entière. Cette situation alimente le sentiment que l’administration privilégie la confrontation, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. Le succès final de Trump reste incertain. Mais une chose est claire : l’ordre mondial que les États-Unis dirigeaient autrefois a été démantelé par nul autre que le président américain lui-même.