01/10/2024

Attaque israélienne au Liban : Nasrallah assassiné lors d’une frappe ciblée

Par l'Unité d'analyse politique de l'ACRPS
visuel bombardement Liban
Ill. ACRPS

Le vendredi 27 septembre 2024, Israël a lancé l’une de ses attaques les plus violentes contre le Liban en plusieurs semaines. Ce bombardement, qui a ciblé le quartier général du Hezbollah dans la banlieue sud de Beyrouth, a détruit six tours résidentielles. L’attaque a entraîné la mort du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, annoncée par le parti dans un communiqué publié le lendemain[1]. Parmi les autres victimes figurent plusieurs hauts dirigeants du Hezbollah, un responsable de la force Al-Qods des Gardiens de la révolution iraniens au Liban, ainsi qu’un nombre encore indéterminé de civils.

Pour cette opération, Israël a mobilisé des avions F-35 et largué environ quatre-vingts bombes pénétrantes d’une tonne chacune (bombes anti-bunkers), afin de s’assurer qu’aucun survivant ne puisse échapper à l’attaque[2]. En profitant de la confusion qu’il avait provoquée dans les systèmes de commandement et de communication du Hezbollah, Israël a ensuite intensifié ses offensives dans plusieurs quartiers de la banlieue sud de Beyrouth et dans d’autres régions du Liban, entraînant le déplacement de milliers de civils.

Ce ciblage du quartier général du Hezbollah et l’assassinat de son secrétaire général constituent le développement le plus marquant de l’escalade israélienne en cours contre le Liban. Cette offensive, commencée en juillet dernier, a atteint son paroxysme le 23 septembre avec le lancement de l’opération « Flèches du Nord[3] ». La faiblesse des réactions arabes, régionales et internationales face à l’agression israélienne continue contre Gaza et le Liban pourrait encore encourager une intensification du conflit.

Unité d’analyse politique de l’ACRPS

L’Unité d’analyse politique est un département du Arab Center for Research and Policy Studies (Doha) consacré à l’étude de l’actualité dans le monde arabe. Elle vise à produire des analyses pertinentes utiles au public, aux universitaires et aux décideurs politiques de la région et du reste du monde. En fonction des questions débattues, elle fait appel aux contributions de chercheurs et de spécialistes du ACRPS ou de l’extérieur. L’Unité d’analyse politique est responsable de l’édition de trois séries de publications scientifiques rigoureuses : Évaluation de situation, Analyse politique et Analyse de cas.

Escalade progressive jusqu’à l’assassinat de Nasrallah

Depuis le 7 octobre 2023, date à laquelle le Hezbollah a ouvert un « front de soutien » à Gaza à la suite de l’opération « Déluge d’Al-Aqsa » menée par le Hamas, Israël et le Hezbollah ont respecté des règles d’engagement spécifiques[4]. Les deux camps échangeaient des tirs dans une zone de 5 à 10 kilomètres de part et d’autre de la frontière, entraînant le déplacement de plus de 60 000 Israéliens et environ 110 000 Libanais. Bien qu’Israël ait rasé plusieurs villages libanais frontaliers et ciblé de nombreux dirigeants militaires du Hezbollah dans le but d’affaiblir leur soutien à Gaza, les règles d’engagement étaient globalement maintenues. Certaines exceptions ont toutefois été relevées, comme l’assassinat de Saleh al-Arouri, vice-président du bureau politique du Hamas, à Beyrouth, en janvier 2024[5].

La situation a radicalement changé à partir de juillet 2024. Après la chute d’une roquette sur une école du village de Majdal Shams, dans le Golan syrien occupé, causant la mort de dix enfants[6], Israël a saisi cette opportunité pour modifier les règles d’engagement et modifier les rapports de force dans la région. Bien que le Hezbollah ait nié toute responsabilité dans cet incident, Israël a ciblé le chef militaire du Hezbollah, Fouad Chokr, dans la banlieue sud de Beyrouth à la fin du mois de juillet[7]. Cet événement a marqué le début d’une série d’assassinats ciblant les dirigeants du parti. En parallèle, Israël a également éliminé Ismaël Haniyeh, président du bureau politique du Hamas, lors de sa participation à la cérémonie d’investiture du nouveau président iranien, Massoud Pezechkian, à Téhéran, en juillet dernier.

Retour sur la chronologie de l’opération israélienne

Depuis fin juillet 2024, il était clair qu’Israël déplaçait le centre de ses opérations militaires de Gaza vers le nord. L’objectif semblait être d’exercer une pression accrue sur le Hezbollah, le forçant à choisir entre rompre ses liens avec Gaza ou entrer en guerre Israël a également exigé le retrait des capacités militaires du Hezbollah, notamment celles de l’unité Al-Ridwan[8], vers le nord du fleuve Litani, conformément à la résolution 1701 du Conseil de sécurité de l’ONU, adoptée à l’issue de la guerre de 2006[9]. L’idée derrière ces mesures était de parvenir à un cessez-le-feu de longue durée, voire à un accord de démarcation des frontières terrestres avec le Liban, similaire à l’accord maritime signé en 2022.

L’approche relativement prudente du Hezbollah, qui a d’abord tenté d’éviter une confrontation directe avec Israël pour des raisons internes et régionales, a probablement encouragé Israël à intensifier son escalade. Cette stratégie a ensuite évolué vers un objectif plus large : provoquer un changement dans les équilibres de pouvoir entre les puissances régionales, un acte synonyme de guerre. Le Hezbollah semble ne pas avoir pris au sérieux la volonté d’Israël de déclencher un conflit total. Pour Israël, la situation actuelle représente une opportunité stratégique, à la fois internationale, régionale et locale, pour régler ses comptes avec divers acteurs, comme l’a déclaré le chef d’état-major israélien Herzi Halevi. Israël a utilisé l’opération du 7 octobre 2023 et le déplacement de 60 000 colons du nord comme prétexte pour intensifier ses actions militaires. Le 17 septembre, le cabinet de sécurité israélien a ajouté la question du retour des colons aux objectifs de guerre, qui incluaient déjà la destruction des capacités du Hamas, la libération des prisonniers et la neutralisation de Gaza en tant que menace.

Sur cette base, Israël a lancé sa campagne militaire contre le Liban, avec pour objectif de sécuriser le retour des colons évacués du nord. Selon le ministre de la Défense, Yoav Galant, « cela ne peut être réalisé sans un changement radical de la situation sécuritaire à la frontière avec le Liban[10] ». Alors que le discours israélien met souvent en avant les succès de la « résistance » contre les tirs de missiles en provenance du Liban et du Yémen, cela a parfois détourné l’attention des difficultés rencontrées à Gaza. Israël perçoit cette situation comme une opportunité stratégique pour mettre en œuvre ses objectifs non seulement à Gaza, mais aussi en Cisjordanie et au Liban. Le refus persistant d’Israël d’accepter un cessez-le-feu montre qu’il se considère toujours en position de force et cherche à maintenir l’initiative militaire.

Conséquences régionales de l’assassinat de Nasrallah

L’absence de réaction de l’Iran après l’assassinat d’Ismaël Haniyeh à Téhéran, ainsi que le discours du nouveau président Massoud Pezechkian suggérant que l’Iran n’était pas prêt à affronter Israël, ont renforcé l’idée, côté israélien, d’une faiblesse iranienne sur les plans intérieur et régional. Israël a donc estimé que l’Iran pourrait abandonner le Hezbollah en cas de conflit.

La réaction limitée du Hezbollah à l’assassinat de Fouad Chokr, l’un de ses principaux responsables militaires, a également incité Israël à poursuivre son offensive. Hassan Nasrallah, secrétaire général du Hezbollah, a jugé suffisante une attaque symbolique contre le nord d’Israël en réponse à cet assassinat, malgré les rumeurs non confirmées selon lesquelles des missiles du Hezbollah auraient touché la base israélienne de Glilot. Par ailleurs, soucieux de maintenir la stabilité interne au Liban, le Hezbollah a appelé la population à regagner ses villages frontaliers, évitant ainsi une escalade des hostilités.

Ces facteurs ont conforté Israël dans l’idée qu’il pouvait intensifier son offensive sans craindre de réaction majeure du Hezbollah. Cette assurance a conduit à l’assassinat de Nasrallah, une décision prise par Benyamin Netanyahou et son gouvernement avec un sentiment d’impunité, tirant parti du faible soutien régional et international face aux actions israéliennes contre le Hezbollah et Gaza. Ils ont également profité du contexte politique aux États-Unis, où l’administration, en pleine période électorale, était focalisée sur ses priorités nationales.

Conclusion

L’attaque contre le quartier général du Hezbollah et l’assassinat de Hassan Nasrallah constituent un coup dur pour l’organisation. Le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, cherchera à capitaliser sur cette opération pour compenser ses échecs à Gaza, où il n’a pas atteint ses objectifs. Il est probable qu’il tentera d’exploiter ce succès pour renforcer sa position politique, tant au sein de sa coalition qu’auprès de l’opinion publique israélienne.

Dans les prochaines étapes, Netanyahou continuera à faire pression sur le Hezbollah, cherchant à le forcer à se retirer de Gaza et à se replier au nord du Litani, ou à continuer le combat, ce qui entraînerait de nouvelles frappes, voire une opération terrestre limitée pour établir une zone tampon à la frontière libanaise. Toutefois, en prenant cette direction, Netanyahou pourrait se retrouver dans une situation souhaitée par le Hezbollah, qui tirerait avantage d’une guerre sur son propre territoire.

En définitive, les hostilités en cours à Gaza et au Liban pourraient redessiner le paysage régional, avec des conséquences majeures sur le projet israélien et son avenir.

Notes

[1] « Le Hezbollah annonce l’assassinat de son secrétaire général, Nasrallah », Al Araby al-Jadeed, consulté le 23 septembre 2024, consulté le 24 septembre 2024 sur : https://acr.ps/1L9zPbR

[2] “Israeli Strikes Across Lebanon at Dawn Cause Heavy Casualties”, This is Beyrouth,

consulté le 30 septembre 2024, sur : https://thisisbeirut.com.lb/lebanon/295819

[3] « Missile inconnu… 7 questions expliquent l’incident de Majdal Shams », Al Jazeera Net, 28/7/2024, consulté le 29/9/2024, à l’adresse : https://acr.ps/1L9zOPE

[4] Voir l’évaluation de situation du Centre arabe : « L’assassinat d’Ismaël Haniyeh et ses répercussions », Évaluation de situation, ACRPS, 31/7/2024, consulté le 29/9/2024, sur: https://acr.ps/1L9zOC3.

[5] Voir l’évaluation de situation du Centre arabe : « Le ‘massacre’ de l’explosion du réseau de communication du Hezbollah : significations et répercussions », Évaluation de situation, ACRPS, 22/9/2024, consulté le 29/9/2024, sur :https://acr.ps/1L9zP1Y

[6] Thousands mourn children killed in Golan Heights strike”, BBC du 28 juillet 2024, consulté le 29 septembre 2024, sur : https://www.bbc.com/news/articles/cz5rj16ed4lo

[7] “What to know about top Hezbollah commander targeted by Israel in Beirut”, Reuters, 30 juillet 2024, consulté le 29 septembre 2024, sur : https://www.reuters.com/world/middle-east/who-is-hezbollah-commander-targeted-by-israel-beirut-2024-07-30/

[8] L’unité Al-Ridwan est une force spéciale d’élite du Hezbollah, spécialisée dans les opérations militaires de haut niveau.

[9] La résolution 1701 du Conseil de sécurité de l’ONU visait à mettre fin à la guerre de 2006 entre Israël et le Hezbollah en exigeant le retrait du Hezbollah au-delà du Litani.

[10] « Le retour des habitants du nord d’Israël : nouveau but de guerre, annonce Netanyahu », L’Orient-Le Jour, 17 septembre 2024, consulté le 29 septembre sur : https://www.lorientlejour.com/article/1427338/le-retour-des-habitants-du-nord-disrael-nouveau-but-de-guerre-annonce-netanyahu-papier-general.html