21/03/2025

Ce qu’Israël veut en Syrie

Par Marwan Kabalan
Le mur de séparation marquant la frontière entre Israël et la Syrie, dans un contexte de tensions militaires croissantes après la chute du régime de Bachar al-Assad.
Frontière israélo-palestinienne © Adobe Stock
Depuis la chute du régime de Bachar al-Assad, survenue le 8 décembre dernier,
il est évident qu’Israël a décidé d’intervenir directement en Syrie, exprimant ainsi son désir de redessiner la région selon une vision et une stratégie politique qui se sont accentuées depuis le 7 octobre 2023. Israël a ainsi lancé l’une des plus vastes campagnes aériennes de l’histoire du conflit israélo-arabe, réalisant près de 500 raids qui, dans les 72 heures suivant la chute de Bachar al-Assad et la fuite de son armée, ont détruit environ 80 % des capacités militaires syriennes. Cette offensive a envoyé un message clair : la méfiance d’Israël à l’égard du nouveau régime de Damas et de ses orientations politiques futures.

Marwan Kabalan 

Marwan Kabalan est un universitaire et écrivain syrien. Titulaire d’un doctorat en relations internationales, il est actuellement directeur de le l’unité d’analyse politique de l’Arab Center for Research and Policy Studies (ACRPS).

Bien qu’Israël ait profondément infiltré l’appareil militaire et sécuritaire du régime Assad et de ses alliés, l’effondrement rapide du régime a pris Israël de court. Par la suite, la chute de Bachar al-Assad a semblé être un effet collatéral des actions israéliennes, visant probablement à affaiblir le Hezbollah, réduire la présence iranienne en Syrie et inciter Bachar al-Assad à s’en distancer. Toutefois, Israël n’avait peut-être jamais anticipé que l’armée d’Assad avait totalement perdu la volonté de combattre, permettant ainsi l’effondrement rapide du régime face aux forces de l’opposition.

C’est dans ce contexte que Benyamin Netanyahou a exprimé son point de vue en déclarant que la chute d’Assad « n’était pas dans l’intérêt d’Israël ». L’inquiétude d’Israël face à ce changement de régime à Damas l’a poussé à entamer une nouvelle phase de sa politique syrienne, laquelle a traversé plusieurs étapes depuis le début de la révolution syrienne en mars 2011.

Lors de la première phase (2011-2013), Israël a adopté une position relativement attentiste, marquée par des divisions au sein de ses institutions politiques, militaires et sécuritaires. Certains plaidaient pour la chute d’Assad, tandis que d’autres préféraient son maintien. Ces derniers justifiaient leur position par le respect, par le régime syrien, des engagements pris envers Israël depuis la signature de l’accord de désengagement de 1974, ainsi que par l’absence d’incidents sécuritaires significatifs sur le plateau du Golan depuis cette date.

La deuxième phase (2013–2023) a commencé avec le renforcement de la présence militaire de l’Iran et du Hezbollah dans de vastes zones de la Syrie, conséquence directe de l’affaiblissement et de l’instabilité du régime. En réaction, Israël a adopté la stratégie de la « guerre entre les guerres », mise en œuvre dès 2013 sous le prétexte d’empêcher le transfert d’armements « capables de modifier les équilibres » en faveur du Hezbollah via le territoire syrien.

L’intervention militaire russe en 2015 n’a pas remis en cause cette approche, Benyamin Netanyahou ayant conclu avec Vladimir Poutine des accords garantissant à Israël la liberté de frapper les positions du Hezbollah et de l’Iran en Syrie, à condition de ne pas cibler directement les forces du régime syrien. Cette politique s’est poursuivie jusqu’à l’opération « Déluge d’Al-Aqsa » en 2023, marquant un tournant : Israël a alors décidé d’intensifier ses actions pour expulser l’Iran de Syrie et anéantir la puissance militaire du Hezbollah.

Dans ce contexte, comme mentionné précédemment, la chute de Bachar al-Assad est apparue pour Israël comme un effet collatéral de sa stratégie. Désormais, la politique israélienne en Syrie entre dans sa phase finale, la plus risquée. Après avoir presque entièrement détruit les capacités militaires syriennes, Israël a commencé à pénétrer sur le territoire syrien, étendant son contrôle sur environ 600 kilomètres carrés supplémentaires depuis la chute du régime, y compris l’ensemble de la zone tampon. Cette avancée s’appuie sur l’argument de la caducité de l’accord de désengagement, consécutive au retrait de l’armée syrienne de la région.

Actuellement, Israël œuvre à la mise en place d’une ceinture de sécurité dans le Golan et cherche à élargir la zone démilitarisée pour y inclure l’ensemble des provinces du sud de la Syrie — Qouneitra, Deraa et Soueïda — ainsi que certaines parties de la province rurale de Damas. Ce qui est encore plus alarmant, c’est qu’Israël a désormais adopté officiellement une politique de fragmentation de la Syrie en cantons sectaires et ethniques, justifiant cette démarche par un prétendu objectif de protection des minorités face à la « majorité sunnite » qui gouverne actuellement le pays.

Il est peu probable qu’Israël échoue dans son projet de division de la Syrie, mais la simple conviction de son échec ne suffira pas à l’en empêcher. Au contraire, il est impératif de le contrer activement par deux actions fondamentales :

Premièrement, il faut cesser d’ignorer l’agression israélienne sous prétexte qu’elle serait, à l’heure actuelle, impossible à contrer, ou de croire que le silence et l’absence de condamnation permettraient d’éviter une escalade. Bien au contraire, il est essentiel de mobiliser l’opinion publique syrienne, à l’intérieur comme à l’étranger, d’alerter les cercles arabes et internationaux, et d’attirer l’attention maximale sur cette menace.

Deuxièmement, il est crucial d’adopter une approche de gouvernance rompant avec les logiques d’exclusion, de marginalisation et de monopole du pouvoir. Plus les citoyens syriens – indépendamment de leur appartenance confessionnelle ou ethnique – seront impliqués dans le processus politique et dans la reconstruction d’un nouvel État, plus leur sentiment d’appartenance nationale se renforcera. Cela réduira ainsi l’influence des ingérences extérieures qui exploitent peurs et injustices, réelles ou perçues.

La reconstruction de la Syrie et sa pérennité en tant qu’État unitaire dépendent entièrement de l’abandon du récit qui la réduit à une opposition entre une majorité et des minorités. En Syrie, il n’existe que des citoyens syriens libres.