16/10/2024

La stratégie de Téhéran face aux opérations militaires israéliennes au sud du Liban

Par Clément Therme
ill relations politiques Iran israël
Ill. Adobe Stock

Les liens entre l’Iran et le Liban sont anciens. En effet, dès le XVIe siècle, alors que la dynastie des Safavides adopte le chiisme comme religion officielle, les dirigeants de la Perse font appel à des clercs chiites de Jabal Amel, une région du sud du Liban, où une communauté chiite était déjà établie depuis le XIe siècle, afin de promouvoir le chiisme comme religion d’État. Les dirigeants safavides s’écartent alors de l’islam sunnite dominant dans la région, en particulier au sein de l’Empire Ottoman, pour organiser la conversion de la population iranienne au chiisme duodécimain.

L’influence de l’Iran au Liban : des liens anciens

À l’époque contemporaine, on observe aussi des liens forts entre les sociétés iranienne et libanaise allant au-delà des seules relations interétatiques. Dès les années 1970, les forces islamistes et marxistes iraniennes ont tissé des liens dans le pays, non seulement avec la communauté chiite libanaise, mais également avec les forces nationalistes palestiniennes alors présentes au Liban. Le Liban apparaît ainsi, à l’époque contemporaine, comme un laboratoire pour l’étude de l’influence régionale de l’Iran à la fois sous le régime impérial des Pahlavi (1925-1979) et à l’ère de la République islamique d’Iran (depuis 1979).

En effet, à l’époque des Pahlavi, le contexte politique local au Liban est particulièrement ouvert par rapport à celui des autres États du Moyen-Orient. Cela explique pourquoi Beyrouth est un lieu d’échanges intellectuels où séjournent de nombreux dissidents politiques de toute la région, y compris d’Iran[1]. Beyrouth a notamment attiré des Iraniens souhaitant étudier au sein d’établissements occidentaux d’enseignement supérieur, même si après la Première Guerre mondiale, les liens commerciaux ont également joué un rôle. La popularité de Beyrouth auprès des élites iraniennes tient alors à la présence au Levant d’écoles et de collèges occidentaux, tant religieux que laïques, où un citoyen Iranien peut bénéficier d’une éducation moderne sans quitter le monde musulman[2].

Après la Révolution islamique de 1979, cette ouverture de l’espace politique explique également pourquoi le Liban devient un modèle pour les réformistes iraniens des années 1990 qui y voient une spiritualité originale transcendant les frontières entre les religions et les confessions[3]. Le président Khatami (1997-2005) entretient par exemple des relations personnelles et familiales au Liban qui vont au-delà de la sphère politique du Hezbollah[4]3. Il est donc particulièrement intéressant d’étudier les différentes perceptions libanaises vis-à-vis de la République islamique d’Iran, qui varient selon les communautés, même si on observe une dissociation de plus en plus forte entre l’appartenance religieuse ou confessionnelle et les préférences politiques ou idéologiques en particulier au sein de la Génération Z au Liban[5].

 

Clément Therme

Clément Therme

Historien des relations internationales, Clément Therme est chargé d’enseignement à l’Université Paul Valéry de Montpellier et à Sciences Po Paris. Spécialiste du monde iranien, il a été auparavant chercheur à l’International Institute for Strategic Studies (IISS), assistant d’enseignement à l’Institut des hautes études internationales et du développement (IHEID) à Genève, chercheur à l’Institut français de recherche en Iran, à Téhéran, et chercheur pour le programme Moyen-Orient de l’Institut français des relations internationales (Ifri).

Le Hezbollah : acteur clé dans la stratégie régionale de Téhéran

Par ailleurs, sur le plan géopolitique, le Liban est, depuis le début des années 1980, l’objet d’une rivalité entre, d’un côté, la République islamique d’Iran et le régime officiel syrien et, de l’autre, Israël, la France et les Etats-Unis. En effet, dans sa confrontation avec l’Occident, Téhéran dispose « avec le Hezbollah libanais d’une pièce maîtresse au Proche-Orient[6] ». Avec le développement de la guerre civile en Syrie, le réseau d’influence de Téhéran qui prend le Hezbollah libanais pour modèle a été fragilisé au sein des opinions publiques arabes. De plus, le rôle du Hezbollah s’est transformé : il est devenu un acteur régional ayant des intérêts et une influence au Yémen, en Irak et en Syrie, et non plus seulement une organisation libanaise sous influence de Téhéran. En revanche, le rôle international du Hezbollah dans la stratégie globale de Téhéran perdure qu’il s’agisse de la stratégie d’influence iranienne en Amérique Latine ou en Afrique[7].

Il convient également de souligner que la création du Hezbollah est un projet qui précède l’émergence de « l’axe de résistance », au début des années 2000, en réponse au discours du Président George W. Bush sur « l’axe du mal[8] ». Depuis sa création en 1982, le Hezbollah a toujours été un élément central de la politique régionale de Téhéran, qui s’est fixée comme priorité de jouer un rôle dans le conflit israélo- palestinien. Le Hezbollah fait donc partie intégrante du projet idéologique des dirigeants de la République islamique, visant à présenter la défense de la cause palestinienne comme un principe fondateur de l’islam politique khomeyniste auprès des opinions publiques du monde arabe.

Cette instrumentalisation du Hezbollah pour projeter l’idéologie khomeyniste au-delà des frontières iraniennes en fait un partenaire exemplaire : sa trajectoire politico-religieuse est ainsi présentée comme un modèle à reproduire dans la région, auprès des communautés chiites irakiennes notamment. Cet investissement idéologique, militaire et financier est aujourd’hui remis en cause par la campagne militaire israélienne. Néanmoins, comme le souligne Henry Kissinger, « the conventional army loses if it does not win. The guerrilla wins if he does not lose.[9] » Le sud du Liban restera-t-il sous l’influence du Hezbollah dans les prochaines années ? Telle est la question posée par cette nouvelle intervention militaire israélienne à l’automne 2024.

En effet, c’est bien dans un contexte de guerre israélienne au Liban que naît le Hezbollah[10]. Il apparaît alors comme le principal succès de « l’exportation » de la Révolution khomeyniste. De plus, il est clair que la région frontalière du sud-Liban a été le théâtre de nombreuses confrontations armées, notamment la guerre de 2006. L’Iran, en tant que principal allié du Hezbollah, joue alors un rôle central dans la dynamique régionale et son « axe de la résistance » et au sommet de sa popularité au sein des opinions publiques arabes. En 2008, selon les enquêtes portant sur l’état des opinions publiques arabes du Centre arabe de recherche et d’études politiques, le dirigeant du Hezbollah, Hassan Nasrallah, est alors le dirigeant le plus populaire dans le monde arabe, suivi du président syrien Bachar al-Assad, et du président iranien de l’époque, Mahmoud Ahmadinejad (2005-2013)[11]. Cette question du soft power de la République islamique est cruciale dans la volonté de Téhéran d’utiliser le Hezbollah comme levier pour renforcer son influence idéologique sur les opinions publiques arabes.

Sur le plan du hard power, depuis le début des années 2000, l’approche stratégique de Téhéran face aux opérations militaires israéliennes dans cette région s’articule autour de plusieurs axes. Il s’agit d’abord d’apporter un soutien militaire, logistique et financier au Hezbollah. Ainsi, selon des sources américaines, dans les années 2010, environ 700 millions de dollars sont versés chaque année au Hezbollah libanais. Ces fonds proviendraient principalement de l’Iran, constituant une part importante du soutien financier que Téhéran accorde au groupe chiite pour ses activités militaires, sociales et politiques au Liban et dans la région. Ce financement renforce la capacité du Hezbollah à maintenir ses opérations et son influence, tant sur le plan local qu’international[12].

L’un des piliers de la stratégie iranienne consiste à fournir au Hezbollah un soutien militaire direct. Depuis la guerre civile libanaise, l’Iran a investi massivement dans l’entraînement, l’armement et la modernisation des capacités militaires de cette organisation. Aujourd’hui, le Hezbollah est perçu comme l’une des forces non-étatiques ou para-étatiques les plus puissantes du monde, en grande partie grâce à l’appui de Téhéran. Les livraisons d’armes sophistiquées, incluant des missiles balistiques, des drones, et des systèmes anti-aériens[13], ont longtemps permis au Hezbollah de maintenir une force dissuasive crédible face aux incursions israéliennes. L’Iran a également contribué à renforcer le réseau souterrain du Hezbollah, permettant à l’organisation de déployer rapidement ses troupes et ses armes en cas d’escalade militaire. Ce soutien structurel donne à Téhéran un levier stratégique non négligeable dans la région et il apparaît donc indispensable pour la République islamique de garantir la survie politique et militaire du Hezbollah dans la confrontation militaire en cours avec Israël.

La perte de ce levier signifierait la fin de la doctrine de défense de la République islamique dite « en avançant » (forward defense strategy)[14]. Plutôt que de s’engager directement dans des confrontations militaires avec Israël, l’Iran préfère utiliser le Hezbollah comme auxiliaire, permettant ainsi à Téhéran de mener une guerre indirecte tout en minimisant les risques de répercussions directes. Cette approche permet à l’Iran de projeter sa puissance régionale tout en évitant un affrontement ouvert et direct avec l’armée israélienne. Le Hezbollah agit donc en tant que bras armé de la politique iranienne au Liban, ce qui permet à Téhéran de maintenir une pression constante sur Israël sans être officiellement impliqué.

La République islamique d’Iran a également su construire, autour de son soutien au Hezbollah, une doctrine régionale connue sous le nom d’« axe de Résistance », qui inclut d’autres acteurs non-étatiques comme les milices chiites en Irak, en Syrie et le soutien aux Houthis au Yémen. Cette doctrine cherche à organiser un affrontement permanent avec l’influence israélienne et américaine au Moyen-Orient, en créant des zones d’influence où Téhéran peut projeter sa puissance. Cette politique de zones d’influence iranienne s’inscrit d’ailleurs en opposition à celle des « zones de sécurité » mise en œuvre par Israël.

Stratégie militaire et alliances régionales de l’Iran

Dans ce contexte, les opérations militaires israéliennes au sud du Liban sont perçues par l’Iran comme une menace contre l’ensemble de cet axe. Il ne s’agit donc pas seulement d’une question irano-libanaise mais d’une problématique touchant l’ensemble de la stratégie régionale de Téhéran. En réponse, la stratégie de dissuasion iranienne repose sur une escalade potentielle via le Hezbollah, en menaçant Israël d’une riposte disproportionnée. Le but est de dissuader Israël de lancer des opérations prolongées en mettant en avant la capacité du Hezbollah à frapper des cibles stratégiques à l’intérieur d’Israël, y compris des centres urbains et résidentiels[15].

Ces actions militaires de Téhéran à travers son partenaire du Hezbollah s’inscrivent également dans un contexte géopolitique plus large. Pour contrebalancer l’influence israélienne, Téhéran renforce ses alliances régionales, notamment avec la Syrie de Bachar al-Assad, où l’Iran maintient une présence militaire significative. La présence iranienne en Syrie permet non seulement de consolider l’axe Téhéran-Damas-Hezbollah, mais aussi de créer un corridor terrestre qui facilite le transfert d’armes et de ressources depuis l’Iran vers le sud du Liban. Cette stratégie s’est intensifiée avec l’intervention de la Russie en Syrie, permettant à l’Iran de bénéficier d’une couverture diplomatique et militaire tout en consolidant sa position au Levant. Téhéran tire ainsi parti de la guerre en Syrie pour établir une continuité territoriale entre ses partenaires et projeter son influence face à Israël. L’objectif de Téhéran, à savoir obtenir une implication plus grande de la Russie dans sa confrontation militaire avec Israël, reste néanmoins inabouti. En effet, il est peu probable que Moscou aille au-delà d’une assistance en termes de coopération dans le domaine du renseignement ou de la fourniture de matériel militaire, et cela seulement dans la mesure, où sa capacité de déni plausible serait préservée[16]. Autrement dit, le soutien russe à la stratégie régionale de Téhéran n’est pas comparable au soutien militaire apporté par Washington aux opérations militaires israéliennes.

Outre le soutien militaire et logistique, Téhéran mène également une guerre psychologique contre Israël en utilisant des moyens médiatiques et des cyberattaques[17]. Les chaînes de télévision et les plateformes en ligne officielles de la République islamique d’Iran diffusent régulièrement des messages de propagande visant à galvaniser le Hezbollah et à déstabiliser l’opinion publique israélienne. Le soutien de l’opinion publique libanaise et arabe au Hezbollah est crucial pour l’Iran. En mettant en avant la « résistance » du Hezbollah contre les opérations militaires israéliennes, Téhéran cherche à accroître sa légitimité et son influence dans le monde arabe. Cette dimension psychologique permet à l’Iran de renforcer son soft power tout en continuant à soutenir militairement et financièrement ses partenaires sur le terrain.

Enfin, la République islamique semble adopter une approche mesurée dans ses réponses aux opérations militaires israéliennes avec deux attaques directes sur le territoire israélien impliquant des drones et des missiles en avril et octobre 2024. Ces frappes apparaissent comme essentielles pour maintenir l’influence idéologique et la crédibilité militaire des forces armées iraniennes auprès de ses partenaires régionaux, en particulier le Hezbollah et le Hamas, qui dépendent du soutien militaire et politique de Téhéran. En effet, l’élimination de deux membres de « l’axe de la résistance » en quelques semaines constitue un recul stratégique sans précédent pour l’influence régionale de la République islamique depuis le début des années 2000.

Sur le plan diplomatique, la décision de l’Iran d’envoyer successivement son ministre des Affaires étrangères, Abbas Araghchi, à Beyrouth, le 4 octobre, et le président du Parlement Qalibaf, le 12 octobre, vise à montrer l’engagement politique ininterrompu de la République islamique vis-à-vis de ses partenaires en dépit des revers militaires. L’activisme diplomatique de Téhéran dans la région s’explique par la volonté de montrer qu’il n’y a pas de vide politique et que toute action militaire israélienne visant le territoire iranien serait non seulement un acte de déstabilisation de la République islamique d’Iran mais aussi de l’ensemble de la région. Même si les dégâts ont été limités à la suite des tirs de 200 missiles iraniens le 1er octobre 2024, sur le territoire israélien, les risques d’une escalade militaire régionale sont néanmoins réels dans la perspective d’une réponse israélienne, dans un premier temps, et, ensuite, avec la réponse envisagée par Téhéran dans l’hypothèse où la riposte de Tel Aviv serait significative sur le plan militaire[18].

En dépit d’une surenchère rhétorique sur les potentielles cibles militaires israéliennes que pourraient viser les forces armées iraniennes[19], Téhéran cherche à éviter une guerre à grande échelle qui pourrait menacer la stabilité de son réseau d’influence et exacerber les sanctions économiques américaines[20]. Téhéran s’efforce de promouvoir une stratégie de confrontation limitée, permettant de maintenir une pression constante tout en évitant une guerre ouverte avec Israël. C’est dans cette optique que les réponses du Hezbollah sont souvent ciblées et limitées, bien que la menace d’une escalade militaire plus large reste omniprésente et soit exploitée dans le cadre de la « guerre psychologique » entre les deux adversaires.

La question de l’opinion publique iranienne

Cette stratégie de communication des dirigeants de la République islamique vise aussi à masquer les vulnérabilités internes. En effet, il existe une polarisation croissante au sein de l’opinion publique entre les partisans du régime (entre 10 et 25 % de la population) et la majorité de l’opinion publique, qui souhaite une normalisation de la situation régionale et internationale du pays. Le système politique utilise, à court terme, la peur de la guerre pour surmonter son impopularité en prétendant jouer sur le sentiment nationaliste de défense de la souveraineté du pays.

Ce récit officiel semble néanmoins peu convaincant pour la majorité de la population iranienne, qui conteste la capacité de la République islamique à représenter la grandeur de la nation iranienne. Cette fragilité interne du régime apparaît d’ailleurs dans sa volonté de contrôler les informations sur l’escalade militaire régionale en cours, en restreignant l’accès à Internet, en renforçant la répression contre toute forme de contestation populaire et en utilisant la peine de mort comme un outil de gouvernance. Dans un communiqué au lendemain des tirs de missiles iraniens sur le territoire israélien, l’Organisation du renseignement des gardiens de la Révolution a d’ailleurs annoncé qu’un « traitement dur serait réservé à tous les internautes qui soutiendraient le faux régime israélien sur internet[21]  ».

Cette volonté de verrouiller le débat politique interne s’explique probablement par la peur d’une contestation populaire en interne. En effet, les résultats de l’enquête GAMAAN de septembre 2021 montrent qu’environ 66 % des Iraniens (alphabétisés, âgés de plus de 19 ans) sont en désaccord avec le slogan « Mort à Israël », tandis qu’environ 23 % le soutiennent. En revanche, 64 % approuvent le slogan « Ni Gaza, ni Liban, je sacrifie ma vie pour l’Iran », tandis que 24 % y sont opposés[22].

Arab Opinion Index, 2022.

De plus, il apparaît qu’environ 70 % de la population s’oppose à l’approche de la République islamique d’Iran vis-à-vis du Hezbollah au Liban, du Hamas en Palestine, des Forces de mobilisation populaire, Al-Hashd al-Shaabi, en Irak, des Houthis au Yémen et du régime de Bachar al-Assad en Syrie, tandis qu’environ 21 % approuvent cette stratégie régionale de soutien à « l’axe de la résistance ». Cela reflète une division importante au sein de la société iranienne sur le rôle de l’Iran dans les affaires régionales,  tant en ce qui concerne  de son soutien à des auxiliaires politico-militaires qu’à des gouvernements perçus comme des alliés stratégiques par le régime iranien[23]. Cette impopularité s’explique notamment par l’émergence d’un nouveau nationalisme,  ancré dans la société iranienne, qui recherche une stratégie se focalisant sur la défense des intérêts économiques du pays plutôt que sur une politique idéologique transnationale.

En revanche, il convient de citer d’autres études d’opinion qui tendent à confirmer le récit officiel des autorités de la République islamique en raison de biais méthodologiques[24]. Les enquêtes d’opinion conduites par l’Université de Maryland ne reflètent pas les résultats des enquêtes de Gamaan qui sont fondées sur des questionnaires en ligne. L’université de Maryland et IranPoll utilisent plus généralement des lignes de téléphone fixe. En conséquence, les interviewés sont plus enclins à l’autocensure du fait de l’absence de liberté d’expression à l’intérieur des frontières iraniennes.

Cela explique en grande partie pourquoi ces enquêtes reflètent, en général, les préférences idéologiques mises en avant par le récit officiel de la République islamique. Ainsi, selon une enquête de 2021, une majorité de la population iranienne aurait une opinion positive à l’égard du Hezbollah, avec 68 % en février 2021, dont 34 % ayant une opinion très favorable. Ces niveaux sont restés stables depuis 2018, bien qu’ils soient inférieurs à ceux de janvier 2016, où 74 % des répondants avaient exprimé une opinion favorable[25]. Au-delà des questions méthodologiques de ces enquêtes d’opinion, il existe une double contestation de la stratégie régionale de l’Iran au niveau populaire : la première se fonde sur son coût économique en termes de sanctions et de dépenses pour le budget de l’Etat iranien ; la seconde a trait à l’affaiblissement idéologique du régime auprès de son opinion publique qui recherche un retour à une incarnation des multiples dimensions de l’identité iranienne qui ne se limite pas à une composante idéologisée de la majorité de la population qui appartient à la communauté chiite.

Conclusion

Il apparaît, in fine, que la stratégie de la République islamique face aux opérations militaires israéliennes au sud du Liban repose sur une combinaison de soutien militaire direct au Hezbollah, de guerre par procuration, de dissuasion, d’activisme diplomatique et de guerre psychologique. Cette situation de guerre et de tensions internes permanentes est certes conforme à l’histoire de la République islamique. En effet, le système politique s’est construit dans la guerre contre l’Irak (1980-1988) et nombre de ses dirigeants ont participé à ce que la République islamique appelle la « guerre imposée ». Néanmoins, la majorité de la jeunesse iranienne, en particulier la Génération Z, ne semble pas encline à soutenir cet agenda idéologique de la République islamique qu’il s’agisse des relations avec le régime syrien ou du Hezbollah libanais. Enfin, la République islamique est confrontée à un problème interne à savoir la cohésion et l’infiltration de ses services de renseignement par Israël. Cet aspect risque d’être à terme l’un des principaux obstacles au maintien de la projection régionale de l’appareil de sécurité de la République islamique. Ces infiltrations traduisent en effet non seulement une crise existentielle de « l’axe de la résistance » mais aussi un affaiblissement financier de la République islamique.

Notes :

[1] Houchang E. Chehabi, « The Anti-Shah Opposition and Lebanon », in Houchang E. Chehabi (ed.), Distant Relations. Iran and Lebanon in the last 500 years, Centre for Lebanese Studies in association with I.B. Tauris, London/New York, 2006, p. 180.

[2] Houchang E. Chehabi, The Importance of Beirut for Iranian Modernity and Politics, UCLA, 2004. https://international.ucla.edu/institute/event/2138

[3] Houchang E. Chehabi, « Iran and Lebanon after Khomeini », in Houchang E. Chehabi (ed.), op. cit., p. 308.

[4] Il est marié avec la nièce de Moussa Sadr, Ibid., p. 302.

[5] Lamia Sfeir Darouni, « Entre élan patriotique et désillusion, les jeunes Libanais gardent espoir malgré tout », L’Orient-Le-Jour, 17 novembre 2022. Disponible : https://www.lorientlejour.com/article/1318317/entre-elan-patriotique-et-desillusion-lespoir-malgre-tout.html

[6] Sabrina Mervin, « Le lien iranien » in Sabrina Mervin (dir.), Le Hezbollah. État des lieux, Actes Sud, Arles, 2008, p. 84.

[7] Voir Clément Therme, « Les ambitions iraniennes en Afrique. Une présence idéologique, sécuritaire et économique », Notes de l’Ifri, 20 décembre 2022. Disponible : https://www.ifri.org/fr/notes/les-ambitions-iraniennes-en-afrique-une-presence-ideologique-securitaire-et-economique

[8] Voir le discours du 29 janvier 2022. Disponible :

https://georgewbush-whitehouse.archives.gov/news/releases/2002/01/20020129-11.html

[9] « L’armée conventionnelle perd si elle ne gagne pas. La guérilla gagne si elle ne perd pas ». Foreign Affairs, janvier 1969. Disponible : https://www.oxfordreference.com/display/10.1093/acref/9780191826719.001.0001/q-oro-ed4-00006377

[10] Christophe Ayad, « Pour le Hezbollah, plus de quatre décennies de guerre avec Israël », Le Monde, 1er octobre 2024. Disponible : https://www.lemonde.fr/international/article/2024/10/01/pour-le-hezbollah-plus-de-quatre-decennies-de-guerre-avec-israel_6340782_3210.html

[11] Voir l’enquête citée in “Gaza war helps Iran repair image in region—but for how long?”, Amwaj, 29 mars 2024. Disponible : https://amwaj.media/article/gaza-war-helps-iran-repair-image-in-region-but-for-how-long

[12] Voir Iran’s Networks of Influence in the Middle East, IISS, 2019. p. 29. Disponible : https://www.iiss.org/globalassets/media-library—content–migration/files/publications—free-files/strategic-dossier/iran-dossier/irans-networks-of-influence-in-the-middle-east.pdf

[13] « Hezbollah’s Iranian Arms », The Iran Primer, 1er août 2024. Disponible : https://iranprimer.usip.org/blog/2024/jul/31/hezbollah%E2%80%99s-iranian-arms

[14] Hamidreza Azizi, “Interview: A Step Back for Iran’s “Forward Defense””, Afkār, 29 septembre 2024. Disponible : https://mecouncil.org/blog_posts/interview-a-step-back-for-irans-forward-defense/

[15] “Hezbollah retaliated. Threat versus threat” (en persan), Tasnim News Agency, 11 octobre 2024. Disponible: https://bit.ly/3BPRwY4  

[16] Voir Nikita Smagin, “Iran Shouldn’t Expect Russia to Come Riding to Its Rescue”, Carnegie Politika, 14 octobre 2024. Disponible : https://carnegieendowment.org/russia-eurasia/politika/2024/10/iran-russia-military-aid?lang=en

[17] Michael Mieses, Noelle Kerr, Nakissa Jahanbani, « Artificial Intelligence Is Accelerating Iranian Cyber Operations », Lawfare, 9 octobre 2024. Disponible : https://www.lawfaremedia.org/article/artificial-intelligence-is-accelerating-iranian-cyber-operations

[18] “Netanyahu tells U.S. that Israel will strike Iranian military, not nuclear or oil, targets, officials say”, The Washington Post, 15 octobre 2024. Disponible : https://www.washingtonpost.com/world/2024/10/14/israel-iran-strike-nuclear-oil-military/  

[19] “35 strategic points in Iran’s shooting range” (en persan), Hamshari, 6 octobre 2024. Disponible : https://bit.ly/3BMaa2U

[20] “Treasury Expands Targeted Sanctions on Iranian Petroleum and Petrochemical Sectors in Response to Attack on Israel”, U.S. Department of the Treasury, 11 octobre 2024. Disponible : https://home.treasury.gov/news/press-releases/jy2644

[21] “IRGC Intelligence Organization’s important notice to the public/report any activity in cyberspace in support of Israel” (en persan), Donya-e-eqtesad, 2 octobre 2024. Disponible : https://bit.ly/487Fjd8

[22] “Iranians’ Attitudes Toward International Relations: A 2021 Survey Report”, Gamaan, septembre 2021. Disponible : https://gamaan.org/wp-content/uploads/2021/10/GAMAAN-IR-Survey-English-Report-Final.pdf

[23] Ibid.

[24] “Opinion – The University of Maryland IranPoll: Science or Science Fiction?”, Iran International, 9 novembre 2021. Disponible : https://www.iranintl.com/en/20211109864466

[25] Nancy Gallagher, Ebrahim Mohseni & Clay Ramsay, “Iranian Public Opinion. At the Start of the Biden Administration”, University of Maryland / IranPoll, février 2021. Disponible :  https://cissm.umd.edu/sites/default/files/2021-02/CISSM%20Iran%20PO%20full%20report%20-02242021_0.pdf