09/12/2024

La Syrie libérée : un jour historique

Par Racha Abazied

Alep, Hama, Homs, Deraa… et enfin Damas.

Le monde s’éveille incrédule face à un bouleversement historique : la chute du régime de Bachar el-Assad. En quelques jours seulement, l’ordre établi s’est effondré comme un château de cartes. Les forces rebelles de Hayat Tahrir al-Cham (HTC), en coalition avec des groupes djihadistes et l’Armée nationale syrienne (ANS), ont avancé de manière fulgurante. L’ancien maître de Damas a quitté le pays dans la nuit, son avion s’évaporant dans l’obscurité, symbole d’un régime abandonné de toutes parts.

Ce basculement, inattendu par sa rapidité et son caractère pacifique, bouleverse les perspectives en Syrie. Partout où les rebelles progressent, les soldats de l’armée régulière désertent, abandonnant leurs armes. Sans combats, les bastions du régime s’effondrent. Et dans les rues, l’espoir se transforme en liesse : portraits du dictateur arrachés, chants de liberté, embrassades.

L’image la plus poignante reste celle des détenus des prisons centrales de Homs et de Saydnaya, cette forteresse cauchemardesque qualifiée d’« abattoir humain » et décrite comme l’un des lieux les plus terrifiants du régime. Ces hommes et femmes, affaiblis, parfois réduits à des ombres d’eux-mêmes, émergent enfin à la lumière après des années d’enfermement. Des heures durant, une file interminable de survivants s’étire, incarnant à la fois l’horreur du passé et la promesse d’un nouveau départ. À l’heure où ces lignes sont écrites, des échos de tirs résonnent encore dans les profondeurs de Saydnaya, dans la « zone rouge », laissant présager des découvertes macabres.

Les défis à venir

L’effondrement du régime s’explique aussi par l’isolement d’Assad. Ses soutiens traditionnels, comme la Russie et l’Iran, n’ont pas véritablement engagé leurs forces pour le sauver. Les frappes russes, sporadiques et sans conviction, n’ont pas ralenti l’avancée des rebelles. Même le Hezbollah libanais a évité de s’enliser davantage dans un conflit déjà perdu. Les zones alaouites sur la côte, bastions historiques du régime, où nombreux se réjouissent également du départ d’Assad, se disent désormais prêtes à une passation pacifique, témoignant de l’ampleur du désaveu.

Cependant, au-delà des scènes de joie, les inquiétudes se multiplient. Que réserve l’avenir ? Le leader rebelle Ahmed al-Chareh, plus connu sous son nom de guerre Abou Mohammed al-Jolani, se présente comme une figure pragmatique, déjà presque comme un chef d’État. Il n’a cessé de dialoguer avec des responsables de plusieurs pays pour rassurer sur la transition. Dans une récente interview accordée à CNN, il a affirmé vouloir protéger les minorités et reconstruire une Syrie unie, débarrassée du joug d’Assad. 

Reconstruction, réconciliation, incertitudes

Pour l’heure, les premiers signes sont étonnamment positifs. Les soldats du régime qui déposent les armes rentrent chez eux sans représailles. Les institutions d’État sensibles, comme les hôpitaux ou les infrastructures électriques, ont été préservées. Profitant du chaos général, quelques pillages ont eu lieu à la Banque centrale, mais celle-ci a rapidement été sécurisée par les rebelles.

Cependant, de nombreux défis restent à relever. Il faudra établir un dialogue avec les Kurdes au nord-est, toujours méfiants face aux intentions des nouveaux maîtres du pays. La tenue d’élections libres, la reconstruction d’un pays dévasté par plus d’une décennie de guerre, et la mise en place d’une transition démocratique s’annoncent comme des chantiers titanesques. Après 15 ans d’ingérence régionale et internationale, il est temps de laisser au peuple syrien le choix de sa future gouvernance. L’Occident, qui observe l’évolution de la situation avec prudence, devra aussi apprendre à se positionner et trouver un moyen d’accompagner les Syriens dans leur transition, plutôt que de leur imposer une solution.

Aujourd’hui, c’est le triomphe du peuple syrien que l’on célèbre. Après des années de massacres, de famine, d’exode et d’horreurs inimaginables – armes chimiques, barils explosifs, sièges – ce moment de libération porte en lui une immense charge symbolique. C’est l’aboutissement des sacrifices de milliers de personnes qui, dans la douleur, n’ont jamais abandonné leur rêve de liberté.

Alors que des foules scandent « Wahed, Wahed, Wahed, el Shaab el-Souri Wahed » (« Un, un, un, le peuple syrien est uni »), il est temps de rendre hommage à leur résilience. Y compris à ceux qui ne sont pas revenus, comme le leader Abdel Basset Sarout, qui a fait vibrer la révolution au son de « Jana, jana, jana walla ya watanna » (« Paradis, paradis, mon pays »). La route sera longue et parsemée d’embûches, mais aujourd’hui, une dictature s’effondre, et avec elle, l’une des pages les plus sombres de l’histoire syrienne. Prenons le temps de nous en réjouir !