Centre Arabe de Recherches et d’Études Politiques de Paris

20/10/2025

Le plan de paix de Trump au Moyen-Orient : une initiative controversée en faveur d’Israël

Par l'Unité d'analyse politique de l'ACRPS
Photo Charm Al Cheikh
Donald Trump et des dirigeants mondiaux au sommet sur la paix au Moyen-Orient, à Charm el-Cheikh, le 13 octobre 2025. (Photo Maison-Blanche / Daniel Torok – Domaine public)

Au Sommet de Charm el-Cheikh, Donald Trump a annoncé la « fin de la guerre à Gaza » et l’entrée du Moyen-Orient dans « une nouvelle ère ». Mais derrière le discours triomphal, la paix qu’il dessine prend les allures d’une tutelle internationale : désarmement du Hamas, force multinationale, administration sous supervision étrangère. Une transition fragile, où la victoire militaire se confond avec la promesse de stabilité.

Le 13 octobre 2025, au Sommet de Charm el-Cheikh pour la paix au Moyen-Orient, Donald Trump s’est avancé devant les caméras pour déclarer, d’un ton triomphal, que « la guerre à Gaza est terminée » et que le Moyen-Orient « entre dans une nouvelle ère[1] ». Selon le président américain, la deuxième phase des négociations venait de s’ouvrir[2] : celle qui devait consolider le cessez-le-feu, entériner le retrait partiel d’Israël de la bande de Gaza, et accompagner l’échange de prisonniers et de dépouilles entre Israël et les factions de la résistance palestinienne.

Mais cette nouvelle étape, censée marquer le retour à la stabilité, s’annonce déjà comme la plus épineuse. Elle aborde les questions les plus sensibles : le sort des armes du mouvement islamique Hamas – que Washington et Tel-Aviv exigent de désarmer –, la mise en place d’une force multinationale de stabilisation chargée d’assurer la sécurité dans la bande de Gaza, et la création d’une commission palestinienne de technocrates appelée à administrer le territoire sous la supervision d’un Conseil international pour la paix et la reconstruction.

Pourtant, le ton optimiste de Trump contraste fortement avec la réalité de cette deuxième phase. Derrière la rhétorique de la « nouvelle ère », les doutes s’accumulent. En reprenant à son compte la narration israélienne, le président américain s’exprime à la Knesset comme s’il était chez lui : il célèbre l’usage par Israël des armes américaines, tout en proférant de nouvelles menaces – contre le Hamas, contre l’Iran, contre tous ceux qui contestent la vision américano-israélienne d’un « nouveau Moyen-Orient ». Un Moyen-Orient qu’ils prétendent remodeler à partir de ce qu’ils considèrent comme leur victoire militaire – et non d’une paix véritable.

Unité d’analyse politique de l’ACRPS

L’Unité d’analyse politique est un département du Arab Center for Research and Policy Studies (Doha) consacré à l’étude de l’actualité dans le monde arabe. Elle vise à produire des analyses pertinentes utiles au public, aux universitaires et aux décideurs politiques de la région et du reste du monde. En fonction des questions débattues, elle fait appel aux contributions de chercheurs et de spécialistes du ACRPS ou de l’extérieur. L’Unité d’analyse politique est responsable de l’édition de trois séries de publications scientifiques rigoureuses : Évaluation de situation, Analyse politique et Analyse de cas.

Un cessez-le-feu à géométrie variable

Le 9 octobre 2025, Trump a annoncé qu’Israël et le Hamas avaient accepté son plan de paix pour la bande de Gaza, après y avoir intégré l’ensemble des objectifs déclarés par Israël[3]. L’accord de cessez-le-feu initial est entré en vigueur le 10 octobre, tandis que l’échange de prisonniers a débuté le 13 du même mois.

Le Hamas a libéré vingt prisonniers israéliens vivants, en échange de la remise en liberté de 1 968 prisonniers palestiniens, dont 250 condamnés à la réclusion à perpétuité. Le Hamas a également restitué les dépouilles de quatre soldats israéliens, mais poursuit ses efforts pour récupérer les corps de 24 prisonniers israéliens, malgré les difficultés techniques et logistiques liées à la localisation de leurs tombes, en raison des destructions massives provoquées par l’offensive israélienne sur Gaza. Israël s’est engagé à remettre 15 corps palestiniens pour chaque dépouille israélienne.

Selon les grandes lignes de l’accord annoncé par Trump à la fin de septembre 2025 – un texte de 21 points –[4], les forces israéliennes s’étaient retirées, avant le début de l’échange de prisonniers, vers ce que l’on appelle la « ligne jaune » à l’intérieur de la bande de Gaza, dans le cadre d’une première phase sur deux. Ce retrait partiel a permis à Israël de conserver le contrôle de 53 %[5]du territoire et d’autoriser l’entrée de l’aide humanitaire dans les zones assiégées.

Malgré les manœuvres israéliennes autour des listes de détenus palestiniens et son renoncement à laisser entrer les 600 camions humanitaires quotidiens initialement prévus – réduits de moitié sous prétexte qu’elle n’avait pas récupéré tous les corps de ses soldats –, ainsi que la mort de plusieurs Palestiniens accusés d’avoir franchi la ligne autorisée, le cessez-le-feu « tient toujours ». Un consensus existe pour y voir, malgré tout, un succès relatif.

Malgré les obstacles, un optimisme prudent prévaut. Trump a investi une part importante de son capital politique dans cet accord et bénéficie d’un large soutien international, nourri autant par la volonté de le satisfaire que par la crainte de ses réactions imprévisibles – comme l’a montré le sommet de Charm el-Cheikh, auquel ont participé les dirigeants d’une trentaine de pays[6].

Trump a autorisé ses envoyés Steve Wiggle et Jared Kushner à rencontrer les dirigeants du Hamas à Charm el-Cheikh le 8 octobre, leur donnant sa garantie personnelle qu’il ne permettrait pas à Israël de reprendre la guerre, tant que le mouvement respecterait sa part de l’accord – dont l’interprétation reste sujette à controverse, notamment sur les clauses que le Hamas n’a pas signées.

La présence du Qatar, de l’Égypte et de la Turquie en tant que garants, aux côtés des États-Unis, a renforcé la confiance du Hamas et des autres factions palestiniennes, créant un climat plus propice à la négociation des modalités de l’accord, malgré les doutes persistants sur les intentions du gouvernement israélien. Ces inquiétudes demeurent vives, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou et son gouvernement d’extrême droite continuant de brandir la menace d’une reprise des hostilités si leurs objectifs ne sont pas pleinement atteints, notamment l’affaiblissement durable des capacités militaires et politiques du Hamas. Israël, de son côté, multiplie les prétextes pour se soustraire à ses engagements.

Un nouveau Moyen-Orient

Donald Trump et son allié Benjamin Netanyahou n’ont jamais caché leur volonté de remodeler le Moyen-Orient et d’imposer ce qu’ils appellent une « paix par la force », comme ils l’ont réaffirmé devant la Knesset.

Netanyahou a rappelé ce qu’il considère comme les « victoires » d’Israël, obtenues avec le soutien des États-Unis après l’attaque du 7 octobre 2023, soulignant que la puissance militaire israélienne constitue « le fondement indispensable de la paix : la paix par la force ». Il a également annoncé son intention de poursuivre avec Trump la voie des accords d’Abraham, déclarant :« Sous votre direction, nous pouvons forger de nouveaux traités de paix avec les pays arabes de la région et les pays musulmans au-delà[7]».

Trump, de son côté, a estimé que ce qui avait été accompli « n’était pas seulement la fin d’une guerre, mais la fin d’une époque », promettant d’appliquer la paix par la force : « Je peux vous dire que nous disposons d’armes dont personne n’aurait jamais rêvé. J’espère seulement que nous n’aurons jamais à les utiliser. (…) Nous fabriquons les meilleures armes du monde. Nous en avons beaucoup, et, franchement, nous en avons fourni beaucoup à Israël[8] »

Il a souligné que la participation des États-Unis à la guerre contre l’Iran et au bombardement de ses réacteurs nucléaires en juin 2025 avait ouvert la voie au cessez-le-feu à Gaza, ajoutant : « Les pays arabes et musulmans n’auraient pas accepté cet accord si l’Iran avait possédé l’arme nucléaire[9] ». Sur cette base, il a exhorté Israël à « saisir l’occasion offerte par [son] administration » : « Avec notre aide, Israël a accompli tout ce qui pouvait être accompli par la force militaire. Il est maintenant temps de traduire ces victoires contre les terroristes sur le champ de bataille en la récompense ultime : la paix et la prospérité pour l’ensemble du Moyen-Orient ». Trump a réaffirmé sa volonté de faire pression sur les pays arabes pour qu’ils adhèrent rapidement aux accords d’Abraham, assurant à Netanyahou que les objectifs politiques de la guerre seraient atteints, puisque les États-Unis les avaient désormais adoptés. Il jugeait donc inutile de poursuivre la guerre si ces objectifs pouvaient l’être par d’autres moyens.

Lors du Sommet de Charm el-Cheikh, Trump a réitéré son souhait de voir « tout le monde adhérer aux accords d’Abraham[10] », même si son plan de paix ne prévoit aucune voie claire vers la création d’un État palestinien – une revendication soutenue par la majorité des pays arabes et musulmans, ainsi que par une large partie de la communauté internationale. Pour ses détracteurs, ce plan revient à récompenser Israël malgré les accusations de crimes de guerre et de génocide à Gaza une situation inédite dans l’histoire diplomatique moderne.

Le document intitulé « Déclaration de Charm el-Cheikh pour la paix et la prospérité durables » reste très général : il évoque « un nouveau chapitre pour la région, caractérisé par l’espoir, la sécurité et une vision commune de la paix et de la prospérité, grâce à la fin de la guerre à Gaza et à l’instauration d’une paix durable au Moyen-Orient ».

Il affirme que « la paix durable est celle qui permet aux Palestiniens et aux Israéliens de prospérer tout en protégeant leurs droits humains fondamentaux, garantissant leur sécurité et préservant leur dignité ». Mais le texte ne précise ni les conditions concrètes d’une telle paix, ni les responsabilités d’Israël, ni les droits garantis aux Palestiniens[11].

Un accord difficile à concrétiser

Malgré les déclarations emphatiques de Trump – ses fanfaronnades et ses formules grandiloquentes sur « un conflit de 3 000 ans » qui resterait « gravé dans les mémoires pour toujours[12] » –, une lecture réaliste de l’accord met en lumière une série d’obstacles majeurs susceptibles d’en compromettre la mise en œuvre :

  1. L’administration de la bande de Gaza : la gouvernance post-conflit reste incertaine. Les factions de la résistance palestinienne exigent une administration entièrement palestinienne, fondée sur un consensus national et rejetant toute tutelle internationale[13]. Cela contredit le plan Trump, qui prévoit une Commission palestinienne de technocrates rassemblant experts palestiniens et internationaux, sous la supervision d’un Conseil pour la paix, présidé par Trump lui-même[14].
  2. La question des armes de la résistance : Trump et Netanyahou insistent pour le désarmement complet du Hamas, y compris par la force. Les factions palestiniennes affirment au contraire qu’elles ne remettront leurs armes qu’à un gouvernement palestinien légitime, après la création de l’État de Palestine. Le Qatar tente d’intervenir en médiateur. Son Premier ministre, Cheikh Mohammed ben Abdelrahman Al Thani, a déclaré qu’il existait « une différence fondamentale entre la remise des armes du Hamas à une autorité palestinienne ou à une autre partie », ajoutant que le mouvement se disait prêt à discuter des moyens de ne pas représenter une menace pour Israël[15]. Il est certain qu’il n’existe pas d’autre solution pour désarmer que la guerre.
  3. L’absence de reconnaissance du droit à l’autodétermination : le plan évoque l’État palestinien de manière vague et conditionne sa création aux progrès de la reconstruction et aux réformes de l’Autorité palestinienne, parlant d’une « aspiration[16]» plutôt que d’un droit fondamental reconnu par le droit international.
  4. Le manque de garanties : il n’est pas certain que les pays arabes acceptent de financer la reconstruction de Gaza sans que des réparations israéliennes soient exigées, ni qu’ils adhèrent aux accords d’Abraham sans garanties solides qu’Israël n’y mette pas fin unilatéralement et qu’il accepte la création d’un État palestinien conformément aux résolutions de l’ONU.
  5. La pérennité de l’engagement américain : rien ne garantit que Trump poursuivra personnellement la mise en œuvre de l’accord et la surveillance du comportement israélien. Un retrait américain après la phase médiatique ouvrirait la voie à un rebasement de la guerre sous d’autres prétextes.

Conclusion

Les motivations de Donald Trump à imposer un cessez-le-feu dans la bande de Gaza relèvent autant de son narcissisme politique et de son désir de laisser une trace dans l’histoire — voire de briguer le prix Nobel de la paix – que de calculs électoraux. Le président américain doit composer avec le mécontentement croissant de sa base conservatrice, lassée de l’influence d’Israël sur la politique américaine et de l’implication de Washington dans des conflits extérieurs.

À ces considérations internes s’ajoute l’isolement international d’Israël, de plus en plus pointé du doigt pour ses crimes de guerre à Gaza. Cette pression, Trump ne peut l’ignorer. Devant la Knesset, il a même reconnu avoir dit à Netanyahou que « le moment était venu » de cesser les hostilités, car « les choses commençaient à devenir un peu difficiles dans le monde. Et au final, c’est le monde qui gagne. On ne peut pas vaincre le monde. » Une déclaration qui illustre sa volonté de sauver Israël de son isolement, tout en l’aidant à préserver ses objectifs politiques.

Son plan demeure pourtant étranger aux intérêts palestiniens et bien éloigné de toute perspective de « paix globale ». Il épouse les exigences israéliennes de fin de guerre et ambitionne de reconfigurer la région à l’avantage d’Israël. Sa portée réelle réside ailleurs : dans la cessation temporaire des hostilités, dans l’entrée de l’aide humanitaire à Gaza, dans l’espoir d’une reconstruction minimale et dans la prévention d’un nouvel exode massif.

Mais seule une unité palestinienne solide, soutenue par une position arabe et islamique affirmée en faveur du droit à l’autodétermination, et relayée par un mouvement international de solidarité, pourrait inverser le scénario que Trump et Netanyahou s’efforcent d’imposer au Moyen-Orient, celui d’une paix dictée, plutôt que négociée.

Notes

[1] “Speech: Donald Trump Delivers Remarks at the Peace Ceremony in Egypt”, Roll Call, 13/10/2025, consulté le 16/10/2025, sur : https://acr.ps/1L9BPK1

[2] Diyar Güldoğan, “Trump Announces Start of ‘Phase 2’ of Gaza Deal”, Anadolu Ajansı, 14/10/2025, consulté le on 16/10/2025, sur: https://acr.ps/1L9BPjw

[3] « Accord de cessez-le-feu à Gaza : caractéristiques, motivations et défis », ACRPS, 13/10/2025, consulté le 16/10/2025, sur: https://acr.ps/1L9BPrx

[4] “‘The Closest We’ve ever Come’: Full text of Trump, Netanyahu Statements on Deal to end Gaza War”, TheTimes of Israel, 29/9/2025, consulté le 16/10/2025, sur : https://acr.ps/1L9BPTw

[5] Mariel Ferragamo, “A Guide to Trump’s Twenty-Point Gaza Peace Deal”, Council on Foreign Relations, 13/10/2025, consulté le 16/10/2025, sur : https://acr.ps/1L9BP21

[6] Darlene Superville & Chris Megerian, “Trump Urges Leaders to Put ‘Old Feuds’ Aside as he Calls for a New Era of Harmony in the Middle East”, Associated Press, 13/10/2025, consulté le 16/10/2025, sur : https://acr.ps/1L9BPUn

[7] “Benjamin Netanyahu’s Speech; Benjamin Netanyahu Speaks After Hostage Release; Dan Senor is Interviewed about Israel”, CNN, 13/10/2025, consulté le  16/10/2025, sur : https://acr.ps/1L9BPhC

[8] President Donald Trump’s Address to the Knesset (October 13, 2025), consulté le 16/10/2025, sur : https://main.knesset.gov.il/EN/activity/Documents/SpeechPdf/trump.pdf?utm_source=chatgpt.com

[9] “Full Text of Trump’s Knesset Speech: You’ve Won. You Can’t Beat the World. It’s Time for Peace”, TheTimes of Israel, 13/10/2025, consulté le 16/10/2025, sur : https://acr.ps/1L9BP6W

[10] “Speech: Donald Trump Delivers Remarks at the Peace Ceremony in Egypt”, op.cit.

[11]  “The Trump Declaration for Enduring Peace and Prosperity”, The White House, 13/10/2025, consulté le 16/10/2025, sur : https://acr.ps/1L9BP0H

[12] Discours complet de Donald Trump, op.cit.

[13] « Hamas, Jihad et Front populaire : nous refusons toute tutelle étrangère sur Gaza » (en arabe), Al Jazeera Net, 11/10/2025, consulté le 16/10/2025, sur : https://acr.ps/1L9BOVX

[14] “‘The Closest We’ve ever Come’: Full Text of Trump, Netanyahu Statements on Deal to end Gaza War”, op.cit.

[15] Adam Rasgon, “Israel and Hamas Were Not Ready for a Comprehensive Peace Deal, Mediator Says”, The New York Times, 12/10/2025, consulté le 16/10/2025, sur : https://acr.ps/1L9BPCl

[16] Discours complet de Donald Trump à la Knesset, op.cit.