Les négociations entre Damas et Tel-Aviv, relancées après la chute du régime de Bachar al-Assad, ont abouti à la proposition d’un nouvel accord de sécurité visant à redéfinir le contrôle du sud de la Syrie. Présenté comme une mesure de stabilisation, ce projet soulève de profondes inquiétudes : il consacre de fait l’influence israélienne sur une large partie du territoire syrien et remet en question la souveraineté de l’État.
L’accord de sécurité proposé entre la Syrie et Israël et ses répercussions
En septembre dernier, les négociations entre la Syrie et Israël ont connu une nette accélération, sous la pression de l’envoyé américain en Syrie, Tom Barak, désireux de conclure un accord avant la 80ᵉ session de l’Assemblée générale des Nations unies à New York, ouverte le 23 septembre.
Le président syrien Ahmad al-Chareh avait alors évoqué la possibilité de signer un accord avec Israël lors de son séjour aux États-Unis, affirmant : « Nous sommes très proches d’un accord avec Israël sous la médiation américaine ». Il avait précisé que cet accord serait comparable à l’accord de séparation des forces de 1974 et n’impliquerait ni normalisation des relations, ni adhésion de la Syrie aux accords d’Abraham[1]. Le ministère syrien des Affaires étrangères avait par ailleurs indiqué que la signature, initialement envisagée en septembre, s’inscrivait dans une « série d’accords successifs » à conclure avec Israël avant la fin de 2025[2].
Des négociations sous le feu
Unité d’analyse politique de l’ACRPS
L’Unité d’analyse politique est un département du Arab Center for Research and Policy Studies (Doha) consacré à l’étude de l’actualité dans le monde arabe. Elle vise à produire des analyses pertinentes utiles au public, aux universitaires et aux décideurs politiques de la région et du reste du monde. En fonction des questions débattues, elle fait appel aux contributions de chercheurs et de spécialistes du ACRPS ou de l’extérieur. L’Unité d’analyse politique est responsable de l’édition de trois séries de publications scientifiques rigoureuses : Évaluation de situation, Analyse politique et Analyse de cas.
Après la chute du régime de Bachar al-Assad le 8 décembre 2024, le front syrien a profondément changé, tant sur le terrain que sur le plan sécuritaire. Le gouvernement de Benjamin Netanyahu a profité de l’effondrement de l’armée syrienne pour annoncer la fin de l’accord de « séparation des forces » de 1974, estimant que l’une des parties n’était plus en mesure d’en respecter les termes[3]. Israël a ensuite envahi et occupé la zone tampon du plateau du Golan (235 km²) et étendu ses incursions sur près de 600 km² du territoire syrien. Parallèlement, une vaste campagne aérienne israélienne a détruit une grande partie des armes et équipements de l’armée syrienne. En juillet 2025, les raids ont même touché les environs du palais présidentiel à Damas, lors des événements qui ont secoué la province de Soueida.
Dans ce contexte, l’administration Trump a soutenu des négociations directes entre Israël et la Syrie, organisées à Bakou, Paris et Londres, avec l’objectif d’inclure Damas dans la série d’« accords d’Abraham » initiés lors du premier mandat de Trump (2017-2021). Lors d’une rencontre avec Ahmad al-Chareh à Riyad le 14 mai, Trump avait invité la Syrie à rejoindre le processus de normalisation avec Israël, en promettant en échange la levée des sanctions[4] .
Le lien entre progrès dans les négociations avec Israël et levée des sanctions est apparu clairement à travers les démarches du ministre syrien des Affaires étrangères, Asaad al-Shibani. Celui-ci s’est rendu à Washington pour discuter de la levée des sanctions[5], après avoir rencontré à Londres le ministre israélien des Affaires stratégiques, Ron Dermer, en présence de l’envoyé spécial américain Tom Breck, afin d’examiner un projet de nouvel accord de sécurité proposé par Israël[6].
Cette visite avait été précédée de discussions à Paris, centrées sur la désescalade, la surveillance du cessez-le-feu dans la province de Soueida – conclu grâce à la médiation américaine en juillet 2025 – et la réactivation de l’accord de 1974. Bien que ces accords soient de nature sécuritaire, les négociations se sont déroulées entre responsables politiques de haut niveau, et non entre militaires.
Les contours de l’accord de sécurité potentiel
Le gouvernement d’Ahmad al-Chareh cherche à relancer l’accord de séparation des forces de 1974, avec certaines adaptations (« accord de 1974 + »), tandis qu’Israël vise à imposer un nouvel accord, profitant de la faiblesse de la Syrie et de la difficulté de son nouveau gouvernement à établir un consensus national. Sur cette base, Israël a présenté une proposition détaillée pour le sud-ouest syrien, discutée à Londres entre Ron Dermer et Asaad al-Shibani le 17 septembre[7] .
Les détails complets de l’accord n’ont pas encore été rendus publics, mais selon les médias, il prévoirait :
- un retrait progressif des forces israéliennes vers les lignes de 1974[8], à l’exception de deux positions avancées sur le mont Hermon[9] ;
- le report de la question du plateau du Golan ;
- l’engagement syrien à empêcher l’usage de son territoire pour attaquer Israël ;
- l’engagement israélien à ne pas s’ingérer dans les affaires intérieures syriennes et à reconnaître le gouvernement d’Ahmad al-Chareh.
L’accord propose de diviser le sud de la Syrie en plusieurs zones, rappelant l’accord de Camp David avec l’Égypte, mais à la différence que Damas ne récupèrerait pas l’intégralité de son territoire occupé. Chaque zone serait soumise à des règles spécifiques sur la présence de forces et d’armes, avec interdiction d’armes lourdes dans les zones tampon et autorisation limitée à la police et aux forces de sécurité intérieure. Contrairement au Golan, où Israël devait créer des zones parallèles démilitarisées sur son territoire, le sud de Damas serait soumis à ces restrictions unilatéralement, transférant le traitement du Golan vers ces régions plutôt que de le récupérer.
Les zones prévues seraient :
- Zone jaune : bande effectivement occupée, sous contrôle sécuritaire israélien, servant de base aux opérations militaires et de renseignement ;
- Zone bleue : zone de séparation des forces historique, gérée sous contrôle international ;
- Zone rouge : zone démilitarisée à l’intérieur du territoire syrien, interdisant armes lourdes et présence militaire organisée, sans contrepartie du côté israélien, créant une véritable bande tampon ;
- Zone verte : zone d’exclusion aérienne, couvrant les gouvernorats de Deraa et Soueida jusqu’aux environs de Damas, limitant la liberté d’action de l’aviation syrienne.
La proposition israélienne prévoit également l’élargissement de la zone tampon de deux kilomètres côté syrien et l’instauration d’une réorganisation globale de la sécurité du sud, en zones distinctes avec un statut particulier, limitant de facto la souveraineté syrienne sur une partie importante de son territoire.
Contenu et défis de l’accord de sécurité
La proposition israélienne inclut également l’élargissement de la zone tampon de deux kilomètres côté syrien et l’instauration d’une réorganisation globale de la sécurité du sud, en zones distinctes avec un statut particulier, limitant de facto la souveraineté syrienne sur une partie importante de son territoire.
Cette proposition reflète une tentative d’imposer une nouvelle réalité politique et militaire, transformant de vastes zones du sud en espaces quasi isolés de l’autorité centrale et placés sous contrôle direct ou indirect d’Israël. Si elle était appliquée, elle renforcerait l’influence israélienne dans les provinces méridionales – Deraa, Quneitra, Soueida et certaines parties de la campagne sud-ouest de Damas – et permettrait à Israël d’intervenir militairement à sa convenance, sous prétexte de stabilité et de sécurité.
Elle compromet la souveraineté syrienne et menace l’unité du pays, en traitant ces régions comme partiellement hors du contrôle de l’État, plutôt que comme des territoires à récupérer. Elle constitue également un test délicat pour le gouvernement provisoire syrien : accepter un tel accord dès le début de son mandat risquerait d’affaiblir sa légitimité interne.
Cette proposition survient peu après l’annonce d’un accord de principe entre la Syrie, la Jordanie et les États-Unis pour apaiser la situation à Soueida et répondre aux revendications locales. L’alternative sécuritaire imposée par Israël compromet cette feuille de route, donnant l’impression que les arrangements internationaux priment sur les solutions politiques internes. Elle ouvre la voie à la multiplication future de zones démilitarisées ou tampons, fragmentant potentiellement la Syrie en zones d’influence au lieu de renforcer un État souverain et centralisé ou fédéral.
Le succès d’Israël dans la création d’une zone de sécurité encouragerait d’autres puissances à réclamer des arrangements similaires, imposant des restrictions à la souveraineté syrienne par la pression militaire si les négociations échouent. Le gouvernement de transition ferait face à de lourds défis politiques, juridiques et sécuritaires, le plus important étant l’absence de légitimité constitutionnelle et de mandat populaire pour conclure un tel accord. En effet, tout traité affectant la souveraineté ou le territoire exige normalement une ratification parlementaire, aujourd’hui impossible, ce qui le rendrait juridiquement contestable et potentiellement inconstitutionnel.
Politiquement, un accord avec Israël – un État historiquement hostile et actuellement engagé dans la guerre en Palestine – sans consensus national global, risquerait de renforcer les fractures sociales et politiques. Même au sein de la coalition au pouvoir, des oppositions pourraient émerger, refusant tout compromis sur la souveraineté. L’instauration d’une zone démilitarisée dans le sud constituerait un précédent dangereux, validant implicitement l’influence israélienne et affaiblissant le droit syrien à récupérer le Golan et à renforcer ses capacités de défense.
Un tel accord serait perçu par Israël comme la reconnaissance d’un statut sécuritaire particulier pour le sud, créant de facto une frontière implicite entre cette région et le reste du pays, en plus de la présence militaire sur le mont Hermon. À long terme, il comporterait des risques sécuritaires majeurs : désarmement partiel du territoire, vulnérabilité accrue aux incursions israéliennes, et affaiblissement durable de la position syrienne dans toute négociation future sur le Golan[10] .
Conclusion
La proposition israélienne d’instaurer une zone démilitarisée dans le sud de la Syrie constitue une menace majeure pour l’unité, la souveraineté et la sécurité du pays. Elle exploite la période de transition, la fragilité militaire et économique, ainsi que les divisions internes, pour imposer un fait accompli favorable à l’occupation. L’histoire récente – de Camp David (1978) à Oslo (1993), puis aux accords d’Abraham (2020) – montre que les concessions faites à Israël n’ont jamais freiné sa politique expansionniste, mais ont souvent renforcé son emprise sur les territoires occupés.
Dans ce contexte, tout accord sécuritaire entre la Syrie et Israël doit rester strictement encadré par l’accord de séparation des forces de 1974, sans reconnaissance politique, explicite ou implicite, de l’influence israélienne, et sans atteinte à la souveraineté syrienne.
Ces questions dépassent les prérogatives d’un gouvernement provisoire issu d’une situation exceptionnelle. Celui-ci doit faire preuve de transparence, informer la population des choix en jeu, associer les élites nationales aux discussions et mobiliser l’opinion publique arabe et régionale contre toute tentative israélienne d’imposer des arrangements coercitifs. Enfin, plutôt que de céder à la pression, la Syrie doit réorganiser ses priorités défensives et renforcer ses capacités militaires dans le sud, pour rappeler à Israël que toute agression ou incursion terrestre ne resterait pas sans réponse.
Notes
[1] « Al-Charaa : nous sommes très proches d’un accord avec Israël sous la médiation américaine » (En arabe), Syria News, 20/9/2025, consulté le 21/9/2025, à l’adresse : https://acr.ps/1L9BPvk
[2] « Ministère syrien des Affaires étrangères : accords de sécurité avec Israël avant la fin de l’année », Al Jazeera Net (En arabe), 18/9/2025, consulté le 21/9/2025, à l’adresse : https://acr.ps/1L9BPdS
[3] « UN slams ‘violation’ of 1974 Syria disengagement deal as Israel acts in buffer zone », The Times of Israel, 10/12/2024, consulté le 21/9/2025, à l’adresse : https://acr.ps/1L9BP8j
[4] « Trump Meets Syrian President, Urges him to Establish Ties with Israel », Reuters, 14/5/2025, consulté le 21/9/2025, à l’adresse : https://acr.ps/1L9BPj5
[5] « Syrian Foreign Minister Visits D.C. to Lobby for Lifting of Last Sanctions », Axios, 17/9/2025, consulté le 21/9/2025, à l’adresse : https://acr.ps/1L9BPNd
[6] Barak Ravid, «Syrian foreign minister visits D.C. to lobby for lifting of last sanctions », The Jerusalem Post, 18/9/2025, consulté le 21/9/2025, à l’adresse : https://acr.ps/1L9BPEA
[7] Lazar Berman, ToI Staff and Agencies, « Israel presented Syria with detailed proposal for new security agreement – report », The Times of Israel, 17/9/2025, consulté le 21/9/2025, à l’adresse : https://acr.ps/1L9BPNr
[8] « Scoop: Israel Presented Syria with Proposal for New Security Agreement », Axios, 16/9/2025, consulté le 21/9/2025, à l’adresse : https://acr.ps/1L9BPPS
[9] « iting October 7, Katz says Israeli Troops Inside Syria Staying Put to Defend North », The Times of Israel, 26/8/2025, consulté le 21/9/2025, à l’adresse : https://acr.ps/1L9BPE1
[10] « Le Centre arabe publie une vaste enquête d’opinion inédite sur la Syrie », Centre arabe de recherche et d’études politiques, 31/8/2025, version française sur le site du CAREP Paris, à l’adresse : https://carep-paris.org/recherche/varia/le-centre-arabe-publie-une-vaste-enquete-dopinion-inedite-sur-la-syrie/