Les désaccords entre les membres de la coalition au pouvoir en Israël, dirigée par le Premier ministre Benjamin Netanyahou, se sont aggravés ces dernières semaines après que Benny Gantz a menacé de démissionner du Cabinet de guerre si un plan post-guerre pour Gaza n’était pas approuvé d’ici le 8 juin. Le ministre israélien de la Défense, Yoav Galant, avait précédemment annoncé qu’il n’accepterait pas de régime militaire israélien à Gaza après la fin de la guerre, et qu’il avait demandé la formation d’une alternative à la direction du Hamas, mais il n’avait pas reçu de réponse du Premier ministre. La question du « jour d’après » la guerre dans la bande de Gaza est devenue un point de discorde central parmi les dirigeants politiques et militaires israéliens, bien que les divergences s’étendent à d’autres questions telles que l’accord d’échange de prisonniers entre Israël et le Hamas, la nomination des hauts commandants de l’armée et des services de sécurité, la promulgation de la loi sur la conscription des haredim[1], ainsi que la formation d’enquêtes sur l’échec sécuritaire, de renseignement et militaire du 7 octobre 2023.
Plans pour le « jour d’après »
Depuis le début de la guerre génocidaire contre la bande de Gaza, Netanyahou a adopté l’attitude la plus extrême et agressive envers le peuple palestinien au sein de sa coalition gouvernementale. Il a appelé au déplacement des Palestiniens de la bande de Gaza vers le Sinaï et, malgré son échec à réaliser cet objectif[2], il a déployé d’énormes efforts politiques et diplomatiques pour y parvenir. Tout en s’accrochant à son objectif déclaré d’éliminer le régime du Hamas et sa capacité militaire dans la bande de Gaza. Netanyahou refuse de fournir une vision sur la manière dont la guerre se terminera, ou de déterminer combien de temps elle durera, afin de prolonger les combats et de gagner du temps pour améliorer sa popularité. Son gouvernement était au bord de l’effondrement au moment de l’attaque du 7 octobre. Dès le départ, Netanyahou a rejeté la vision américaine pour le jour d’après à Gaza, qui implique le retrait de l’armée israélienne de Gaza après avoir atteint les objectifs de guerre et le retour d’une Autorité palestinienne restaurée à la place du Hamas. Il a réaffirmé son rejet de l’établissement d’un État palestinien en Cisjordanie et dans la bande de Gaza et cherche à maintenir un contrôle sécuritaire israélien sur la bande de Gaza pour une période indéfinie.
Sous la pression constante de l’administration américaine et de l’establishment militaire israélien pour présenter une vision pour l’après-guerre dans la bande de Gaza, Netanyahou a dévoilé son plan pour la période post-conflit à Gaza dans un document succinct le 23 février 2024, plus de quatre mois après le début des hostilités. Ce document n’expliquait ni comment ni quand la guerre prendrait fin[3]. Il indiquait qu’une fois le pouvoir et les capacités militaires du Hamas éliminés dans la bande de Gaza, une phase de transition, sans durée déterminée, soumettrait Gaza à un contrôle sécuritaire israélien, similaire à celui de la Cisjordanie occupée. Durant cette période, Israël mènerait des opérations militaires à Gaza, construirait un mur de sécurité à la fois en surface et en sous-sol le long de la frontière entre Gaza et l’Égypte, et chercherait à mettre fin aux activités de l’UNRWA. La reconstruction ne serait autorisée qu’après le désarmement de Gaza et uniquement avec la participation de pays approuvés par Israël. Concernant l’administration civile, le document précisait qu’elle serait assurée autant que possible par des locaux non associés à des pays ou des organisations soutenant le « terrorisme[4] ».
La proposition d’une gouvernance militaire à Gaza
En raison de l’échec à mettre en place une administration civile, constituée de résidents locaux dans la bande de Gaza, qui aurait servi d’alternative au régime du Hamas, Netanyahou et ses partisans d’extrême droite font face à une forte opposition de la part de l’élite militaire et sécuritaire. Ces responsables critiquent l’absence de planification pour une solution de rechange. Ils argumentent que sans une alternative viable, le retrait israélien crée un vide que le Hamas occupe systématiquement dès que les forces israéliennes se retirent. Cette situation force Israël à envisager des réoccupations continues, une stratégie que l’armée ne peut pas soutenir indéfiniment.
En réponse, le Chef d’État-Major de l’armée israélienne, Herzi Halevi, a sollicité une réunion entre l’armée et Netanyahou afin de développer une stratégie globale pour gérer les affrontements en cours dans le sud et à la frontière nord avec le Liban, ainsi que pour élaborer des plans post-guerre pour Gaza. Cependant, Netanyahou a refusé de tenir cette réunion. Par la suite, le Brigadier-Général Roman Gofman, dans un document rédigé en avril 2024 et distribué aux membres du Cabinet de Sécurité, pendant son court mandat au COGAT, l’unité qui coordonne les activités gouvernementales dans les territoires occupés, a proposé l’instauration d’une administration militaire israélienne temporaire dans la bande de Gaza en tant qu’alternative au régime du Hamas. Netanyahou a prêté une attention particulière à ce document et, en conséquence, a nommé Gofman Secrétaire militaire du Premier ministre.[5]
La position de Yoav Gallant
Le refus persistant de Netanyahou de discuter en détail des plans pour l’après-guerre, associé à la nomination de Gofman, a suscité des suspicions parmi les instances militaires et politiques. Ces dernières craignent que Netanyahou n’envisage d’établir une administration militaire israélienne dans la bande de Gaza[6], une intention qu’il n’a ni confirmée ni démentie. Le 15 mai 2024, Gallant a exhorté Netanyahou à déclarer publiquement qu’Israël n’instaurera pas de régime militaire à Gaza, le qualifiant de « dangereux et nuisible pour Israël » et de drain pour les ressources militaires et sécuritaires du pays à un moment où il doit faire face à d’autres menaces stratégiques majeures. Face à cette perspective, Gallant a menacé de démissionner de son poste si une telle administration était imposée[7].
Un document de l’armée, récemment divulgué aux médias israéliens, évalue les alternatives au régime du Hamas dans la bande de Gaza et indique que la mise en place d’un régime militaire israélien serait l’option la moins favorable pour Israël. Cette option nécessiterait un déploiement massif de troupes, mettant à rude épreuve les capacités de l’armée israélienne en maintenant en service prolongé les forces de réserve, ce qui compromettrait la capacité d’Israël à répondre sur d’autres fronts. Le document précise que le coût annuel d’une telle administration militaire à Gaza atteindrait environ 20 milliards de shekels (environ 5,46 milliards de dollars), et entraînerait un nombre beaucoup plus élevé de pertes humaines[8].
Un autre document, rédigé par le vice-président du Conseil de sécurité nationale, Yoram Hamo, avant sa démission, dont des extraits ont été divulgués aux médias israéliens, avertissait que l’absence d’alternative au régime du Hamas et l’instauration d’un régime militaire israélien dans la bande de Gaza conduiraient finalement à la résurgence du Hamas[9].
L’avertissement de Gantz
Trois jours après que Gallant a menacé de démissionner pour protester contre toute décision d’occuper Gaza de manière permanente, il a lancé un avertissement à Netanyahou, l’appelant à opérer un changement stratégique dans sa politique, faute de quoi son parti se retirerait de la coalition gouvernementale d’ici le 8 juin 2024[10]. Lors de la réunion du Cabinet de Guerre, il a également demandé à Netanyahou d’approuver un plan constitué des six objectifs suivants :
- Le retour des otages israéliens dès que possible.
- L’élimination du régime du Hamas et de sa puissance militaire à Gaza, ainsi que la démilitarisation et le contrôle sécuritaire israélien sur Gaza.
- L’établissement d’une administration américaine, européenne, arabe et palestinienne pour gérer les affaires civiles dans la bande de Gaza et jeter les bases d’une future alternative qui ne soit ni le Hamas ni Abbas.
- Le retour des Israéliens ayant fui les villes du nord au plus tard le 1er septembre 2024.
- La promotion de la normalisation avec l’Arabie saoudite, dans le cadre d’une perspective globale orientée vers une alliance incluant les États-Unis, les pays européens, Israël et les pays arabes alliés contre l’Iran.
- La promulgation d’une loi sur le service militaire obligeant les Juifs haredim à s’enrôler dans l’armée israélienne, garantissant ainsi un service égal pour tous les Israéliens[11].
À l’exception de sa position en faveur de l’enrôlement des haredim, les positions de Gantz exprimées dans son avertissement à Netanyahou concernant Gaza sont en grande partie alignées sur celles de la droite et de l’extrême droite en Israël. Il appelle à maintenir le contrôle sécuritaire sur la bande de Gaza après l’éradication du Hamas et rejette le retour de l’Autorité palestinienne, en accord avec le slogan de Netanyahou contre la présence de « Hamasistan » et « Fatahistan » sur le territoire.
Il est évident que les six objectifs présentés par Gantz servent essentiellement de justification pour retirer son parti de la coalition gouvernementale sans perdre le soutien de ses électeurs potentiels de droite et d’extrême droite qui ne veulent pas voter pour Netanyahou. Les sondages d’opinion montrent qu’environ 50 % des électeurs du parti de Gantz souhaitent qu’il reste dans la coalition gouvernementale.
Conclusion
L’impact des pressions exercées par Gallant et Gantz sur la politique de Netanyahou demeure incertain, que ce soit en ce qui concerne le plan post-guerre, la négociation d’un accord d’échange de prisonniers avec le Hamas avant l’extension de l’attaque sur Rafah, ou la décision d’intensifier l’incursion dans cette zone. Cependant, il est clair que la pression s’accentue sur Netanyahou de plusieurs côtés, incluant l’élite militaire et sécuritaire, le Cabinet de Guerre, les responsables de la délégation israélienne négociant l’échange de prisonniers, les familles des otages israéliens et l’administration américaine. Les appels à assouplir ses positions et à accepter un cessez-le-feu approuvé par le Hamas se font de plus en plus pressants. Ces pressions se sont intensifiées suite à la demande du procureur de la Cour pénale internationale d’émettre un mandat d’arrêt contre Netanyahou et Gallant, et à la décision de la Cour internationale de justice de réclamer la fin de l’agression israélienne sur Rafah. Les conséquences concrètes de ces décisions restent à observer.
Notes :
[1] Les haredim ou « craignant-Dieu » est une appellation pour les « juifs ultra-orthodoxes » ou simplement « ultra-orthodoxes ».
[2] Mahmoud Muhareb, “The War on Gaza and the Expulsion of the Palestinians,” Case Assessment, Arab Center for Research and Policy Studies, 19/3/2024, [consulté le 26/5/2024] sur : https://www.dohainstitute.org/en/PoliticalStudies/Pages/the-war-and-the-displacement-of-palestinians-from-the-gaza-strip.aspx
[3] Jonothan Liss, “Netanyahou presented his plan for the next day in the Gaza Strip: disarming the Strip and changing UNRWA,” Haaretz, 2/23/2024, [consulté le 26/5/2024] sur : https://cutt.ly/6eykUV4l [en hébreu]
[4] Ibid.
[5] Yoav Lemur, “Netanyahou’s new military secretary in internal document: control of Gaza the next day”, Yisrael Hayom, 24/4/2024, [consulté le 26/5/2024] sur : https://cutt.ly/ceykOqPB [en hébreu]
[6] Bar Peleg and Jonothan Liss, “Gallant: I will not agree to military rule in the Gaza Strip, I call on Netanyahou to announce that this will not happen”, Haaretz, 15/5/2024, [consulté le 26/5/2024] sur : https://cutt.ly/8eykO4TL [en hébreu]
[7] Ibid.
[8] Itmar Eichner “5 divisions will be stationed in Gaza, the cost is 20 billion shekels per year, the price of military rule the day after”, Ynet, 17/5/2024, [consulté le 26/5/2024] sur : https://cutt.ly/6eykPmgj [en hébreu]
[9] Michael Hauser Tov, “Israel’s strategic modus operandi failed in the war, and cannot succeed: document written by resigned National Security Agency official”, Haaretz, 20/5/2024, [consulté le 26/5/2024] sur : https://cutt.ly/qeykP9RU [en hébreu]
[10] Jonothan Liss, “Gantz to Netanyahou: If you do not approve an alternative plan for Hamas rule in the Gaza Strip by 8 June, we will leave the government”, Haaretz, 18/5/2024, [consulté le 26/5/2024] sur : https://cutt.ly/qeykP9RU [en hébreu]
[11] Ibid.