En validant le plan américain qui impose un calendrier pour le désarmement du Hezbollah, le gouvernement libanais a franchi un cap historique mais explosif. Entre pressions internationales, menaces internes et mémoire des affrontements de 2008, le pays se retrouve à la croisée des chemins : réaffirmer la souveraineté de l’État ou s’exposer à une nouvelle spirale de violences.
Le 7 août 2025, le Conseil des ministres libanais, réuni sous la présidence du général Joseph Aoun, a annoncé son accord sur les termes du plan américain. Ce plan prévoit la confirmation du cessez-le-feu conclu entre le Liban et Israël le 27 novembre 2024, ainsi qu’un calendrier pour le désarmement du Hezbollah. Quatre ministres chiites, représentants du parti et du mouvement Amal, ainsi que le député indépendant Fadi Makki, se sont retirés avant le vote. La direction du Hezbollah a annoncé qu’elle considérerait la décision du gouvernement comme inexistante, plaçant ainsi le parti en confrontation directe avec l’exécutif et l’armée libanaise, et menaçant d’entraîner le pays dans une phase dangereuse d’instabilité[1].
Un accord sous haute tension
Cette décision intervient dans un contexte de tensions régionales extrêmes. Depuis le bombardement par Israël du quartier général du Hezbollah à Beyrouth et l’assassinat de son secrétaire général en septembre 2024[2], le Liban vit sous la menace d’une reprise de l’escalade militaire. La trêve de novembre 2024, négociée avec difficulté, avait temporairement gelé le front[3]. Mais la question du désarmement du Hezbollah, longtemps évitée, revient aujourd’hui au cœur de l’agenda politique, portée par une pression américaine croissante[4].
Unité d’analyse politique de l’ACRPS
L’Unité d’analyse politique est un département du Arab Center for Research and Policy Studies (Doha) consacré à l’étude de l’actualité dans le monde arabe. Elle vise à produire des analyses pertinentes utiles au public, aux universitaires et aux décideurs politiques de la région et du reste du monde. En fonction des questions débattues, elle fait appel aux contributions de chercheurs et de spécialistes du ACRPS ou de l’extérieur. L’Unité d’analyse politique est responsable de l’édition de trois séries de publications scientifiques rigoureuses : Évaluation de situation, Analyse politique et Analyse de cas.
Le contenu du plan américain
Selon les informations disponibles, le plan propose deux volets principaux. D’une part, le Hezbollah doit remettre ses armes lourdes et missiles d’ici la fin de l’année 2025[5]. D’autre part, Israël s’engagerait à un retrait progressif de certaines positions au sud du Litani, en coordination avec l’armée libanaise et la Finul[6]. L’objectif affiché est de renforcer le monopole de l’État sur l’usage de la force et de stabiliser la frontière[7].
Ce texte s’inscrit dans un cadre diplomatique qui s’est intensifié tout au long de l’été 2025. L’émissaire américain Tom Barrack s’est rendu à Beyrouth à plusieurs reprises, notamment les 19 juin, 5 et 8 juillet, pour presser le gouvernement d’accepter un accord présenté comme définitif. Le plan adopté par le Conseil des ministres le 7 août est ainsi le résultat d’un long processus de négociations, et il prévoit un calendrier en quatre phases s’étalant sur quelques mois, combinant désarmement du Hezbollah, retrait israélien de plusieurs points stratégiques au sud du Litani, levée progressive des sanctions, et ouverture de la voie à un soutien international pour la relance économique et le renforcement de l’armée libanaise.
Washington a salué le vote libanais comme une étape « courageuse[8] », affirmant qu’il ouvrait la voie à un nouveau chapitre dans la relation entre Beyrouth et la communauté internationale[9]. Mais sur le terrain, les conditions de mise en œuvre apparaissent extrêmement fragiles. Le Hezbollah a immédiatement rejeté le plan, rappelant que « la résistance fait partie intégrante de l’accord de Taëf et de la Constitution[10] ». Le vice-secrétaire général du parti, Naim Qassem, a même qualifié la remise des armes de « péché capital », accusant le gouvernement d’agir sous injonction étrangère.
Une confrontation inévitable ?
La position du Hezbollah est sans équivoque : le parti refuse toute remise en cause de son arsenal militaire, qu’il considère comme la seule garantie face aux agressions israéliennes. Dans un communiqué, ses responsables ont affirmé qu’ils « agiront comme si la décision n’existait pas[11] ». Cette ligne de défiance ouvre la voie à une confrontation directe avec l’État libanais, d’autant plus que l’armée a reçu instruction d’imposer son monopole sur les armes[12].
Dès l’annonce de la décision, des manifestations ont éclaté dans les banlieues chiites de Beyrouth et au Sud-Liban. L’armée a mis en garde contre les risques de dérapage[13], craignant une spirale de violences internes. Certains analystes estiment que cette situation pourrait rappeler les affrontements de mai 2008, lorsque le Hezbollah avait pris le contrôle de Beyrouth-Ouest en réaction à des décisions gouvernementales similaires.
Les dilemmes du Liban
Pour de nombreux observateurs, le Liban se trouve aujourd’hui à un moment de vérité. D’un côté, l’adhésion au plan américain ouvre la perspective d’un renforcement de l’autorité de l’État, d’un soutien international accru et peut-être d’un allègement de la pression économique. De l’autre, elle risque de plonger le pays dans une confrontation ouverte avec le Hezbollah, dont l’ancrage social et militaire reste considérable[14].
Au-delà de l’opposition frontale, ce choix souligne la fragilité du consensus politique libanais. Pour les proches du Hezbollah, la décision du Conseil des ministres s’apparente à un véritable coup d’État politique, menaçant de fracturer encore davantage un tissu institutionnel déjà miné par la crise économique et les divisions confessionnelles. L’armée libanaise, désormais placée au centre du dispositif, pourrait être amenée à assumer un rôle inédit de garant du monopole étatique sur la force, au risque de se retrouver face à une confrontation directe avec le Hezbollah sur son propre territoire.
Le choix du gouvernement traduit une volonté d’affirmer la souveraineté de l’État et de sortir de la logique de double pouvoir qui mine le pays depuis des décennies. Mais sans un consensus national, la mise en œuvre du plan pourrait déstabiliser encore davantage un Liban déjà fragilisé par la crise économique, l’effondrement institutionnel et les tensions confessionnelles.
Conclusion
En approuvant le plan américain, le Liban a pris une décision lourde de conséquences. Si elle marque une étape potentiellement historique vers le rétablissement du monopole de l’État sur les armes, elle risque aussi de rallumer la guerre civile larvée qui couve depuis des années. Plus encore, elle place le pays au cœur des rivalités régionales, entre pressions américaines, menaces israéliennes et refus iranien de voir s’effriter l’un de ses principaux atouts stratégiques au Levant. Le Liban est désormais suspendu entre deux issues : un renforcement de l’État ou un basculement vers une nouvelle ère de confrontation.
Notes
[1] Gavin Blackburn, « Lebanon Backs US Proposal for Hezbollah to Disarm and IDF to Withdraw from South », Euronews, 7/8/2025, consulté le 13/8/2025, https://acr.ps/1L9GPmI
[2] « L’agression israélienne contre le Liban après le bombardement du quartier général du Hezbollah et l’assassinat de son secrétaire général », ACRPS, 29/9/2024, consulté le 13/8/2025, https://n9.cl/aizq8
[3] « Accord de cessez-le-feu entre Israël et le Hezbollah : motivations et défis », ACRPS, 2/12/2024, consulté le 13/8/2025, https://n9.cl/a1b7
[4] William Christou, « Les exigences américaines concernant le désarmement du Hezbollah pourraient contraindre le Liban à faire un choix dangereux », The Guardian, 7/8/2025, consulté le 13/8/2025, https://n9.cl/nhkl4w
[5] Laila Bassam, « Le plan américain prévoit le désarmement du Hezbollah d’ici la fin de l’année et le retrait israélien », Reuters, 7/8/2025, consulté le 13/8/2025, https://n9.cl/wut07
[6] « Le Liban charge l’armée d’imposer le monopole des armes, défiant le Hezbollah », Al Jazeera Net, 5/8/2025, consulté le 13/8/2025, https://n9.cl/l3h2o
[7] Michael Young, « Beirut Can Do More on Tom Barrack’s Proposal », Diwan (blog du Carnegie Endowment for International Peace), 15/7/2025, consulté le 13/8/2025, https://n9.cl/2qjuo
[8] Thomas Barrack, « US Envoy Hails Lebanon’s Response to Hezbollah Disarmament Proposals », Al Jazeera, 7/7/2025, consulté le 13/8/2025, https://n9.cl/dyzlm
[9] « Les États-Unis ont demandé au Liban de désarmer le Hezbollah. Comment le Liban a-t-il réagi ? » (en arabe), Al Jazeera, 08/7/2025, consulté le 13/8/2025, lhttps://n9.cl/1kqzt
[10] « Cheikh Qassem : nous ne sommes pas concernés par le retrait des armes… La résistance fait partie de l’accord de Taëf et relève de la Constitution », (en arabe), Al-Manar, 05/8/2025, consulté le 13/8/2025, https://n9.cl/ahrrci
[11] Rita Jammal, « Le Hezbollah rejette la décision de confisquer les armes : nous ferons comme si elle n’existait pas » (en arabe), , Al-Arabi Al-Jadid, 06/8/2025, consulté le 13/8/2025, lhttps://n9.cl/tlvh
[12] « L’armée libanaise met en garde contre les conséquences des manifestations contre le contrôle des armes » (en arabe), Al Jazeera Net, 09/8/2025, consulté le 13/8/2025, https://n9.cl/7ibyw
[13] Bilal Y. Saab, « Lebanon’s Moment of Truth », Chatham House, 09/7/2025, consulté le 13/8/2025, https://n9.cl/gixzk
[14] Michael Young, « Beirut Can Do More on Tom Barrack’s Proposal », Diwan (blog du Carnegie Endowment for International Peace), 15/7/2025, consulté le 13/8/2025, https://n9.cl/ltgodb