Centre Arabe de Recherches et d’Études Politiques de Paris

25/11/2025

Quel avenir pour Gaza après le vote de la résolution 2803 ?

Par Denis Bauchard
photo Mohammed Ibrahim / unsplash
Photo de Mohammed Ibrahim sur Unsplash

Adoptée le 17 novembre, la résolution 2803 du Conseil de sécurité appuie le plan Trump pour Gaza, visant à stabiliser et reconstruire la région. Malgré un consensus international notable, la mise en œuvre du dispositif reste complexe, avec des questions ouvertes sur le rôle des Palestiniens, la coordination avec Israël et les réactions du Hamas, laissant l’avenir de Gaza incertain.

 

Le 17 novembre, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté la résolution 2803 qui avalise, sous réserve de légers amendements, le plan présenté par le président Trump le 29 septembre dernier. Il y fait de Gaza une « zone déradicalisée, exempte de terrorisme, qui ne représentera plus une menace pour ses voisins ». Le plan Trump en vingt points est d’ailleurs annexé au texte de la résolution.

Un succès diplomatique américain

Il s’agit d’un succès indéniable de la diplomatie américaine qui, non sans pressions, a su convaincre les membres du Conseil de sécurité que ce plan visait tout d’abord à consolider un cessez-le-feu fragile, comme l’a souligné l’ambassadeur américain Mike Waltz. Il a été accepté par les principaux pays arabes du Moyen-Orient, notamment l’Arabie saoudite, ainsi que par des États musulmans importants comme le Pakistan et l’Indonésie. Il a aussi été voté avec une abstention surprenante de la Russie et de la Chine. La Russie a renoncé à utiliser comme base de discussion son propre projet de résolution, nettement plus favorable aux préoccupations palestiniennes. Cette attitude peut s’expliquer à la fois par l’appui donné par les pays arabes à ce plan, le souci de ne pas perturber les bonnes relations avec l’État hébreu et par la connivence qui s’est établie avec Trump sur l’avenir de l’Ukraine. Israël, malgré quelques réserves, n’a pas caché sa satisfaction à l’égard d’un texte qui, pour l’essentiel, va dans le sens de ses intérêts.

Certes, ce texte remet la guerre de Gaza dans le cadre de la légitimité onusienne, alors que les États-Unis, comme Israël, déniaient jusqu’alors à l’organisation – en particulier à son secrétaire général – le droit d’interférer dans un conflit qui s’est développé en dehors de tout respect du droit international. Mais il avalise le plan du président américain, qui a salué « la création du Conseil de la paix, The Board of Peace ».

Denis Bouchard

Denis BAUCHARD

Ancien diplomate, conseiller pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient à l’Institut français des relations internationales, il a notamment publié Le Moyen- Orient au défi du chaos. Un demi-siècle d’échecs et d’espoirs (Hémisphères, 2021). Il occupe actuellement les fonctions de Président du CAREP Paris.

Il entend présider lui-même cette instance en compagnie des « dirigeants les plus puissants et les plus respectés du monde entier ». Il est créé un « Comité palestinien technocratique et apolitique » chargé de l’administration de la bande de Gaza et une « Force internationale de stabilisation » qui devra, en collaboration avec Israël et l’Égypte, assurer « la démilitarisation de la bande de Gaza et la mise hors service des armes des groupes armés non étatiques », en clair le Hamas. Ces deux organismes seront sous la tutelle du Conseil de la paix. Ce dispositif est valable deux ans, avec possibilité de renouvellement. L’aide humanitaire devra se faire « dans le respect des principes juridiques internationaux en vigueur » et par l’entremise des organisations coopérant à cette fin, en particulier l’ONU, la Croix-Rouge et le Croissant-Rouge. Un plan de développement économique doit être élaboré, financé entre autres par la Banque mondiale. Par rapport au projet américain initial, des amendements ont été introduits, notamment par la France et l’Arabie saoudite, qui ont essayé d’introduire une référence à un État palestinien, ont insisté pour que soit rappelé le respect du droit international et que l’aide humanitaire soit bien assurée par les organismes habilités.

Si les membres du Conseil de sécurité se sont mis d’accord, la décision a été accueillie diversement. La France entend pour sa part « appuyer la dynamique politique visant à mettre durablement fin à la guerre ». D’autres pays sont plus critiques, et certains commentateurs soulignent que cette résolution « donne les pleins pouvoirs » au président américain. Certains n’hésitent pas à dénoncer le caractère « néocolonial » de ce texte qui marginalise complètement l’Autorité palestinienne.

Ce jugement peut paraître sévère. En effet, un certain nombre de mesures pourraient effectivement contribuer au retour d’une normalisation et à la reconstruction de la bande de Gaza. Le retour dans le cadre des Nations unies est certainement un élément positif. Le fait que la Force internationale de stabilisation soit composée de pays arabes ou musulmans la rend plus acceptable aux Palestiniens. L’idée d’un gouvernement neutre pendant une période intérimaire est certainement la moins mauvaise solution. Le désarmement du Hamas est un objectif largement partagé, y compris par l’Autorité palestinienne. Les dispositions sur l’aide humanitaire et la volonté de reconstruire l’agglomération de Gaza à travers un plan de développement ne peuvent être que bien accueillies.

Entre ambiguïtés et incertitudes sur sa mise en œuvre

Cependant, ce plan, qui sera piloté par les États-Unis, souffre tout à la fois de lacunes et d’ambiguïtés. Malgré l’amendement introduit, l’Autorité palestinienne est totalement marginalisée dans ce processus de paix, même si elle a accepté ce dispositif. En effet, elle ne pourra jouer un rôle que lorsqu’« elle aura mené à bien son programme de réformes… et qu’elle pourra reprendre le contrôle de Gaza en toute sécurité et dans de bonnes conditions ». La référence à la création d’un État palestinien est faite de façon ambiguë, avec une cascade de dispositions qui frisent l’hypocrisie. En effet, lorsqu’elle aura accompli ses réformes et que la reconstruction de Gaza aura progressé, « les conditions seront peut-être (sic) réunies pour qu’un chemin crédible s’ouvre vers l’autodétermination palestinienne et la création d’un État palestinien ». On notera également l’absence de toute mention de la situation en Cisjordanie, où les colons armés, bénéficiant de la complicité de l’armée, livrent une guerre larvée contre la population palestinienne. Les modalités de départ de l’armée israélienne, qui s’installe dans le périmètre de sécurité – « la zone verte » – représentant 53 % du territoire de la bande de Gaza, vidé de sa population palestinienne, sont vagues. Il en est de même des conditions de retour de cette population. On peut se demander si cette zone tampon ainsi dessinée n’est pas destinée à être annexée de fait. Il semble que le Centre de coordination militaro-civil, créé et dirigé par les États-Unis à Kyriat Gat, à proximité de la bande de Gaza, jouera de fait un rôle important auprès du Comité palestinien technocratique et apolitique. Si Israël participe à ce CMCC, les représentants de l’Autorité palestinienne en sont absents. En outre, les conditions de nomination et de contrôle du Comité de paix ne sont pas précisées et semblent être dans les mains de son président auto-désigné, Donald Trump.

Enfin, on peut s’inquiéter de la mise en œuvre de ce plan dans le contexte d’une réalité difficile sur le terrain. Elle risque de se heurter tant à la mauvaise volonté d’Israël qu’à celle du Hamas, qui a clairement mis en cause cette résolution et refuse de l’appliquer. Israël entend, comme le déclarent ses responsables civils et militaires, intervenir où il veut et quand il veut. Les déclarations régulièrement faites par le Premier ministre israélien sont sans ambiguïtés : le 23 novembre, il déclarait après une attaque sur Beyrouth : « Cette semaine, l’armée israélienne a frappé le Liban et nous continuerons à faire tout ce qui est nécessaire pour empêcher le Hezbollah de rétablir sa capacité de menace à notre égard. C’est aussi ce que nous faisons dans la bande de Gaza. » Ainsi, l’expérience du passé comme du présent, à Gaza comme au Liban, prouve que les cessez-le-feu actés, pourtant sous patronage des États-Unis – et pour le Liban, de la France – ne sont pas respectés. Cette pratique israélienne a toute chance d’être confirmée malgré le vote de la résolution 2803, pourtant d’initiative américaine. De son côté, le Hamas refuse sa marginalisation prévue dans le processus et refuse clairement de rendre ses armes. On peut s’interroger sur la capacité de la Force d’intervention et de stabilisation à assurer la « démilitarisation de la bande de Gaza », notamment en désarmant les combattants du Hamas qui continue de recruter. Il est douteux qu’elle puisse faire ce que Tsahal, aidée par des milices palestiniennes qu’elle arme et finance, n’a pu réaliser en deux ans de guerre avec des moyens importants et sophistiqués. Le Hamas, bien qu’affaibli – comme l’ont constaté les services de renseignements américains et israéliens – a conservé ses structures de commandement, l’essentiel de ses infrastructures et dispose encore d’un nombre important de combattants qui n’hésitent pas à défier l’armée israélienne. Il contrôle la « zone rouge », où ont été regroupés les 2 millions de Gazaouis. Quant à la reconstruction, qui suppose le déblaiement de 60 millions de tonnes de gravats à la suite de la destruction de plus de 80 % de la bande de Gaza, son coût est estimé à 70 milliards de dollars. Il s’agit d’un projet pharaonique qui demandera au moins une décennie dans la meilleure des hypothèses.

Ainsi, la tâche que représente la mise en œuvre de cette résolution, adoptée au titre de l’article VII de la Charte de l’ONU, sera très difficile et problématique. C’est un défi majeur pour l’homme de paix que se prétend le président américain, en quête du prix Nobel. Malgré l’appui qu’il obtiendra de certains pays, cette mission impossible risque de faire perdurer un climat de guerre larvée non seulement dans la bande de Gaza, mais également en Cisjordanie. La situation à Gaza ne peut se traiter de façon isolée. La paix passe à l’évidence par la résolution de la question palestinienne : on en est manifestement encore loin.