21/10/2024

Recension d’ouvrage de « Algérie, un rebond diplomatique »

Par Sara Scampini
Livre Algérie ill recension

L’Algérie, comme de nombreux autres pays exportateurs de pétrole, est confrontée à des vulnérabilités économiques et socio-politiques qui pourraient avoir un impact significatif sur sa stabilité.Depuis le début de la guerre en Ukraine, Alger est courtisée par Bruxelles, qui compte sur la production algérienne de gaz pour garantir sa sécurité énergétique et réduire sa dépendance à la Russie. En réponse, l’Algérie, troisième fournisseur de gaz de l’Europe avant la crise [1], a engagé des investissements majeurs pour augmenter sa capacité de production et se positionner comme un partenaire fiable de l’Union européenne sur le marché énergétique.

Cependant, la rente énergétique pourrait-elle avoir un effet pervers sur l’économie algérienne ? Comment cela pourrait-il affecter la politique intérieure du pays, notamment à la lumière du mouvement Hirak ? Dans quelle mesure le passé colonial algérien continue-t-il d’influencer ses choix diplomatiques actuels ? Ce ne sont là que quelques-unes des questions soulevées par Brahim Oumansour dans son livre L’Algérie, un rebond diplomatique (Éditions Eyrolles, 2023), qui explore les perspectives d’avenir de ce grand pays nord-africain.

L’Algérie comme clé de lecture géopolitique

Le temps semble s’accélérer en Algérie lorsqu’on regarde de près l’évolution de sa société depuis l’indépendance en 1962, soutien Brahim Oumansour, et il est difficile de prédire l’avenir de sa situation politique et économique de ce pays après tant d’opportunités ratées. Décrypter ce système politique exige de revenir sur l’histoire du pays pour mieux comprendre les mécanismes de fonctionnement de l’État et de l’exercice du pouvoir. Cela permet de s’interroger sur la viabilité du paradigme rentier, une théorie de la science politique et des relations internationales formulée par Hossein Mahdavy en 1970, qui a dominé le champ d’études des nations rentières. Selon cette théorie, la rente aurait un effet structurant sur le caractère autoritaire d’un régime, démontrant ainsi que celui-ci n’est pas diamétralement opposé à la démocratie.

Dans cette perspective, l’auteur affirme qu’il est nécessaire d’analyser l’État algérien non pas comme une entité monolithique, mais comme un espace où interagissent plusieurs acteurs influents, dont l’armée et le pouvoir politique.  Les colonels, ayant progressivement pris le contrôle dès l’indépendance, ont orienté l’élite vers la construction d’un État fort et omniprésent, sous l’influence d’idéologies telles que le nationalisme arabe, le nassérisme et le soutien de l’Union soviétique, jusqu’à la transition politique de 1989, marquant la première expérience démocratique dans le monde arabe.

Considérée comme un tournant majeur, cette transition a été accompagnée de l’ouverture politique et de l’émergence de la société civile en tant qu’acteur clé, soutenue par la formation de partis et de médias, ces derniers étant étroitement liés à l’évolution du système. Entre l’instabilité et la stagnation politique qui ont maquée les années 2019-2021, un mouvement identifié comme une nouvelle forme de contestation dénommée « Hirak » a vu le jour. Sa nature pacifique offre un cas d’étude intéressant pour comprendre l’évolution de la société algérienne, car ce mouvement s’inscrit dans la perspective des mouvements de protestation remontant au mouvement de libération. Par ailleurs, la politique répressive et la grave crise économique de ces dernières années ont éveillé au sein de la population un sentiment de défiance et de colère envers les autorités. L’augmentation de l’émigration, notamment chez les jeunes, risquerait de pérenniser un climat favorable au déclenchement d’un nouveau cycle de crise à l’avenir.

Le passé colonial comme moteur de la diplomatie contemporaine

Parmi les objectifs fixés par l’auteur, il y a certainement le contraste avec l’approche de l’historiographie française, qui visait à justifier la « mission civilisatrice » de l’entreprise coloniale. Il est essentiel de rappeler que l’héritage riche et multiple de l’Algérie est intrinsèquement lié à celui de la Méditerranée, bien que les frontières actuelles n’aient été fixées que lors de la colonisation française. En effet, l’Algérie contemporaine est héritière d’une histoire millénaire qui a connu une série de conquêtes et d’occupations : de la domination phénicienne à celle romaine, en passant par la souveraineté arabe et vandale, jusqu’à la constitution de l’empire ottoman, période durant laquelle la régence d’Alger pouvait être considérée comme un embryon de l’État algérien actuel. Suite à la colonisation française, l’auteur souligne que l’histoire algérienne a été sujette à de profondes controverses interprétatives.

La colonisation française de l’Algérie a commencé en 1830, lorsque la France a envahi Alger pour consolider son contrôle sur la Méditerranée. Au cours du XIXe siècle, la France a étendu progressivement sa domination sur l’ensemble du territoire algérien, réprimant violemment la résistance locale et établissant un système colonial basé sur la spoliation des terres et la ségrégation ethnique. En octobre 1954, le Front de libération nationale (FLN) a été créé, doté d’une branche armée, l’Armée de libération nationale (ALN), pour conduire l’insurrection. Dans ce contexte de violence, le référendum pour l’autodétermination a été organisé le 1er juillet 1962, consacrant l’accession de l’Algérie à l’indépendance après huit ans de guerre. Cependant, l’Algérie a dû faire face à de grands défis, car tout était à reconstruire sur les plans politique, économique et social. Divisée entre tradition et modernité, l’élite algérienne était clairement clivée sur le projet de société après l’indépendance, avec un malaise identitaire reflété par la question linguistique, d’une extrême sensibilité dans le pays.  Les choix politiques ont imposé l’arabe comme seule langue officielle, sans tenir compte de la réalité sociologique complexe du territoire. La réalité religieuse est également hautement débattue, avec des courants de l’islam, tels le chiisme et l’ahmadiyya, formant des minorités importantes mais non moins controversées.

Propulsée par la gloire de sa révolution anticoloniale, Alger a cherché à jouer un rôle majeur dans la diplomatie contemporaine. Cette diplomatie a évolué, passant d’une politique contestataire, marquée par l’héritage révolutionnaire, à une approche plus pragmatique imposée par les bouleversements régionaux et mondiaux : de la fin de la guerre froide à la guerre en Ukraine, en passant par l’instabilité régionale, y compris la rivalité avec le Maroc, le conflit israélo-arabe, et la guerre contre le terrorisme international des années 2000.

Une subtile invitation à la réflexion se dégage de l’ouvrage : l’histoire et la stratégie diplomatique de l’Algérie ne concernent pas seulement ce pays, mais offre également un paradigme pour toutes les nations en quête d’une place de premier plan dans un monde globalisé. Dans un monde où la géopolitique énergétique et la sécurité régionale sont des priorités mondiales, L’Algérie, un rebond diplomatique explore comment un pays peut mobiliser son passé et ses ressources, quelle que soit leur nature, pour répondre efficacement à ces défis.

[1] Marc Daou, Fourniture de gaz à l’Europe : Algérie, Qatar et Iran pourraient-ils remplacer la Russie ? France 24, 25  février 2022.  Disponible  en ligne: https://www.france24.com/fr(europe/20220225-fourniture)-de-gaz-%C3%A0-1-europe- alg%C3%A9rie-qatar-et-iran-peuvent-ils-remplacer-la-russie