Depuis les attaques du Hamas le 7 octobre 2023 et l’offensive militaire d’Israël contre Gaza, le conflit israélo-palestinien occupe le devant de la scène médiatique. Bien que cette guerre prenne aujourd’hui une ampleur régionale, elle s’inscrit dans une histoire bien plus longue, celle du conflit israélo-palestinien et de la colonisation. De nombreux ouvrages récents abordent ces enjeux, offrant des clés de lecture essentielles pour mieux saisir la complexité de la situation actuelle.
Parmi la multitude de publications récentes sur le sujet, le CAREP Paris vous propose une sélection d’ouvrages clés, conçue pour éclairer cette actualité mouvante et offrir une analyse approfondie de la Palestine. Certains se concentrent sur Gaza et la Cisjordanie, mettant en lumière les souffrances du peuple palestinien, tandis que d’autres adoptent une perspective historique, offrant des grilles d’analyse variées. Enfin, une sélection d’œuvres littéraires et artistiques met à l’honneur la tradition créative palestinienne, qui continue de vibrer malgré les conflits.
Focus sur Gaza
Yves Aubin De La Messuzière, Gaza, analyse d’une tragédie : Conflit israélo-palestinien, Hémisphères, 2024, 256 pages.
Diplomate français, fin connaisseur du terrain tant israélien que palestinien et plus globalement du Proche-Orient, Yves Aubin de la Messuzière a été engagé plus de quarante ans sur le dossier israélo-palestinien, du conflit de Septembre noir en Jordanie (1970) jusqu’à la mission de contact à Gaza confiée par le Quai d’Orsay (2008).
« Le traitement de la cinquième guerre de Gaza par les médias et les responsables politiques, écrit-il, marqué par les a priori et les approximations dans la relation des faits, m’a amené à accepter la proposition des éditions Maisonneuve & Larose : rédiger un ouvrage sur cette nouvelle tragédie en privilégiant les faits, l’analyse, en m’appuyant sur ma connaissance du terrain et en écartant toute approche idéologique.
Agnès Levallois (dir.), Le Livre noir de Gaza, Seuil, 2024, 272 pages.
La guerre menée par Israël à Gaza en riposte à la tuerie perpétrée par le Hamas le 7 octobre 2023 est la plus destructrice jamais conduite par l’Etat hébreu dans ce territoire palestinien. Et pourtant, le blocus absolu imposé à la presse (y compris israélienne), aux humanitaires et aux observateurs internationaux sur le terrain la rend paradoxalement invisible, donnant prise à toutes les désinformations.
Un an après le début de l’offensive israélienne, ce livre voudrait donc revenir aux faits. Les principaux rapports des ONG internationales, palestiniennes et israéliennes, ainsi que des enquêtes d’experts et des articles de presse, ont été sélectionnés et présentés par la spécialiste du Moyen Orient Agnès Levallois, avec les contributions inédites de consultants indépendants et responsables d’ONG. Sont ainsi documentés et mis en perspective les faits qui ressortissent du droit de la guerre et du droit humanitaire international : le sort des victimes civiles, l’ampleur des destructions du territoire, les attaques contre les journalistes, les humanitaires et les personnels de santé, l’arsenal utilisé…
Didier Fassin, Une étrange défaite : sur le consentement à l’écrasement de Gaza, La découverte, Seuil, 2024, 198 pages.
Avec le recul du temps, les événements qui, après l’attaque meurtrière du Hamas le 7 octobre 2023, se sont déroulés en Palestine et leur réception dans une grande partie des lieux de pouvoir, tant politiques qu’intellectuels, de la planète apparaîtront à la lumière crue de leur signification : plus que l’abandon d’une partie de l’humanité, dont la réalpolitique internationale a donné maints exemples récents, c’est le soutien apporté à sa destruction que retiendra l’histoire.
Cet acquiescement à la dévastation de Gaza et au massacre de sa population par l’État d’Israël, à quoi s’ajoute la persécution des habitants de Cisjordanie, a suscité l’indignation de celles et ceux qui, tout en condamnant les actes sanglants ayant déclenché l’offensive, rappelaient les décennies de spoliation, de violence et d’humiliation qui les avait précédés et refusaient la poursuite de l’écrasement d’un peuple et de l’effacement de sa mémoire. Mais on les a stigmatisés et réprimés. Une police de la pensée s’est imposée. Le détournement des mots et l’inversion des valeurs ont mis à l’épreuve l’intelligence politique et le discernement moral. Ce livre propose une archive et une analyse de cette abdication historique.
Arlette Khoury-Tadié ; Préf. de Jean-Pierre Filiu, Une enfance à Gaza (1842-1958). Hémisphères, 2024, 288 pages.
Une petite fille, née pendant la Seconde Guerre mondiale, a traversé à Gaza, en Palestine, les guerres de 1948 et de 1956 ; elle les a observées et ressenties. C’est ce que raconte ce livre. C’est l’histoire d’une ville qui, avant d’être « la plus grande prison du monde » et un gigantesque camp de réfugiés, a été paisible, peuplée de gens amicaux et pacifiques. L’auteur en décrit les joies et les chagrins, les usages, dans ce qui est aussi une contribution à l’anthropologie. Arlette Khoury-Tadié avait fait paraître “Une enfance à Gaza” il y a plus de vingt ans. Alors que Gaza est ravagée par une nouvelle guerre plus meurtrière que toutes les autres, elle a souhaité rééditer cette émouvante évocation, à travers une vie personnelle et familiale, d’une société et d’une civilisation en passe d’être anéanties sous les bombes, du patrimoine d’un peuple que les livres préservent mieux que ne le font les hommes.
Sur la Palestine
Azmi Bishara, Palestine : vérité et justice, éditions du croquant, 2024, 348 pages.
Paru en anglais en 2022, cet ouvrage constitue une analyse majeure de la genèse et de l’évolution du conflit israélo-palestinien, écrit par l’un des intellectuels palestiniens qui connaît le mieux la scène politique israélienne. Il offre ainsi des outils de compréhension des logiques structurelles du conflit encore à l’œuvre aujourd’hui.
En partant des paradigmes de settler colonialism (colonialisme de peuplement) et d’Apartheid, Bishara examine la manière dont Israël est parvenu, depuis 1948, à imposer sa politique du « fait accompli ». Il décrypte les stratégies discursives, coercitives, diplomatique, économique, qui ont permis à Israël de s’imposer par la force. Il renverse ensuite les récits, aussi bien des mythes fondateurs d’Israël que des discours militaires et diplomatiques, pour analyser le traité Trump-Netanyahou et d’examiner le rÙle de l’administration américaine dans cette politique du « fait accompli ».
Henry Laurens, Question juive, problème arabe (1798-2001), Fayard, 2024, 756 pages.
En 1999 paraissait le premier tome de La question de Palestine, consacré à la genèse de cette histoire. Ce volume fut suivi de quatre autres, abordant les enjeux du mandat britannique, les premières années d’Israël, l’apogée du conflit israélo-arabe et les tentatives de paix.
Henry Laurens propose une synthèse magistrale de cette œuvre de référence, retraçant minutieusement les étapes de ce qui deviendra le conflit israélo-palestinien, de l’invention de l’État d’Israël à la montée du nationalisme arabe en passant par la diplomatie internationale et les guerres entre États.
Analysant deux siècles d’histoire, l’historien y expose les conflits, ouverts ou latents, les violences, mais aussi les initiatives de paix dans le Proche et Moyen-Orient et, plus généralement, dans le monde entier. Au fil des séquences historiques, se profilent peu à peu deux logiques qui s’opposent : la diplomatie et la situation sur le terrain.
Rachad Antonius, La conquête de la Palestine : de Balfour à Gaza, une guerre de cent ans, Ecosiciété, 2024, 168 pages.
Ce livre n’est pas une histoire du conflit entre Israël et la Palestine. Il n’aborde qu’un seul aspect de ce conflit, qui est le plus central : l’histoire de la mainmise graduelle du mouvement sioniste sur la terre de Palestine depuis plus de cent ans. Tenir compte de cette vérité élémentaire permet de remettre les pendules à l’heure sur certains débats qui occupent l’espace public, surtout depuis la guerre de Gaza déclenchée en octobre 2023. Car le conflit israélo-palestinien n’a pas commencé avec l’attaque du Hamas du 7 octobre. Pour comprendre ce qui s’est passé ce jour-là, et ce qui a suivi, il faut prendre en considération tout ce qui a précédé cette date fatidique.
Rachad Antonius présente la conquête de la Palestine à partir de trois moments structurants : la Déclaration Balfour et le Mandat britannique (période 1917 – 1922), la création de l’État d’Israël (1947−1949) et les accords d’Oslo (1993−1995). Il aborde ensuite des questions délicates qui ont été exacerbées depuis la guerre de Gaza. L’opposition au projet sioniste est-elle une forme d’antisémitisme ? Quelle est la place de la violence de part et d’autre dans le conflit ? Pourquoi les divers plans de paix ont-ils échoué ? Le droit international peut-il indiquer une voie à suivre pour une solution pacifique et équitable ? Quelle est la responsabilité des pays occidentaux à l’égard de la situation au Proche-Orient ?
La conquête de la Palestine nous permet de jeter un regard différent de celui véhiculé par les grands médias et les élites politiques occidentales. Seul un renversement de cette dynamique de conquête permettra d’en arriver à une solution durable et d’éviter des catastrophes encore plus coûteuses, tant pour les Palestiniens que pour les Israéliens.
Sabri Giroud (dir.), La Palestine en 50 portraits : de la préhistoire à nos jours, Riveneuve, 2023, 560 pages.
Riche d’une histoire séculaire, religieuse et mythique, la Palestine a été effacée de la carte des nations en 1948 et arrachée de l’Orient qui est son berceau et avec lequel elle a tout en partage. Expulsés des lieux comme du temps, les Palestiniens souffrent jusqu’à ce jour du déni de leur existence, de leurs racines, de leur avenir. Pour raconter une histoire plurimillénaire, multiple et métissée, inscrite génération après génération à la croisée du Moyen-Orient, de la Méditerranée et de l’Égypte, un collectif international de spécialistes pluridisciplinaires s’est mobilisé. Ces archéologues, historiens, anthropologues, chercheurs en sciences sociales ou politiques et journalistes dressent ici les portraits d’hommes et de femmes, illustres ou inconnus, révélant à la fois des trajectoires individuelles et des pans de l’histoire intellectuelle et politique de la Palestine, des profondeurs de la préhistoire jusqu’à nos jours.
Alain Gresh, Palestine : un peuple qui ne veut pas mourir, Les Liens qui Libèrent, 2024, 192 pages.
Ce qui se joue dans la guerre contre Gaza dépasse largement le cadre étroit de ce petit territoire qui connaît une des guerres les plus destructrices de l’époque contemporaine – une guerre dont la Cour internationale de justice a souligné le « risque génocidaire ». Si elle condense d’abord le calvaire centenaire du peuple palestinien, son enjeu déborde ces frontières, avec le risque d’un embrasement régional et surtout d’un approfondissement de la fracture entre le reste du monde et l’Occident. Celui-ci, mobilisé aux côtés d’Israël, adopte une vision manichéenne de l’histoire comme d’un affrontement sans cesse recommencé entre Barbares et Civilisés. Dans cette guerre, le droit international dont se réclame l’Europe n’est plus qu’un faux-semblant. Les choix entérinés par la France, ont élargi le fossé qui la sépare du sud de la Méditerranée.
Collectif, Ce que la Palestine apporte au monde, Seuil, Collection Araborama, 2023, 336 pages.
La collection « Araborama », créée par l’Institut du monde arabe et les éditions du Seuil, rassemble journalistes, intellectuels, écrivains, artistes et illustrateurs pour explorer les réalités présentes, la pluralité et l’histoire du « monde arabe »
« À l’heure où la Palestine semble abandonnée de tous, à commencer par les États arabes, nous avons choisi d’y retourner, comme une évidence. Pour raconter son peuple dispersé par l’histoire et les frontières. Nous avons voulu arpenter son territoire, divisé entre Gaza et la Cisjordanie avec Jérusalem pour centre introuvable, annexé par la colonisation israélienne et grignoté par le Mur de séparation.
Devenue le symbole de la colonisation dans un monde en train de se décoloniser dans la deuxième moitié du XXe siècle, la Palestine ne s’appartient pas. Elle est une cause, une source d’inspiration pour le monde entier. Le keffieh est le drapeau des révoltés. Palestinien n’est plus seulement une nationalité sans pays, c’est une condition et le refus de s’y plier, c’est une résistance obstinée de chaque instant et de chaque geste.
C’est du monde tel qu’il va mal dont la Palestine nous parle. La Palestine vit déjà à l’heure d’un monde aliéné, surveillé, encagé, ensauvagé, néolibéralisé. Les Palestiniens savent ce que c’est d’être un exilé sur sa propre terre. Apprenons d’eux ! »
Jean-Pierre Filiu, Comment la Palestine fut perdue, et pourquoi Israël n’a pas gagné : histoire d’un conflit (XIXe-XXIe siècle), Seuil, 2024, 492 pages.
Si vous estimez connaître assez du conflit israélo-palestinien pour en nourrir des opinions définitives, mieux vaut ne pas ouvrir ce livre. Vous risqueriez d’y apprendre que le sionisme fut très longtemps chrétien avant que d’être juif. Et que l’évangélisme anglo-saxon explique beaucoup plus qu’un fantasmatique « lobby juif » le soutien déterminant de la Grande-Bretagne, puis des États-Unis à la colonisation de la Palestine. Vous pourriez aussi découvrir que la soi-disant « solidarité arabe » avec la Palestine a justifié les rivalités entre régimes pour accaparer cette cause symbolique, quitte à massacrer les Palestiniens qui résistaient à de telles manœuvres. Ou que la dynamique factionnelle a, dès l’origine, miné et affaibli le nationalisme palestinien, culminant avec la polarisation actuelle entre le Fatah de Ramallah et le Hamas de Gaza.
La persistance de l’injustice faite au peuple palestinien n’a pas peu contribué à l’ensauvagement du monde actuel, à la militarisation des relations internationales et au naufrage de l’ONU, paralysée par Washington au profit d’Israël durant des décennies, bien avant de l’être par Moscou sur la Syrie, puis sur l’Ukraine. L’illusion qu’un tel déni pouvait perdurer indéfiniment a volé en éclat dans l’horreur de la confrontation actuelle, d’autant plus tragique qu’aucune solution militaire ne peut être apportée au défi de deux peuples vivant ensemble sur la même terre. Comprendre comment la Palestine fut perdue, et pourquoi Israël n’a pourtant pas gagné, participe dès lors d’une réflexion ouverte sur l’impératif d’une paix enfin durable au Moyen-Orient et, donc, sur le devenir de ce nouveau millénaire.
Sylvain Cypel, L’État d’Israël contre les Juifs : après Gaza, La Découverte, 2024, 336 pages.
Après le massacre commis par le Hamas près de Gaza le 7 octobre 2023, ayant causé la mort de 1 140 personnes, la guerre menée par Israël a fait plusieurs dizaines de milliers de victimes chez les Palestiniens et déplacé par la force 80 % d’entre eux, suscitant des plaintes internationales pour crimes » de génocide » et » contre l’humanité « . Ce livre explique en quoi les agissements de l’armée israélienne sont l’aboutissement d’une longue maturation. Imagine-t-on en France une loi qui établirait deux catégories de citoyens : par exemple, les » Français de souche » et les autres, qui ne bénéficieraient pas de droits égaux ? Une telle loi a été votée par le Parlement israélien en 2018, au bénéfice des seuls citoyens juifs. De par le monde, les dirigeants » illibéraux » plébiscitent désormais Israël, fascinés par sa capacité à imposer une idéologie » identitaire « , où xénophobie et islamophobie bénéficient d’un large soutien populaire. Avec quelles conséquences, pour les Palestiniens comme pour les Israéliens ? En France, le CRIF, représentant du judaïsme et lobby pro-israélien, promeut un soutien sans faille aux actions des gouvernants d’Israël. Mais, aux États-Unis, des responsables juifs et plus encore la jeunesse juive dénoncent l’occupation indigne des Territoires palestiniens. Va-t-on vers un divorce irrémédiable entre Juifs israéliens, engoncés dans le tribalisme, et Juifs américains, qui redécouvrent les attraits de la diaspora ?
Ilan Pappé, Le nettoyage ethnique de la Palestine, La Fabrique, 2024, 396 pages.
Dans cet ouvrage majeur, Ilan Pappé, historien israélien de renom, revient sur la formation de l’État d’Israël : entre 1947 et 1949, plus de 400 villages palestiniens ont été délibérément détruits, des civils ont été massacrés et près d’un million d’hommes, de femmes et d’enfants ont été chassés de chez eux sous la menace des armes. Ce nettoyage ethnique a été passé sous silence pendant plus de soixante ans et peine encore à être considéré dans sa pleine mesure. S’appuyant sur quantité d’archives, Ilan Pappé réfute indubitablement le mythe selon lequel la population palestinienne serait partie d’elle-même et démontre que, dès ses prémices, l’idéologie fondatrice d’Israël a œuvré pour l’expulsion forcée de la population autochtone. Ce qui fut un grand livre d’histoire est aujourd’hui une lecture indispensable hélas éminemment d’actualité.
Stéphanie Latte Abdallah, Des morts en guerre : rétention des corps et figures du martyr en Palestine, Karthala, 2022, 134 pages.
Depuis les années 1960, des défunts palestiniens disparaissent, sont sommairement enterrés dans les « cimetières des nombres » ou gardés à la morgue. Ces morts sont des fedayin, des martyrs – hommes ou, plus rarement, femmes – ayant conduit des attentats, ou des personnes tuées par erreur. Leur détention post-mortem et leur retour en terre relèvent d’une économie de l’inimitié, guerrière, et d’une extension sans fin d’une toile carcérale sur les Territoires palestiniens. Leur mobilité, les lieux d’ensevelissement, les traces qu’ils laissent dans l’espace public sont autant de marqueurs frontaliers.
Cet ouvrage aborde les mobilisations politiques, celles de la société civile et des familles, pour retrouver ces dépouilles, à partir d’une enquête ethnographique, de documents d’archives et d’écrits de proches de ces défunts. Il analyse les transformations de la figure sociale et politique du martyr, mais aussi les relations personnelles, genrées et émotionnelles entretenues avec les morts. Il interroge la nécro-violence, la catégorie de la victime et la légitimité des affects dans une histoire conflictuelle inachevée.
Nada Elia, Palestine, un féminisme de libération, traduction et entretien par Liza Hammar et Francis Dupuis-Déri, les éditions du remue-ménage, 202, 128 pages.
Comment expliquer qu’Israël, malgré ses attaques meurtrières à Gaza et sa violation du droit international, reste à l’abri de toute véritable critique? Pourquoi de nombreuses féministes du Nord global, si promptes à dénoncer l’impact du «fondamentalisme islamique» sur les femmes palestiniennes, restent-elles silencieuses quand il s’agit de décrier l’occupation et le génocide que perpétue l’État israélien en Palestine?
En déconstruisant les associations fallacieuses entre antisionisme et antisémitisme, la professeure et militante palestinienne Nada Elia, qui vit aujourd’hui aux États-Unis, rappelle la place des femmes et des personnes queers dans la lutte pour la libération de la Palestine, et revendique le démantèlement des structures coloniales qui écrasent la population à Gaza et en Cisjordanie.
Culture
Littérature
Adania Shibli, Un détail mineur, traduit par Stéphanie Dujols, Babel, 2024, 128 pages.
En 2003, un quotidien israélien, Haaretz, révèle qu’en août 1949 des soldats ont kidnappé, violé collectivement, puis tué et enterré une jeune bédouine du Néguev. Un crime qui s’inscrit dans la lignée des massacres commis à cette époque charnière pour terrifier ce qui restait des habitants de cette zone désertique.
Soixante-dix ans plus tard, Adania Shibli s’empare de cet « incident » dans un récit qui s’articule en deux temps nettement marqués. La première moitié relate le déroulement du crime avec une objectivité quasi chirurgicale. Elle met en scène deux personnages principaux : un officier israélien anonyme, maniaque de l’ordre et de l’hygiène, qui envahit les pages de sa présence hypnotique, et sa victime, comme lui jamais nommée. La seconde partie est narrée à la première personne, sur un ton très subjectif et ironique, par une Palestinienne d’aujourd’hui, obsédée par un « détail mineur » de l’incident : le fait qu’il se soit produit vingt-cinq ans jour pour jour avant sa naissance. Bravant les obstacles imposés par l’occupant, elle parvient à se rendre dans le Néguev dans l’espoir d’exhumer le récit occulté de la victime. Mais la détective en herbe ne tardera pas à tourner en rond…
Longuement mûri, ce roman décapant dénonce en peu de pages, au-delà du contexte israélo-palestinien, le viol comme banale arme de guerre, et aborde subtilement le jeu de la mémoire et de l’oubli.
Elias Khoury, L’Étoile de la mer, Sindbad, 2023, 384 pages.
Adam, né en 1948, a grandi dans le ghetto de Lod, où ont été enfermés les Palestiniens restés sur place après la conquête de la ville par l’armée israélienne. À l’âge de quinze ans, il quitte seul la maison de sa mère, fuyant les traumatismes d’une enfance captive. Dans la belle ville de Haïfa, au gré de rencontres fortuites qui l’amènent à naviguer entre les langues, les souvenirs, les histoires et contre-histoires, Adam se façonne, change de quartier, d’amour, de voie… Il s’efforce, inlassablement, d’incarner celui que les autres voient en lui, se gardant de dissiper les malentendus quant à ses origines, sa confession.
À travers les vies successives de ce personnage fantasque, hanté par la perte et le déracinement, Elias Khoury poursuit, avec une acuité et un talent éblouissants, l’exploration de tout ce qui fonde son
œuvre : l’identité, la mémoire, l’amnésie volontaire, la trahison, le rapport entre la Shoah et la Nakba, et celui de la fiction à l’histoire.
L’auteur de « La Porte du soleil » nous offre avec cette nouvelle épopée palestinienne un brillant roman labyrinthique, tout en poésie, qui vient brouiller nos codes, nos attentes, nos lectures, pour nous ramener au sens – de la beauté, de l’existence, de l’humanité.
Hussein Al-Barghouti, Lumière bleue, Sindbad, 2024, 176 pages
Hussein Al-Barghouti, Je serai parmi les amandiers, Sindbad, 2024, 112 pages.
Ce récit autobiographique retrace les années que l’auteur a passées en tant qu’étudiant aux États-Unis. Il s’agit d’abord d’un voyage initiatique, au cours duquel l’auteur nous entraîne dans ses paysages intérieurs : perte d’évidence, quête perpétuelle du sens et surtout questionnement sur la folie, thème central du livre. Fin connaisseuse du patrimoine littéraire arabe – et mondial –, Hussein al-Barghouti restitue avec beaucoup de finesse, en alternant description, introspection et méditation, la tension constante entre ces deux parties constitutives de lui-même : l’imaginaire populaire palestinien et la modernité urbaine, théâtre de toutes les expérimentations.
« Probablement la plus belle réalisation de la littérature palestinienne en prose », écrit Mahmoud Darwich dans sa préface.
Récit initiatique d’un retour au pays natal, et surtout au verger d’amandiers familial, planté en 1948, où l’auteur, décédé en 2002 à Ramallah, repose, selon ses souhaits.
Comme dans son premier récit autobiographique, « Lumière bleue », où il relatait ses années d’exil aux États-Unis, l’auteur parvient à mêler intimement et indissociablement toutes les facettes de sa quête personnelle, à la fois intellectuelle, poétique, philosophique, politique et spirituelle.
Elias Sanbar, Le Bien des absents, Babel, 2024, 144 pages.
Exilé de sa patrie palestinienne avant même d’y avoir vécu, Elias Sanbar donne ici à voir, dans un miroitement d’épisodes aux tonalités changeantes, l’immatérielle présence d’une terre d’origine ressentie “du dehors”. Le “bien des absents”, c’est cette maison à Haïfa qu’il a fallu fuir dans la peur et qui s’entrouvre cinquante ans plus tard, livrant ses souvenirs, repères essentiels de l’expatrié.
Dans ce kaléidoscope de choses vues, d’expériences presque indicibles et d’anecdotes douces-amères, jamais Elias Sanbar n’abandonne le sens de l’humour, ni le pays où naquit son peuple jeté aux quatre vents.
Mosab Abu Toha, Ce que vous trouverez caché dans mon oreille, Éditions Juliard, 2024, 192 pages.
En restituant les peines et les joies des habitants de Gaza dans sa poésie-reportage, Mosab Abu Toha donne chair à une terre en guerre, et à sa beauté insoupçonnée.
Sa plume concrète, fulgurante, raconte la violence qui s’infiltre dans tous les recoins de l’existence. Comme Gaza elle-même, ces textes sont remplis de décombres. Mais ils sont aussi empreints de beauté et d’une profonde humanité, nichées dans les objets du quotidien, les amitiés qui se nouent et la nature immuable. Ils sont imprégnés de l’odeur du thé et des roses en fleurs. Des enfants naissent, des étudiants vont à l’université, des bibliothèques sortent de leurs ruines, tandis que les Palestiniens trouvent de nouvelles façons de survivre et de créer de l’espoir.
Stéphanie Dujols, Les espaces fragiles, carnet de Cisjordanie, Palestine 1998-2019, Actes Sud, 2024, 112 pages.
Parfois, W. part dans la nuit. Il sort du village, marche un moment sur la route, la quitte pour obliquer à travers la lande et s’y enfonce. Une colonie disparaît dans son dos. Il s’arrête tout au bout du plateau, qui fait comme une épaule au-dessus des abords de Jérusalem. Au loin, il voit clignoter les lumières de la ville. Campé sur ses jambes, il lâche un premier cri, étiré et sauvage. Puis d’autres. Des hurlements.
Bandes dessinées
Joe Sacco, Guerre à Gaza, Éditions Futuropolis, 2024, 32 pages.
Joe Sacco ne pouvait être indifférent ni aux attaques du Hamas le 7 octobre 2023 en Israël, ni aux conséquences tout aussi dramatiques sur Gaza. Même s’il n’aime pas dessiner dans l’immédiateté de l’actualité, Joe Sacco sait que sa voix sur la Palestine peut compter. Une voix morale. Il a donc décidé de prendre du temps en plus pour dessiner un pamphlet sur l’horreur de la guerre à Gaza. En une trentaine de pages corrosives, il aborde le thème de la guerre, du traitement politique de celle-ci par les États-Unis et Israël, par les médias. Un pamphlet qui mêle l’universel et l’intime.
Mohammad Sabaaneh, 30 secondes à Gaza, Alifbata, 2024, 128 pages.
« 30 secondes. C’est le temps que durent les vidéos postées depuis Gaza sur les réseaux sociaux… Trente secondes pour un bref aperçu de l’enfer que vivent des êtres ni plus ni moins humains que nous… »
De Ramallah, où il vit, Mohammad Sabaaneh a entrepris de documenter la tragédie que vivent les Gazaouis depuis octobre 2023 à travers des dessins qui reproduisent les scènes des vidéos postées depuis Gaza. Il veut par là sauvegarder les traces de ce qui est en train de se passer, car ces images disparaissent les unes après les autres des réseaux sociaux, censurées par les grandes plateformes d’Internet.
Ce livre recueille quatre-vingt-douze dessins réalisés à l’encre de Chine sur papier parce que, comme le dit l’auteur, « aucune solution liquide ne peut l’effacer. Elle est indélébile comme l’est le sang qui coule dans les rues de Gaza, dans ses hôpitaux et sur les visages de ses enfants que rien, jamais, ne pourra effacer de nos mémoires ».
Le livre est introduit par une préface de l’historien israélien Ilan Pappé et de l’historienne palestinienne Nadia Naser-Najjab et paraît en même temps en Italie et en Espagne grâce à la complicité des éditions Mesogea et de la Fondation Al Fanar.
Théâtre
Najla Nakhlé-Cerrut, La Palestine sur scène, Pur éditions, 2022, 236 pages
La pratique du théâtre, qui suppose des textes et des représentations, nécessite la réunion de conditions matérielles spécifiques. Dans l’espace israélo-palestinien, en raison des puissantes contraintes imposées aux Palestiniens dans leurs mobilités, cette pratique est douloureusement mise à mal.
Partant de ce constat, cet ouvrage propose l’étude d’un choix de productions théâtrales palestiniennes réalisées durant la décennie 2006-2016. Cette étude envisage ces productions dans leur dimension totale : textuelle, scénique et performative. Elle propose l’examen des modalités d’élaboration de la spatialité dans ces œuvres et de ses interactions avec l’espace réel dans lequel elles se déploient.