Centre Arabe de Recherches et d’Études Politiques de Paris

01/12/2025

Sélection ou élection : lecture analytique de la formation de l’Assemblée du peuple en Syrie

photo de Tatiana Mokhova via Unsplash

Rapport traduit de l’arabe, publié le 9 octobre 2025 par The Day After et constable en arabe et en anglais sur le lien :
اختيار أم انتخاب- قراءة تحليلية لتشكيل مجلس الشعب

La chute du régime de Bachar al-Assad a ouvert une phase de transition où l’urgence institutionnelle a souvent pris le pas sur les principes démocratiques. Présentée comme une élection fondatrice, la formation de l’Assemblée du peuple s’apparente davantage à un mécanisme de sélection contrôlé par l’exécutif qu’à un véritable scrutin. Entre incohérences juridiques, critères flous, absence de contrôle constitutionnel et exclusion de régions entières, cette étude décortique un processus électoral qui peine à répondre aux exigences de transparence, de représentativité et d’État de droit.

À la suite de la chute du régime de Bachar al-Assad, les discussions sur la manière de combler le vide constitutionnel se sont rapidement intensifiées, jusqu’à aboutir à la « Conférence de la Victoire » tenue le 29 janvier 2025 sous l’égide des principales factions armées. Celle-ci s’est conclue par la nomination d’Ahmed al-Charaa à la présidence intérimaire, avec pour mandat de constituer un conseil législatif transitoire. Ce nouveau conseil a été entériné quelques semaines plus tard par la Déclaration constitutionnelle du 13 mars 2025, qui en a précisé la composition et les modalités de fonctionnement.

S’il est vrai que la tenue d’élections générales nécessite des infrastructures solides et un consensus national sur la loi électorale, la création d’une Assemblée du peuple visait avant tout à achever la mise en place des institutions de l’État et à leur donner leurs pleines prérogatives législatives et de contrôle. Cette initiative devait également marquer une première étape vers un accord national.

Le 5 octobre 2025, il ne s’agissait donc pas d’une élection ordinaire de l’Assemblée du peuple, mais de la mise en place d’un conseil législatif formé selon des mécanismes destinés à associer, dans la mesure du possible, les différentes composantes de la société syrienne et à en refléter la diversité politique, ethnique et religieuse. L’objectif principal était aussi d’assurer une représentation équilibrée et une égalité réelle entre femmes et hommes syriens dans leurs droits et leurs devoirs, conformément à la Déclaration constitutionnelle. Ce processus ne saurait dès lors être évalué à l’aune des standards des élections générales : il relève avant tout d’une procédure de désignation conduite par l’autorité transitoire, en application de cette même Déclaration. La présente étude en propose une lecture sous cet angle, en rappelant qu’il s’agit d’une « élection » organisée par des instances électorales elles-mêmes constituées par un comité nommé par le président de la République.

Il convient également de rappeler que le processus électoral s’est déroulé dans un contexte intérieur et régional particulièrement tendu, marqué par les divisions nationales apparues à la suite des événements survenus dans la région côtière et à Soueïda, ainsi que par les graves violations des droits humains qui les ont accompagnées. À cela se sont ajoutés l’absence de progrès dans l’intégration des zones placées sous le contrôle des Forces démocratiques syriennes (FDS) au sein du gouvernement central, contrairement à ce que prévoyait l’accord du 10 mars 2025, et l’échec du processus de dialogue national. L’ensemble de ces facteurs a conduit à l’exclusion des gouvernorats de Soueïda, Hassaké et Raqqa du processus de formation de l’Assemblée du peuple.

Première partie : le cadre juridique régissant la formation du Conseil législatif

La Déclaration constitutionnelle définit, dans son article 30, les attributions de l’Assemblée du peuple, appelée à jouer le rôle de principal en tant qu’organe législatif durant la période de transition.

Cet article précise que « l’Assemblée est chargée de proposer et d’adopter les lois ; de modifier ou d’abroger les textes en vigueur ; de ratifier les traités internationaux ; d’approuver le budget général de l’État. Elle peut également accorder une amnistie ; se prononcer sur la démission ou la levée d’immunité de ses membres ; et auditionner les ministres. Toutes ses décisions sont prises à la majorité des voix. »

Par ailleurs, d’autres dispositions de la Déclaration fixent le mandat de l’Assemblée du peuple à trente mois, renouvelable, et prévoient qu’elle doit adopter son règlement intérieur dans le mois suivant sa première réunion. Le texte précise également qu’un membre de l’Assemblée ne peut être révoqué qu’avec l’approbation des deux tiers de ses pairs, sans que les motifs d’une telle décision soient précisés.

Bien que la Déclaration indique que les décisions de l’Assemblée sont adoptées à la majorité simple, elle confère au président de la République la faculté de relever ce seuil à une majorité des deux tiers. L’article 39[1] énonce :

  1. Le président de la République a le droit de proposer des lois.
  2. Le président de la République promulgue les lois approuvées par l’Assemblée du peuple et peut les contester par décision motivée dans un délai d’un mois à compter de leur réception par l’Assemblée qui les examine. Les lois ne peuvent être approuvées après contestation qu’avec l’approbation des deux tiers de l’Assemblée du peuple, auquel cas le président de la République les promulgue par décret.

Concernant la formation de l’Assemblée du peuple, l’article 24 de la Déclaration constitutionnelle définit le mécanisme suivant :

  1. Le président de la République constitue une commission supérieure chargée de sélectionner les membres de l’Assemblée du peuple.
  2. Le Comité suprême supervise la formation des sous-commissions électorales, qui élisent les deux tiers des membres de l’Assemblée du peuple.
  3. Le président de la République nomme un tiers des membres de l’Assemblée du peuple afin d’assurer une représentation équitable et efficace.

Conformément à cette Déclaration, le président Ahmed al-Charaa a promulgué, le 2 juin 2025, le décret n° 66, qui prévoit notamment :

  1. Création d’un comité électoral des élections de l’Assemblée du peuple.
  2. Supervision, par ce Comité, de la formation d’instances électorales locales, chargées d’élire les deux tiers des membres de l’Assemblée.
  3. Une Assemblée du peuple composée de 150 membres, répartis entre les gouvernorats proportionnellement à leur population, selon deux catégories, notables et professionnels, et conformément aux critères fixés par le comité électoral.
  4. Un tiers des membres est nommé par le président de la République, les deux autres tiers étant élus par des comités électoraux reconnus répartis dans les gouvernorats.

Ce décret s’inscrit dans la continuité de la Déclaration constitutionnelle : il entérine la création d’une autorité législative placée sous l’autorité du chef de l’exécutif, conformément aux pleins pouvoirs que la Conférence de la Victoire lui avait confiés.

Dans le prolongement de cette démarche, le décret n° 143 du 19 août 2025 est venu, deux mois plus tard, préciser les modalités concrètes de mise en œuvre du processus électoral. Il établit le système électoral provisoire de l’Assemblée du peuple et en définit les règles de formation :

« L’Assemblée du peuple comprend 210 membres, dont un tiers est nommé par le président de la République et deux tiers élus conformément au présent décret ; les circonscriptions électorales sont constituées au niveau des zones administratives, une circonscription pouvant regrouper une ou plusieurs zones ; et chaque corps électoral compte entre trente et cinquante membres par siège. »

Le décret confie au comité électoral la supervision du processus : « dans chaque circonscription, le comité électoral crée des comités locaux chargés d’organiser le scrutin, dont les décisions ne prennent effet qu’après validation du comité central » ; Il précise également que « les critères d’éligibilité pour les membres de ces comités, largement calqués sur ceux du corps électoral : ne pas avoir soutenu l’ancien régime ni des organisations terroristes ; ne pas exercer de fonctions ministérielles, de gouverneur ou d’adjoint ; s’engager à respecter la Déclaration constitutionnelle ; être âgé d’au moins vingt-cinq ans ; et être inscrit ou avoir résidé dans la circonscription pendant cinq ans avant 2011. »

Ensuite, les comités locaux doivent travailler « en concertation avec les acteurs communautaires et civiques afin d’assurer la participation la plus large et la plus représentative possible à la sélection des membres du corps électoral » ; chacun d’eux « soumet ensuite au comité électoral central une liste préliminaire des personnes pressenties ».

Le décret prévoit ensuite « la création de commissions de recours dans chaque gouvernorat, composées de juges désignés par le ministre de la Justice », chargées d’examiner « les contestations relatives à la sélection des membres des comités locaux, des corps électoraux ainsi qu’aux résultats du scrutin ».

Il définit également les conditions d’éligibilité pour devenir membre du corps électoral : « ne pas avoir soutenu l’ancien régime ni des organisations terroristes ; être inscrit sur les registres civils de la circonscription ou y avoir résidé pendant au moins cinq ans avant 2011 ; avoir atteint l’âge de vingt-cinq ans ; et ne pas appartenir aux forces armées ni aux services de sécurité », outre d’autres conditions complémentaires.

Le texte encadre en outre la composition des listes du corps électoral, préparées et approuvées par les comités locaux avant d’être soumises au comité électoral central. Ces listes doivent, « dans la mesure du possible, comprendre soixante-dix pour cent de professionnels et trente pour cent de notables », garantir « une représentation féminine d’au moins vingt pour cent », et tenir compte « des familles de martyrs, des blessés de la révolution, des personnes handicapées ainsi que des anciens détenus ».

Une fois les membres du corps électoral approuvés, « les candidatures internes peuvent être déposées », la campagne électorale devant rester « strictement limitée à ces corps électoraux ». Enfin, le décret « double les sanctions en cas d’infractions électorales » et précise que « toute vacance de siège, qu’elle concerne un membre nommé ou élu, est comblée par le président de la République ».

Deuxième partie : analyse juridique du processus électoral dans son cadre constitutionnel et légal

1) La dénomination du Conseil entre la Conférence de la Victoire et la Déclaration constitutionnelle

Nommé à la suite de la Conférence de la Victoire, le président de la République s’est vu attribuer de larges pouvoirs, dont celui de mettre sur pied un conseil législatif provisoire. La Déclaration constitutionnelle, adoptée quelques semaines plus tard, fait toutefois référence à ce même organe sous le nom d’« Assemblée du peuple ».

Cette nuance n’est pas anodine. Le terme retenu par la Conférence de la Victoire semble mieux traduire la réalité du moment : un organe chargé de combler le vide législatif laissé par la chute du régime et d’assurer la continuité institutionnelle pendant la période de transition. Sa mission n’est pas de contrôler le pouvoir exécutif, mais d’adopter les textes nécessaires à la préparation du futur ordre constitutionnel.

À l’inverse, l’appellation d’« Assemblée du peuple » prête à confusion. Dans les faits, ses membres ne sont pas élus, mais désignés par le président de la République, assisté d’un comité qu’il a lui-même nommé. Le processus s’écarte donc du principe démocratique selon lequel le peuple délègue son autorité à des institutions issues du suffrage.

2) L’incohérence entre les deux décrets portant création du Comité électoral et du système électoral provisoire

Le décret n° 66 fixait à 150 le nombre de membres de l’Assemblée, élus au niveau des gouvernorats, et en précisait la répartition des sièges. Le décret instaurant le système électoral provisoire a, lui, relevé ce chiffre à 210, tout en modifiant le mode de répartition : les sièges ne sont plus attribués par gouvernorat, mais selon les zones administratives.
Aucune justification n’a été avancée pour expliquer ce changement, ni sur le plan juridique ni sur le plan politique.

3) L’absence de Cour constitutionnelle

L’article 47 de la Déclaration constitutionnelle prévoit :

  1. La Cour constitutionnelle suprême actuelle est dissoute et une nouvelle Cour constitutionnelle suprême est créée.
  2. La Cour constitutionnelle suprême est composée de sept membres nommés par le président de la République, chacun d’eux devant posséder intégrité, compétence et expérience.
  3. Ses règles de fonctionnement et ses pouvoirs sont définis par la loi.

Or, à ce jour, cette Cour n’a toujours pas été mise en place, alors même que sa création ne suppose pas les mêmes procédures que celles applicables à l’Assemblée du peuple. Certes, le texte fondamental précise que les modalités de fonctionnement de la Cour doivent être fixées par une loi adoptée par l’Assemblée. Mais il indique aussi, dans son article 51, que « les lois en vigueur demeurent applicables, sauf si elles sont modifiées ou abrogées ». En théorie, la loi sur la Cour constitutionnelle et la loi électorale restent donc valides, tant qu’elles ne contredisent pas la Déclaration.

Cette absence laisse un vide majeur au sommet de l’ordre juridique : selon la loi électorale n° 5 de 2014, la Haute Cour constitutionnelle devait être chargée d’examiner les recours liés aux élections de l’Assemblée du peuple. Faute d’institution compétente, le Comité électoral supérieur agit aujourd’hui sans véritable contrôle juridictionnel.

Il aurait été plus cohérent d’en nommer les membres et d’en préciser les attributions dans le cadre des lois existantes, afin que la Cour puisse jouer son rôle de gardienne de la légalité du processus électoral et assurer le contrôle constitutionnel des décisions du Comité électoral.

4) L’absence de toute participation judiciaire au sein du comité électoral

Selon le droit syrien toujours en vigueur et conformément à la Déclaration constitutionnelle, le Comité électoral supérieur devait être composé de sept juges nommés par le Conseil supérieur de la magistrature. Or, le décret n° 66 n’a pas respecté cette disposition : aucun magistrat n’y a été intégré.

Certes, on peut admettre qu’il s’agissait d’un comité spécial, créé dans le cadre de la Déclaration constitutionnelle pour encadrer la formation de l’Assemblée du peuple. Mais dans ce cas, le texte du décret aurait dû rester fidèle à celui de la Déclaration, qui évoque un « comité supérieur chargé de sélectionner les membres de l’Assemblée du peuple », le terme employé étant sélection et non élection.

Attribuer le titre de « comité électoral supérieur » à un organe nommé directement par le président, chargé de désigner les membres de l’Assemblée durant la période de transition, crée donc une confusion. Cette formulation entre en contradiction avec l’esprit même de la Déclaration, qui stipule que les lois existantes demeurent applicables tant qu’elles n’ont pas été modifiées ou abrogées.

Troisièmement : Le processus électoral et sa conformité au cadre juridique régissant

1) Flou des critères

Le Décret n° 143 a fixé un ensemble de critères pour la sélection des membres des comités subsidiaires et des membres des corps électoraux. Il est toutefois notable qu’aucun critère n’a été défini pour la composition du Comité supérieur pour les élections lui-même ; ses membres ont simplement été nommés, puis chargés d’établir les critères applicables aux autres comités et corps. Dès lors, il n’a pas été possible de contester leur nomination, ni d’introduire un recours contre eux, ni de s’opposer aux décisions qu’ils ont prises.

De plus, plusieurs critères ont été formulés en termes larges ou non mesurables, tels que l’interdiction d’être « partisan d’organisations terroristes » sans que le décret ne définisse quelles entités constituent de telles organisations, ou l’« engagement à respecter la Déclaration constitutionnelle », norme qui ne peut être objectivement mesurée et qui peut être interprétée de manière à exclure quiconque s’oppose à ce qu’a approuvé l’autorité dans ladite Déclaration. Même l’exigence de résidence dans la circonscription pendant cinq ans avant 2011 ne peut être vérifiée en l’absence d’une autorité officielle capable d’en confirmer la réalité.

2) Absence de garanties lors de la sélection des membres des corps électoraux

L’article 13 du Décret n° 143 impose aux comités subsidiaires l’obligation d’interagir efficacement avec les communautés locales et les acteurs civiques afin d’assurer une large participation à la sélection des membres du corps électoral. Les comités subsidiaires n’ont pas rempli ce rôle tel que requis. Ils ont suivi une autre voie en ouvrant les candidatures à toute personne souhaitant intégrer les corps électoraux –pratique adoptée par certains comités subsidiaires mais pas par d’autres – sans fondement dans les instructions exécutives. Des listes de candidats ont ensuite été publiées et des voies de recours ouvertes à toute personne souhaitant les contester, sans préciser la qualité pour agir. Puis des listes définitives ont été publiées, écartant certains noms et en maintenant d’autres, sans exposer les critères ou motifs d’exclusion. Cela a laissé entendre que les comités subsidiaires excluaient qui ils voulaient, même en l’absence de tout recours – une inférence que le Comité supérieur a, de fait, confirmée en déclarant que certains candidats avaient été exclus sans qu’aucun recours n’ait été formé contre eux. Le manquement des sous-comités à conduire les consultations requises est corroboré par le délai très court entre la décision de former les sous-comités et celle de constituer les corps électoraux, qui n’a pas dépassé cinq jours. En pratique, la plupart des régions n’ont pas mené de véritables consultations communautaires.

En définitive, les comités subsidiaires ont sélectionné qui ils souhaitaient, disposant du pouvoir et de la latitude d’exclure des candidats sans motiver ni étayer leurs décisions. La transparence a également fait totalement défaut quant à la réception et au traitement des recours : ni le Comité supérieur ni les comités subsidiaires n’ont publié d’informations sur le nombre de recours ni sur la vérification des griefs soulevés, le tout dans un calendrier compressé ne permettant pas une vérification adéquate. Il convient aussi de noter que le Comité supérieur n’a pas respecté ses propres décisions quant à la durée des périodes de recours.

3) Modifications des listes et non-respect des critères fondamentaux

Les comités subsidiaires ont publié des listes, ouvert la voie aux recours, puis émis des listes complémentaires avec une nouvelle période de recours, avant de publier des listes définitives excluant un grand nombre de personnes répondant aux critères. Cette démarche a placé de nombreux candidats dans une position délicate : leur exclusion a laissé entendre qu’ils ne remplissaient pas les conditions et, celles-ci étant formellement remplies, a fait soupçonner que la raison de l’exclusion tenait à une association avec l’ancien régime ou à un soutien à des organisations terroristes.

Parallèlement, nous avons observé que, lors de l’établissement des listes, certains comités subsidiaires ont accepté des candidatures de personnes nées en 2004 et 2005, alors que les instructions fixent l’âge minimum des candidats à 25 ans. Cela indique que les comités subsidiaires n’ont pas procédé à un examen diligent des dossiers : s’ils ne pouvaient pas vérifier le critère d’âge, comment ont-ils traité les autres conditions nécessitant pièces et vérifications ?

4) Méconnaissance des critères de sélection et des catégories

L’article 23 du Décret n° 143 prévoit que les comités subsidiaires soumettent la liste initiale des membres du corps électoral pour leur circonscription, divisée en deux catégories : notables et professionnels/compétents. En pratique, les comités subsidiaires n’ont pas respecté cette exigence ; ils ont transmis des listes non ventilées et sans observation des proportions requises. Le scrutin s’est ainsi déroulé sans clarification sur l’appartenance à la catégorie des notables ou à celle des professionnels.

L’article 24 du même décret stipule que la représentation des femmes doit être d’au moins 20 %. Les comités subsidiaires n’ont pas respecté cette exigence ; plusieurs d’entre eux ont soumis des listes en deçà de 20 %, alors même qu’ils ont écarté de nombreuses femmes en contradiction flagrante avec le décret. Le même article exige la représentation des familles de martyrs, des blessés de la révolution, des personnes handicapées et des survivants de détention (femmes et hommes) ; les garanties destinées à assurer cette représentation ont été compromises lors de la sélection des membres des corps électoraux.

5) Exclusion des juges de l’adhésion aux corps électoraux et de l’éligibilité

L’article 21 du Décret n° 143 fixe les critères de sélection des membres des corps électoraux, y compris les catégories inéligibles. Il stipule clairement que les candidats ne doivent pas être militaires ni membres des services de sécurité, et ne doivent pas occuper les fonctions de ministre, gouverneur ou adjoint. Le décret définit ainsi sans ambiguïté les catégories exclues de l’adhésion. Les comités subsidiaires ont pourtant contrevenu au décret en barrant les juges de l’adhésion sans base légale. Le comité subsidiaire d’Alep semble avoir été le seul à accepter les demandes des juges, considérant que le texte n’interdit pas leur adhésion ; toutefois, les juges acceptés à Alep ont ensuite été invités à ne pas se porter candidats. Au-delà de son absence de légalité, l’exclusion des juges affaiblit aussi l’Assemblée, notamment quant à sa mission centrale de légiférer.

6) Manquement du Comité supérieur au respect des délais qu’il a lui-même fixés

Selon les instructions exécutives émises par le Comité supérieur pour les élections, un délai de trois jours est prévu pour contester les résultats, à compter du lendemain de la publication des listes des candidats retenus. En pratique, le Comité supérieur n’a pas respecté ces délais : il a publié les listes des candidats retenus le jour même de la clôture du dépouillement à Alep (vers 7h00), et, par le Décret n° 66 pris le jour où le dépouillement s’est achevé partout, a limité la période de recours au même jour, réduisant ainsi le délai de trois jours à moins de trois heures. Le Comité a même publié l’annonce de la fenêtre de recours sur sa page Facebook après la fermeture des bureaux, et, à la fin de journée du 6 octobre 2025, il n’avait rien publié sur son site officiel concernant cette réduction de délai.

Ce faisant, le Comité a privé les requérants potentiels de leur droit au recours et contrevenu tant au décret régissant son fonctionnement qu’à ses propres décisions.

Par ailleurs, les délais étaient trop courts pour permettre aux sous-comités d’accomplir leurs tâches, et ont été encore réduits dans plusieurs cas.
Pour illustrer la précipitation avec laquelle la tâche a été menée, ainsi que les violations commises, le tableau ci-après présente les décisions les plus significatives et les observations correspondantes :

Statut / Observations

Dates légales

Étape

Réception des candidatures pour les comités subsidiaires.

23–25 août 2025 (Décision n° 2)

Réception des candidatures pour les comités subsidiaires

Le 27 août, soit un jour après le calendrier fixé par le Comité supérieur le 23 août, le Comité supérieur a annoncé les listes initiales des membres proposés pour les comités subsidiaires.

26 août 2025 (Décision n° 2)

Annonce des membres proposés des comités subsidiaires

Le 29 août, soit un jour après l’échéance initiale des objections, le Comité supérieur a prolongé la date limite du 28 au 31 août, sans motif ni mise à jour du calendrier.

27–28 août 2025 (Décision n° 2)

Réception des objections aux membres proposés

Pour accélérer la procédure, le Comité supérieur a réduit de trois jours à un jour seulement le délai légal de décision sur les objections.

30 août 2025 (Décision n° 2)

Décision sur les objections

Le 1er septembre, le Comité supérieur a émis la Décision n° 26, annonçant des changements dans les comités subsidiaires de sept circonscriptions dans certains gouvernorats, et a introduit une nouvelle série d’objections à déposer en deux jours auprès du comité judiciaire de chaque gouvernorat, en leur accordant 24 heures seulement pour statuer.

31 août 2025 (Décision n° 2)

Publication des noms définitifs des membres des comités subsidiaires

La publication des noms définitifs a été retardée en raison de cette seconde série d’objections. Les comités ont été nommés le 3 septembre.

1er septembre 2025 (Décision n° 2)

Début des tâches des comités subsidiaires (réception des demandes et sélection des membres du collège électoral)

Nomination officielle des comités subsidiaires et prestation de serment.

3 septembre 2025 (annonce du Comité supérieur)

Nomination officielle et serment

Formation tenue les 6–7 septembre. Selon les instructions exécutives, la formation doit précéder le début des travaux (Instructions exécutives 2.7).

6–7 septembre 2025 (annonce du Comité supérieur)

Formation des membres des comités subsidiaires

Au lieu de tenir des consultations, le Comité supérieur a lancé un formulaire de candidature la veille du début du processus. Cette période a été prolongée jusqu’au 13 septembre sans annonce officielle.

8–11 septembre 2025 (Circulaire n° 3 du 6 septembre 2025)

Consultations des comités subsidiaires avec les communautés et autorités pour sélectionner les électeurs. Taille de chaque collège : 50 à 700 membres selon les sièges, avec +20 % de noms pour aléas.

Les comités subsidiaires soumettent les listes initiales des membres des collèges électoraux au Comité supérieur.

(même étape)

Soumission des listes initiales au Comité supérieur

Dans la Circulaire n° 3, le Comité supérieur a écourté cette étape en substance, décidant de renvoyer automatiquement les listes approuvées un jour après leur réception (plus de 50 comités, >6 000 noms).

Révision par le Comité supérieur des listes proposées (>6 000 électeurs), modifications ou renvoi pour révision.

Examen des listes proposées

La publication est intervenue tardivement le 18 septembre (cinq jours de retard).

13 septembre 2025 (Circulaire n° 3 du 6 septembre 2025)

Approbation par le Comité supérieur et renvoi aux comités subsidiaires pour publication des listes initiales

En pratique, la publication a eu lieu les 18–19–20 septembre.

14–16 septembre 2025 (Circulaire n° 3 du 6 septembre 2025)

Délai pour objections (la loi prévoit 3 jours – Décret n° 143)

Le 24 septembre, Décision n° 45 (ajout de 473 nouveaux noms de remplacement). Le 25 septembre, Décision n° 46 (ajout de 17 noms). Deux jours pour les recours, un jour pour objections et un jour pour examen judiciaire. Décision n° 46 publiée après minuit, objections dès le lendemain matin. Conflit avec les déclarations du porte-parole (candidatures initialement prévues vendredi 26 et samedi 27). De fait, ces décisions ont reporté l’ouverture des candidatures du vendredi 26 au samedi 27.

21–25 septembre

Deuxième série d’objections

Les listes définitives devaient être annoncées le 25 septembre, mais l’ont été le 26, et certaines le matin du 27.

Échéance au 25 septembre

Annonce des listes définitives

Les candidatures ont eu lieu à la date prévue (27–28 septembre, après approbation des listes définitives), mais en contravention avec le système électoral qui exige cinq jours de dépôt.

27–28 septembre (après listes définitives)

Période de candidatures

La campagne s’est tenue dans les délais (29 septembre–3 octobre), mais en contradiction avec l’exigence de sept jours.

29 septembre–3 octobre

Période de campagne

Silence électoral respecté.

4 octobre

Période de silence

Jour du vote tenu dans les délais.

5 octobre

Jour du scrutin

La période de recours aurait dû être 6–9 octobre. La décision du Comité supérieur de la limiter à trois heures le 6 octobre viole la loi prévoyant trois jours.

6 octobre – trois heures seulement

Objections

La loi prévoit jusqu’à cinq jours pour statuer après dépôt des recours, ce qui n’a pas été appliqué.

Non appliqué

Décisions sur les recours

Résultats définitifs annoncés.

6 octobre

Annonce des résultats définitifs

Quatrièmement : Observations générales

1) Absence de trois gouvernorats de la représentation au sein de l’Assemblée

Compte tenu de l’incapacité du gouvernement à mener le processus électoral dans les gouvernorats de Soueïda, Raqqa et Hassaké, il a été décidé de reporter la désignation de leurs représentants. Le Comité supérieur a ensuite décidé d’organiser des élections dans deux zones de Raqqa (Maʿdan et Tall Abyad) et une zone de Hassaké (Ras al-Ayn), avant de décider ultérieurement de reporter ces scrutins au 20-10-2025. Il convient également de noter qu’aucune élection n’a eu lieu à Ayn al-Arab/Kobané dans le gouvernorat d’Alep.

L’impossibilité de tenir des élections dans ces gouvernorats justifie leur report ; traiter cette absence et y remédier est toutefois essentiel pour mettre en œuvre l’Accord du 10 mars, achever le dialogue national et faire face aux conséquences des violations survenues.

Dans tous les cas, dans la mesure où le conseil législatif adoptera des lois applicables à tous les Syriens, l’absence de représentants de ces trois gouvernorats crée un déséquilibre dans la composition de l’Assemblée qui affaiblit sa légitimité à légiférer.

2) Campagne électorale

L’article 28 du Décret n° 143 prévoit que la campagne électorale est strictement limitée au corps électoral ; l’article 29 interdit l’utilisation des moyens et installations appartenant à l’État aux fins de campagne.

En pratique, les candidats n’ont pas respecté ces règles : ils ont fait campagne au-delà du corps électoral et la plupart ont diffusé leurs contenus via les réseaux sociaux, sans intervention du Comité supérieur. À l’inverse, et en contradiction avec l’article 29, certains médias d’État, tels qu’Al-Ikhbariyah al-Souriyah (télévision officielle syrienne), ont offert une tribune à certains candidats pour se présenter et exposer leurs programmes, sans que le Comité supérieur ne prenne de mesures à l’encontre de ces violations.

3) Observation des élections

L’article 50 du Décret n° 143 dispose : « Le président du Comité supérieur peut inviter les missions diplomatiques et les bureaux d’organisations internationales et gouvernementales dans les centres de vote pour examiner le déroulement du processus électoral. » Aucune disposition relative à l’observation électorale n’est toutefois prévue. À l’inverse, les instructions exécutives pour le jour du scrutin, édictées par la Décision n° 65 du Comité supérieur pour les élections, prévoient que « le candidat ou son mandataire, ainsi que les médias, ont le droit d’observer le processus électoral et d’assister au dépouillement. »

Il n’est donc fait aucune mention d’un rôle pour les organisations de la société civile dans l’observation des élections – entendue non pas seulement comme le jour du scrutin, mais comme le suivi de l’ensemble du processus dès son lancement. The Day After (TDA) a cherché à observer les élections, mais des membres du Comité supérieur nous ont indiqué que cela n’était pas possible. Il convient toutefois de noter que le rôle de TDA a été accepté en tant qu’organisation formatrice de comités subsidiaires, pour expliquer le système électoral et clarifier leurs missions et fonctions.

4) Alourdissement des peines pour les infractions électorales
L’article 43 du Décret n° 143 prévoit : « Toute infraction commise pendant ou à cause du processus électoral est passible du double des peines prévues par le Code pénal syrien. »

Cela revient à modifier le Code pénal. Or, selon la Déclaration constitutionnelle, le président de la République n’a pas compétence pour édicter ou amender des lois ; cet article excède donc le pouvoir réglementaire du président dans l’édiction de décrets.

5) Adjonction de pouvoirs présidentiels pour « réparer » la composition de l’Assemblée du peuple
La Déclaration constitutionnelle ne prévoit aucun mécanisme pour pourvoir un siège vacant lorsqu’un membre perd ses conditions d’éligibilité. Selon les principes généraux de séparation des pouvoirs, la gestion des vacances devrait relever de l’Assemblée elle-même (par exemple en attribuant le siège au meilleur perdant ou en rouvrant les candidatures dans la circonscription pour la vacance spécifique). À rebours de ces principes, le Décret n° 143, pris par le Président, attribue au Président le pouvoir de nommer un remplaçant en cas de vacance.

L’article 45 du décret dispose : « En cas de décès, de démission ou de perte du mandat de tout membre de l’Assemblée du peuple — élu ou nommé —, un remplaçant est nommé par le président de la République. »

Cinquièmement : Constatations

  • La manière dont l’Assemblée du peuple a été formée a conduit à ce que la plupart des membres soient d’une même affiliation, alignée sur l’orientation politique du gouvernement. La représentation équilibrée a fait défaut. Il ne s’agissait ni d’élections directes reflétant les véritables orientations de la société, ni d’une nomination directe reflétant la diversité de la société syrienne. L’absence de cette représentation équilibrée a fragilisé le principe de citoyenneté égale consacré par la Déclaration constitutionnelle.
  • La composition du Conseil reflète l’absence de nombreuses forces politiques. L’accès au Conseil n’a pas traduit des programmes électoraux ; la forme finale a été déterminée par des candidatures individuelles, ce qui déforme la cartographie politique de la réalité sociale. En outre, l’absence de forces politiques limite la capacité du Conseil à mener des débats substantiels et à proposer des amendements aux projets de loi émanant de l’exécutif.
  • Le processus a été piloté par l’exécutif, sans l’indépendance requise du Comité supérieur pour les élections, ni dans sa composition ni dans sa performance. La précipitation de la préparation est apparente, au vu des décisions contradictoires du Comité et de son non-respect des règles qu’il avait lui-même fixées.
  • La formation de l’Assemblée est intervenue sans achèvement du dialogue national, sans avancée sur l’exécution de l’Accord du 10 mars avec les FDS, dans un climat de tensions et de violations dans plusieurs zones, et sans intégration de certaines factions dans les institutions de l’État. De larges segments ont donc refusé d’y participer, ce qui a affecté l’inclusivité de la représentation et l’absence de certaines dynamiques politiques et sociales — autant d’éléments susceptibles d’affecter négativement l’avenir du dialogue national et de la consolidation de la paix.
  • Bien que les règles exigent une participation des femmes d’au moins 20 % au sein des corps électoraux, il s’agit d’un quota pour les corps, non d’un quota de sièges. En pratique, le Comité supérieur n’a pas respecté ce pourcentage : la participation des femmes dans les corps a été d’environ 14 %, tandis que leur représentation à l’Assemblée est tombée à 5 % seulement.
  • De larges segments issus tant du spectre révolutionnaire que des partisans des autorités ont participé et exprimé leur satisfaction quant à leur participation et au sentiment de liberté éprouvé – surtout au regard de leur exclusion totale sous l’ancien régime. Ce sentiment ne s’est toutefois pas étendu à d’autres segments du spectre révolutionnaire.

Sixièmement : Recommandations

  • Achever le dialogue national, mettre en œuvre l’Accord du 10 mars et traiter les répercussions des violations dans la région côtière, à Soueïda et ailleurs, au moyen de mécanismes équitables, transparents et inclusifs susceptibles de produire une réconciliation nationale et de conférer une légitimité à l’architecture politique de la prochaine phase.
  • Réformer la Déclaration constitutionnelle afin de garantir l’indépendance et l’équilibre des pouvoirs, d’assurer le contrôle législatif de l’exécutif, de préserver l’indépendance du pouvoir judiciaire et d’établir une Commission électorale indépendante et impartiale.
  • L’Assemblée devrait accorder une attention particulière à la Loi électorale, en veillant à une délibération publique préalable avec les forces politiques extérieures à l’Assemblée, les organisations de la société civile et l’ensemble des acteurs sociaux. De même, des consultations avec ces acteurs sont essentielles pour l’élaboration d’une Loi sur les partis politiques ouvrant un espace à une activité politique libre et protégée.
  • Adopter un quota garantissant une représentation des femmes à l’Assemblée du peuple d’au moins 30 %.
  • Reconnaître aux organisations de la société civile le droit d’exercer un contrôle social sur les travaux de l’Assemblée, y compris l’accès aux délibérations et aux projets de loi.
  • Publier tous les projets de lois sur un portail permettant l’accès, le dépôt d’avis et de commentaires, et l’adoption de mécanismes clairs et transparents pour leur prise en compte.
  • Les autorités devraient s’ouvrir à l’appui des institutions internationales compétentes pour concevoir la Loi électorale.
  • Les membres de l’Assemblée devraient remédier à l’absence de représentation des forces politiques extérieures à l’Assemblée et de certains groupes sociaux en ouvrant des canaux de communication et en mettant en place des mécanismes d’engagement et de dialogue.
  • Le tiers des membres nommés par le président devrait être mobilisé pour corriger les déséquilibres de représentation, en particulier s’agissant des forces politiques et des femmes.

Conclusion

En 2022, The Day After a publié son Rapport sur la réforme électorale, une étude détaillée démontrant qu’un processus électoral ne se résume ni à un isoloir ni à une urne, mais constitue une entreprise complexe qui doit s’accompagner de nombreuses garanties pour atteindre son objectif : convertir les voix de la société en sièges représentatifs.

L’organisation considère que la transition démocratique est un processus complexe, façonné par des conditions internes, régionales et internationales. À ce stade, la formation de l’Assemblée du peuple ne peut se faire par des élections directes impliquant tout le monde, en raison de multiples défis, depuis les lacunes du registre électoral général jusqu’à la sécurité d’accès des électeurs aux centres de vote à travers la Syrie, y compris la participation des déplacés internes et des réfugiés.

En dépit des nombreuses observations issues de notre évaluation de la formation de l’Assemblée, nous considérons que des tâches majeures attendent ses membres, au premier rang desquelles l’adoption d’un corpus législatif qui facilitera le passage de l’ordre temporaire à l’ordre permanent. Il s’agit de lois fondatrices, en particulier celles relatives aux partis politiques, aux élections, à l’administration locale, à la justice, aux médias, aux organisations de la société civile, à la justice transitionnelle, et d’autres encore. La réussite de cette entreprise dépendra du niveau de coopération et de participation entre les membres de l’Assemblée, les forces politiques et sociales, et les organisations de la société civile.

 

[1] Déclaration constitutionnelle de la République arabe syrienne (13 mars 2025), Digithèque MJP, Université de Perpignan. URL :
 https://mjp.univ-perp.fr/constit/sy2025.htm
Nous nous sommes basés sur cette source pour la traduction des textes de loi lorsqu’ils étaient disponibles. Dans le cas contraire, nous avons traduit le texte tel qu’il figure dans le texte arabe.