Centre Arabe de Recherches et d’Études Politiques de Paris

05/12/2025

Victoire de Zohran Mamdani à New York : un tournant politique

Par l'Unité d'analyse politique de l'ACRPS
Zohran Mamdani
Zohran Mamdani at the Resist Fascism Rally in Bryant Park on Oct 27th 2024. Photo: Bingjiefu He / via Wikimedia commons

La victoire de Zohran Mamdani à la mairie de New York marque un tournant inédit dans la politique américaine. Jeune immigré d’origine ougandaise et musulman sud-asiatique, il s’impose face aux candidats établis et aux pressions des élites politiques et financières. Son succès reflète l’essor d’une nouvelle génération d’électeurs, la montée de l’aile progressiste du Parti démocrate et la capacité de mouvements citoyens à transformer le paysage politique, tout en annonçant des répercussions nationales pour les années à venir.

Le 4 novembre 2025, les États-Unis ont organisé leurs premières élections municipales depuis le début du second mandat de Donald Trump. Ce scrutin offre un aperçu des dynamiques électorales qui pourraient influencer les élections de mi-mandat prévues en 2026. Il s’est déroulé dans un contexte de polarisation politique accrue et de crise institutionnelle, entrée dans sa sixième semaine en raison des désaccords au Congrès sur le budget fédéral.

Le Parti démocrate a enregistré des succès notables, notamment en Virginie et dans le New Jersey. En Californie, l’initiative du gouverneur Gavin Newsom sur le redécoupage électoral a également permis au parti de gagner cinq sièges supplémentaires à la Chambre des représentants.

À New York, la victoire inattendue de Zohran Mamdani a suscité une large couverture médiatique. Ce scrutin offre un éclairage précieux sur l’avenir du Parti démocrate et sur la redistribution du pouvoir au sein des deux principaux partis. Mamdani a remporté ce succès malgré l’absence de soutien institutionnel et l’opposition déclarée de Trump, qui avait menacé la ville de sanctions en cas de victoire du candidat.

Unité d’analyse politique de l’ACRPS

L’Unité d’analyse politique est un département du Arab Center for Research and Policy Studies (Doha) consacré à l’étude de l’actualité dans le monde arabe. Elle vise à produire des analyses pertinentes utiles au public, aux universitaires et aux décideurs politiques de la région et du reste du monde. En fonction des questions débattues, elle fait appel aux contributions de chercheurs et de spécialistes du ACRPS ou de l’extérieur. L’Unité d’analyse politique est responsable de l’édition de trois séries de publications scientifiques rigoureuses : Évaluation de situation, Analyse politique et Analyse de cas.

La montée des démocrates socialistes

Zohran Mamdani, né en Ouganda et âgé de 34 ans, appartient à l’aile gauche du Parti démocrate. Ce courant défend une redistribution plus équitable de la richesse et un rôle accru de l’État dans la gestion des secteurs d’importance vitale, tels que la santé ou les services publics[1]. Ses adversaires, pour la plupart républicains, ont tenté de lui coller l’étiquette « communiste », une accusation que les socialistes démocrates rejettent, affirmant défendre une vision démocratique et réformiste, loin des modèles autoritaires.

Les Socialistes démocratiques d’Amérique (DSA) affirment clairement leur position : « Nous rejetons les visions autoritaires du socialisme et nous cherchons des voies multiples vers un socialisme démocratique qui dépasse le modèle historique de la démocratie sociale»[2]. Beaucoup de leurs partisans reconnaissent qu’un changement radical du système économique n’est pas envisageable à court terme, ce qui les conduit à privilégier l’organisation locale, la pression politique et la mobilisation collective pour obtenir des réformes progressives. La DSA insiste ainsi qu’elle « n’attend pas la fin du capitalisme pour demain » et qu’elle agit dès aujourd’hui pour affaiblir le pouvoir des grandes entreprises et renforcer celui de la classe ouvrière, notamment à travers des propositions comme la nationalisation de l’assurance santé ou le Pacte vert[3].

Un sondage Gallup de septembre 2025 montre que près des deux tiers des électeurs démocrates ont désormais une opinion favorable des idées socialistes, contre seulement 50 % en 2010, même si la majorité des Américains continue de préférer le système capitaliste.

Fidèle à cette ligne idéologique, Mamdani a mené campagne en affirmant vouloir transformer New York – l’une des villes les plus chères du pays – en une ville plus abordable, surtout pour les classes populaires. Ses propositions, très attractives auprès des jeunes, incluaient la gratuité des bus, la garde d’enfants gratuite pour les familles à faible revenu, la création de magasins municipaux à bas prix, le gel des loyers dans le logement social et la hausse du salaire minimum à 30 dollars de l’heure.

La carte d’une victoire électorale

L’ascension de Mamdani constitue l’une des transformations les plus rapides du paysage politique américain contemporain. À peine un an avant sa victoire, lorsqu’il avait annoncé sa candidature à la mairie de New York, il restait peu connu du grand public, bien qu’il siège depuis 2021 à l’Assemblée législative de l’État de New York en tant que représentant du quartier d’Astoria, dans le nord-ouest du Queens. En janvier 2025, il ne dépassait pas les 8 %[4] dans les sondages pour les primaires démocrates. Il a néanmoins centré sa campagne sur les enjeux de la classe ouvrière, s’appuyant sur ses compétences politiques, son charisme et la forte mobilisation de jeunes volontaires. Cette stratégie lui a permis de bâtir une base électorale solide, au sein du Parti démocrate comme au-delà.

Lors des primaires de juin, Mamdani a déjoué toutes les attentes en battant l’ancien gouverneur Cuomo avec 56,39 % des voix contre 43,61 %. Pourtant, Cuomo avait occupé le poste de gouverneur de l’État de New York pendant près de onze ans avant de démissionner en 2021, à la suite d’accusations d’agressions sexuelles et de critiques liées à sa gestion de la pandémie de Covid-19.

En raison de son appartenance à l’aile gauche du Parti démocrate, représentée par les socialistes démocrates, l’appareil du parti a choisi de ne pas le soutenir directement. Cette absence d’appui a permis à Cuomo de se présenter comme candidat indépendant. Sa campagne a rapidement adopté un ton offensif : insinuations islamophobes, remise en question du parcours et des compétences de Mamdani, ainsi que critiques de ses positions vis-à-vis d’Israël et de la guerre menée à Gaza.

À mesure que le soutien populaire à Mamdani grandissait, le maire de New York, Eric Adams, a décidé de se retirer de la course pour soutenir Cuomo[5], bien qu’ils appartiennent tous deux au Parti démocrate. Adams avait été visé par des enquêtes fédérales pour corruption, finalement abandonnées, en échange d’une orientation plus proche de l’agenda de Trump sur l’immigration.

Face à cette campagne marquée par un discours à connotation raciste, Mamdani a choisi de mener sa campagne en plusieurs langues (ourdou, hindi et espagnol) et de concentrer ses efforts dans les mosquées ainsi que sur les lieux de travail afin de mobiliser les électeurs. Son soutien explicite à Gaza et aux migrants a constitué un premier facteur de popularité, renforcé par son affirmation assumée de son identité culturelle et religieuse.

À l’approche de l’élection, Trump est intervenu directement, attaquant Mamdani en le qualifiant de « communiste » et de « radical », menaçant de l’arrêter et de lui retirer la nationalité américaine, tout en promettant de couper le financement fédéral de la ville de New York et de déployer la Garde nationale[6].

Dans les jours précédant le scrutin, Trump a appelé ses partisans républicains à soutenir le candidat indépendant Cuomo, mais le candidat officiel du Parti républicain, Curtis Sliwa, a refusé de se retirer en sa faveur. Cette alliance implicite entre Trump et Cuomo a permis à Mamdani de se présenter comme un opposant au lien entre les élites politiques et financières et comme un rempart face à la dérive autoritaire incarnée par Trump.

À mesure que sa popularité grandissait, plusieurs personnalités influentes du Parti démocrate ont finalement annoncé leur soutien, parmi lesquelles l’ancienne vice-présidente Kamala Harris, la gouverneure de l’État de New York Kathy Hochul et le leader de la minorité à la Chambre des représentants, Hakeem Jeffries. En revanche, l’ancien président Barack Obama a choisi de temporiser, tandis que les sénateurs Chuck Schumer et Kirsten Gillibrand se sont abstenus de déclarer leur soutien[7].

Mamdani a réussi à mobiliser une participation électorale inédite, et ce malgré les divisions au sein de l’appareil démocrate et les attaques venues des républicains ainsi que de certains grands entrepreneurs. Plus de deux millions de personnes ont voté pour lui, soit le double de la participation enregistrée lors de l’élection précédente, quatre ans plus tôt. La candidature indépendante de Cuomo a entraîné une dispersion du vote démocrate : 60 % des électeurs qui avaient soutenu Harris en 2024 ont choisi Mamdani, tandis que 36 % ont voté pour Cuomo[8]. Ce clivage illustre la profondeur des tensions entre l’aile progressiste et l’aile traditionnelle du Parti démocrate, avec des répercussions nationales rappelant celles de 2016, lorsque Hillary Clinton avait été battue par Trump.

Par ailleurs, la participation massive des jeunes a joué un rôle déterminant, permettant à Mamdani d’obtenir le plus grand nombre de voix jamais enregistré pour un candidat à la mairie de New York depuis 1969, avec plus d’un million de voix (50 %) contre 40 % pour Cuomo et 7 % pour Sliwa[9]. Selon les sondages à la sortie des urnes, 78 % des jeunes ont voté pour Mamdani. Il a également bénéficié d’un large soutien parmi les électeurs asiatiques (59 %), noirs (48 %) et latino-américains (45 %), tandis que Cuomo dominait chez les électeurs blancs avec 45 % contre 37 % pour Mamdani[10].

Bien que Mamdani ait été accusé d’« antisémitisme » en raison de son soutien aux droits des Palestiniens et de son engagement dans la campagne BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions), il a tout de même obtenu 33 % des voix juives, contre 63 % pour Cuomo, alors que New York abrite la plus grande communauté juive hors d’Israël (960 000 personnes, environ 10 % de la population). Sa victoire marque une rupture symbolique avec un schéma ancien dans la politique municipale, où le soutien à Israël était souvent considéré comme une condition tacite pour accéder à des fonctions publiques. Dans son discours, Mamdani a réaffirmé son opposition à l’antisémitisme, malgré les appels israéliens invitant les Juifs de la ville à émigrer.

Les répercussions possibles de la victoire de Mamdani

Avec son élection à la mairie de New York, Mamdani devient le 111e maire de la ville. Il est également le premier musulman d’origine sud-asiatique à occuper ce poste, ainsi que le plus jeune élu depuis un siècle. New York, qui compte environ neuf millions d’habitants, est la plus grande ville des États-Unis et un centre financier et médiatique mondial. Diriger cette métropole implique de superviser un appareil administratif immense, près de 300 000 employés, pour un budget de 115 milliards de dollars.

Sa victoire dépasse les seuls enjeux locaux et a des implications politiques et stratégiques qui s’étendent bien au-delà des frontières de la ville. Ce succès lui offre une plateforme influente pour contribuer à redéfinir les priorités du Parti démocrate, dans un contexte marqué par la montée du discours républicain et l’emprise de Trump sur le paysage politique national. Ces élections, organisées à New York et dans plusieurs autres États et villes américaines, constituent le premier test politique national depuis le retour de Trump à la Maison-Blanche[11]. Les démocrates espèrent que les résultats serviront de point de départ pour reconquérir la majorité au Congrès en 2026 et préparer l’élection présidentielle de 2028.

La victoire de Mamdani révèle également des évolutions idéologiques internes au Parti démocrate, alors que les tensions s’accentuent entre l’aile centriste et l’aile progressiste sur la stratégie à adopter face à Trump. Compte tenu du poids politique et symbolique de New York, il est probable que les répercussions de cette victoire dépassent largement le cadre géographique de la ville. Mamdani a d’ailleurs affirmé dans son discours que sa campagne constituait un modèle efficace pour affronter Trump[12]. Son succès inspire désormais de nombreux militants progressistes qui envisagent eux aussi de se lancer dans la vie politique[13].

La victoire de Trump à la présidentielle de 2024 est en partie attribuable à la faible participation dans des villes comme New York, Chicago et d’autres bastions démocrates, dites « bleues ». Cela révèle une crise de confiance envers la gestion démocrate : de nombreux électeurs estiment que ces villes ne sont plus gouvernées efficacement, ce qui a affaibli la crédibilité du Parti démocrate[14].

Mamdani représente de nouveaux groupes émergents dans la société américaine, notamment les musulmans et les Sud-Asiatiques. Ces communautés, en croissance au sein de l’électorat démocrate, pourraient jouer un rôle déterminant lors des primaires de 2028. Leur poids oblige le parti à dépasser une vision réductrice de l’identité politique américaine, au-delà de la simple dichotomie Blancs / Noirs[15].

L’importance de la campagne de Mamdani tient aussi à sa capacité à mobiliser une jeunesse peu optimiste quant aux possibilités de changement. Elle propose un modèle reproductible pour construire des mouvements politiques démocratiques. Par ailleurs, la forte participation des jeunes a été un élément clé de sa victoire et pourrait permettre au Parti démocrate d’éviter des revers similaires à ceux de 2016 et 2024[16].

Conclusion

La victoire de Mamdani à l’élection municipale de New York dépasse largement le cadre local. Elle révèle des transformations profondes du paysage politique américain et met en lumière plusieurs paradoxes. Parmi eux : l’élection d’un jeune immigré, devenu citoyen américain seulement sept ans plus tôt, à la tête de la plus grande ville du pays et de la ville natale de Trump, alors que ce dernier continue de développer un discours politique excluant les migrants de couleur et promouvant l’idée d’une « Amérique blanche ».

Le succès de Mamdani, connu pour son soutien aux droits des Palestiniens et sa critique des politiques israéliennes, remet en cause le modèle traditionnel lié à l’influence juive à New York. Un tiers des électeurs juifs ont voté pour lui, ce qui met fin à une longue période durant laquelle le vote était étroitement associé à des candidats soutenant explicitement Israël. Parallèlement, la campagne de Cuomo, qui a tenté de mettre en avant la religion de Mamdani, s’est retournée contre lui : elle a évoqué des stéréotypes liés à l’après-11 septembre et a été perçue comme contraire aux valeurs des habitants de New York[17].

Le soutien public de Trump et des républicains à Cuomo a également mobilisé l’électorat démocrate. Beaucoup ont voulu soutenir un candidat rejetant ce qu’ils considèrent comme un comportement politique autoritaire et intimidant, contribuant ainsi à une forte mobilisation en faveur de Mamdani. Dans son discours de victoire, ce dernier a maintenu des positions fermes, sans concessions envers ses adversaires. Le ton agressif de Trump s’est nettement apaisé après l’annonce des résultats.

Le mandat de Mamdani à la mairie de New York ne s’annonce pas simple, malgré sa victoire historique. Ses promesses électorales ambitieuses nécessitent le soutien des autorités et du conseil législatif, un appui loin d’être garanti en raison des divisions internes au Parti démocrate. À cela s’ajoutent les menaces de Trump de couper les financements fédéraux de la ville et d’y déployer la Garde nationale, des actions susceptibles d’épuiser une part importante de son énergie politique et administrative et de le placer en confrontation directe avec le gouvernement fédéral.

Notes

[1]Rachel Treisman, “NYC’s Next Mayor is a Democratic Socialist. What Does that Mean?” NPR, 5/11/2025, consulté le 27/11/2025, URL : https://acr.ps/1L9BOXX

[2]  “What is Democratic Socialism?” D​emocratic Socialists of America website, consulté le 27/11/2025, at​: https://acr.ps/1L9BPTy

[3] Ibid.

[4] Kiko Llaneras, Sebastián Casse & Daniele Grasso, “Who voted for Mamdani? The New York Election in Seven Charts,” El Pais, 5/11/2025, consulté le 27/11/2025, URL : https://acr.ps/1L9BPsP

[5] Michelle L. Price & Jill Colvin, “Mamdani tells Trump that New York is Ready to Fight after President’s Threats Fail to Thwart Voters,” The Associated Press, 5/11/2025, consulté le 27/11/2025, URL :https://acr.ps/1L9BPDj

[6] Michelle L. Price & Jill Colvin, “Mamdani tells Trump that New York is Ready to Fight after President’s Threats Fail to Thwart Voters,” The Associated Press, 5/11/2025, consulté le 27/11/2025, URL: https://acr.ps/1L9BPDj

[7] Anna Betts, “Zohran Mamdani Elected Mayor of New York City in Historic Win,” The Guardian, 5/11/2025, consulté le 27/11/2025, URL : https://acr.ps/1L9BOXt

[8] Llaneras, Casse & Grasso.

[9] Anna Betts, op.cit.

[10] Llaneras, Casse & Grasso, op.cit.

[11] Stephen Collinson, “If the Trump Wall is about to Crumble, here’s Where it Will Show First,” CNN, 04/11/2025, consulté le 27/11/2025, URL: https://acr.ps/1L9BP7K

[12] John Power, “Trump says Mamdani must ‘Respect’ Washington, wants New York to Succeed,” Aljazeera, 6/11/2025, consulté le 27/11/2025, URL: https://acr.ps/1L9BOVk

[13] Rachel Leingang, “The Mamdani Effect: How His Win Spurred more than 10,000 Progressives to Consider Run for Office,” The Guardian, 5/11/2025, consulté le 27/11/2025, URL: https://acr.ps/1L9BOUG

[14] Astead Herndon & Cameron Peters, “Why Zohran Mamdani’s Victory Will Resonate Beyond New York City,” VOX, 4/11/2025, consulté le 27/11/2025, URL: https://acr.ps/1L9BPKv

[15] Ibid.

[16] Emma Goldberg & Benjamin Oreskes, “A Little-Noted Element Propelled Mamdani’s Rise: Gen Z Loneliness,” The New York Times, 4/11/2025, consulté le 27/11/2025, URL: https://acr.ps/1L9BPyu

[17] Herndon & Peters, op.cit.