CAREP Paris, le 28 novembre 2018
Les sessions :
SESSION 1 : L’Europe et les enjeux des transitions démocratiques dans le monde arabe
SESSION 2 : Le rôle de l’Union européenne dans le processus de changement démocratique : Étude des cas de la Tunisie, de L’Égypte et de la Syrie
SESSION 3 : Économie, développement et questions migratoires
SESSION 4 : L’Europe et la cause palestinienne
L’Europe et les enjeux des transitions démocratiques dans le monde arabe
La lutte pour la démocratie : une cause commune
Les révolutions de 2011 en Afrique du Nord ont constitué la plus récente des vagues de démocratisation qui ont débuté dans les années 1970 au Portugal avec la révolution du 25 avril 1974 ; la Tunisie incarnant l’un des derniers exemples de démocratisation réussie dans le monde.
Le triomphe de la contre-révolution militaire en Égypte, qui a brutalement mis fin le 3 juillet 2013 à la transition démocratique, marque tragiquement le début d’un processus mondial de déclin démocratique.
Des processus de régression démocratique sont à l’œuvre en Europe comme dans le reste du monde, comme en témoignent l’élection de Donald Trump aux États-Unis, celle de Jair Bolsonaro au Brésil, le chemin vers l’autoritarisme emprunté par la Turquie, et l’arrivée de l’extrême-droite au pouvoir dans plusieurs pays européens, tels que la Pologne, la Hongrie, l’Autriche et l’Italie.
Les causes qui ont conduit à la victoire et, dans certains cas, à la consolidation des forces antidémocratiques « illibérales » au pouvoir, dénomination que revendique éhontément le Premier ministre hongrois Viktor Orbán, font l’objet de vives controverses. Pour ma part, je retiens de ces débats la convergence de deux crises : l’une de nature sociale et l’autre autour des questions d’identité.
Les classes moyennes d’Europe et des Amériques s’inquiètent pour leur avenir. Cette angoisse s’explique par le fait qu’elles aient vu leurs revenus stagner – et ce alors que la crise de 2008 avait déjà mis en évidence l’énorme croissance des inégalités sociales –, mais aussi parce que nombre d’entre eux refusent, d’une part, la profonde remise en cause de l’ordre patriarcal, et d’autre part, la diversité culturelle et religieuse croissante de leur société, conséquence de l’universalisation des droits humains.
La crise sociale a fortement affecté la crédibilité des élites libérales et facilité la progression des partis identitaires nationalistes, qui font de l’islamophobie et de la lutte contre l’immigration – autant dire de la haine raciale –, leur étendard politique.
L’influence de l’extrême-droite dans les institutions européennes s’est accrue avec l’arrivée au pouvoir de la Ligue du Nord (anti-immigrés) en Italie. En témoigne par exemple la décision du Conseil européen de reléguer le contrôle des flux migratoires aux pays du sud de la Méditerranée, notamment à la Libye, où l’on assiste pourtant à de graves violations des droits des migrants, ce qui affaiblit davantage la crédibilité de l’Union européenne en tant que défenseur des droits fondamentaux. Cette dégradation morale était déjà malheureusement à l’œuvre comme le montrent les louanges du président du Conseil européen, Donald Tusk, à l’égard du dictateur militaire égyptien Sissi, en dépit des dizaines de milliers de prisonniers politiques, et la position de l’UE sur les crimes contre l’humanité commis par Bachar el-Assad et ses alliés.
En Europe comme dans les Amériques, l’extrême-droite a choisi la voie électorale pour arriver au pouvoir. Certains parlent à cet égard d’autoritarisme électoral, expression qui avait été à l’origine utilisée pour caractériser certains régimes du sud de la Méditerranée et leur système multipartite de façade.
Dans les pays arabes, les forces autoritaires s’emparent et conservent le pouvoir par la violence. Le massacre de la population syrienne perpétré par Assad avec le soutien de la Russie et de l’Iran pour empêcher le triomphe de la démocratie en est l’exemple le plus brutal. En Égypte et dans la plupart des pays du Golfe, le pari des élections ne fait pas non plus partie du programme des élites réactionnaires.
En Europe, les dirigeants autoritaires du sud de la Méditerranée ont le soutien des dirigeants d’extrême-droite dans leur répression féroce des forces d’opposition, notamment des courants politiques islamistes, mais ils bénéficient aussi de celui de nombreux dirigeants démocratiques qui adoptent une position finalement assez similaire lorsqu’il s’agit de contenir l’islam politique.
L’émergence dans les pays de l’Union européenne de courants islamophobes, anti-immigrés et anti-réfugiés représente un facteur de tension entre l’Europe et les citoyens du sud de la Méditerranée, majoritairement musulmans, et un obstacle majeur à la coopération euro-méditerranéenne.
La régression démocratique constitue également un sérieux obstacle à la paix dans la région, y compris à la résolution du problème palestinien : l’extrême-droite, propulsée dans les Amériques par des courants évangéliques influents, soutient la droite israélienne dans sa négation des droits des Palestiniens et affaiblit les initiatives multilatérales en faveur de la paix.
La situation est de ce fait très différente de celle de 1995, date à laquelle les États de l’UE et du sud de la Méditerranée signèrent l’accord de Barcelone pour le partenariat Euromed. À cette époque, on pouvait espérer que l’Europe jouerait un rôle important dans le soutien à la démocratie et à la justice sociale dans les pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. Aujourd’hui, la vague illibérale en Europe et la banalisation des mesures anti-immigrés affaiblissent considérablement la légitimité de la plupart des gouvernements et des institutions européennes dans le dialogue pour la démocratie. La progression des courants autoritaires en Europe a rendu caduque la traditionnelle perspective Nord-Sud concernant la défense des droits des citoyens du sud de la Méditerranée.
Un changement de paradigme est nécessaire : celui qui consiste à assumer, de part et d’autre de la Méditerranée, que la lutte contre la régression démocratique et contre les violations de l’État de droit est désormais un objectif commun. Cette nouvelle vision doit être reconnue par tous, en particulier par les organisations de la société civile des deux rives. La lutte pour la liberté et la lutte contre les courants néo-fascistes sont les mêmes. Pour ce faire, au lieu de demander comment les Européens peuvent soutenir la démocratie dans les pays du Sud, il est nécessaire de découvrir, d’interroger et de rechercher les moyens de défendre ensemble la liberté, de faire progresser le programme des droits de l’homme et de lutter contre les inégalités sociales.
Álvaro de VASCONCELOS
Chercheur et professeur d’université en Relations internationales au Portugal, il a dirigé l’Instituto de Estudos Estratégicos e Internacionais (IEEI), dont il est l’un des membres fondateurs, de 1981 à 2007. Très impliqué dans la coordination d’EuroMeSCo, réseau euro-méditerranéen d’instituts de politique étrangère et de sécurité, il a joué un rôle important dans le Processus de Barcelone de 1995. ll a ensuite été directeur de l’Institut d’études de sécurité de l’Union européenne entre mai 2007 et mai 2012.
L'Union européenne et le monde arabe : la sécurité plutôt que la démocratie
Pour appréhender l’histoire récente, les historiens et chercheurs en relations internationales partent généralement du bouleversement géopolitique que fut l’effondrement de l’Union soviétique – cette grande puissance jusqu’alors déterminante dans la politique internationale – et de l’ascension au sommet de la hiérarchie mondiale, désormais indisputée, des États-Unis. Plus rarement, cette charnière historique est associée à un autre évènement tout aussi important, à savoir l’émergence en cette fin de guerre froide d’une force nouvelle : l’Union européenne, sortie du giron de la Communauté européenne dont les pays ont été l’une des arènes de la compétition et de la lutte entre les deux grandes puissances de la guerre froide.
L’avènement de l’Union européenne a soulevé de nombreuses interrogations concernant son rôle dans la conception des politiques internationales, en sa qualité de puissance normative (« normative power ») définissant les valeurs et critères attachés à l’expansion de la démocratie et au renforcement des droits de l’homme – deux piliers fondamentaux de la construction européenne. L’Union a bâti la mise en œuvre de ses projets, tant sur le plan intérieur qu’extérieur, sur le principe de conditionnalité (« conditionality »). Et c’est avec force que la conditionnalité européenne s’est imposée aux projets de partenariat et de coopération euro-arabes, ces derniers étant d’abord conçus par l’Europe et ensuite seulement approuvés par les pays arabes. Partant de là, nous avançons deux hypothèses dont nous entendons mettre à l’épreuve le bien-fondé, en concentrant notre étude sur la place de la transition démocratique dans la politique que l’Union européenne mène vis-à-vis du monde arabe :
- Dans sa politique étrangère à l’égard du monde arabe, l’Union fait prévaloir les considérations sécuritaires sur les considérations politiques en rapport avec l’expansion et la consolidation de la démocratie, les droits de l’homme et les libertés publiques. Aussi, dans sa rhétorique sur la démocratisation, l’Union verse régulièrement dans une duplicité évidente à l’égard des pays arabes.
- Dans les projets du partenariat euro-méditerranéen, ce sont les questions sécuritaires qui paramètrent la politique étrangère de l’Union vis-à-vis du monde arabe. Cette dernière encourage la coopération tant qu’elle garantit la sécurité intérieure de l’Union et empêche les menaces sécuritaires (terrorisme, émigration…) de pénétrer sur son sol.
Afin de mettre à l’épreuve ces deux hypothèses, nous avons examiné trois projets européens en direction du monde arabe et exposé les raisons qui sous-tendent l’enrayement de la transition démocratique dans la région :
- Le processus de Barcelone de 1995
- La politique européenne de voisinage de 2004
- Le partenariat pour la démocratie et une prospérité partagée avec le sud de la Méditerranée, lancé en 2011
Dans sa construction interne, l’Union européenne continue d’être kantienne, en promouvant le renforcement du processus d’intégration et de coopération qui a conduit à la création d’un système régional européen par la démocratisation du centre et de l’est de l’Europe. L’Union s’est ainsi manifestée en tant que puissance normative efficiente et influente. Mais dans son attitude vis-à-vis du monde arabe, elle est restée hobbesienne, en agissant comme une puissance aiguillée par des objectifs stratégiques qui la consacrent en tant qu’acteur international cohérent et apte à s’inscrire dans un certain rapport de force avec les autres puissances mondiales. La duplicité de la rhétorique européenne vis-à-vis des pays arabes s’est clairement exprimée en 2013, lorsque la marée révolutionnaire a commencé à refluer en raison des erreurs et échecs des forces révolutionnaires, de la violence des régimes – notamment celle du régime syrien, sans parler des faux pas commis en Égypte par les islamistes au pouvoir et de l’ambition des militaires de le récupérer – et de la complexité des contextes économiques et sociaux dans la région. Alors que les anciens régimes rassemblaient leurs forces réactionnaires pour contre-attaquer les soulèvements populaires nés des révolutions de 2011, l’Union européenne a opté pour le pragmatisme, que ce soit en Égypte, en Syrie, en Libye ou au Yémen.
Ahmed Qassem Hussein
Chercheur à l’Arab Center for Research and Policy Studies (Doha) et rédacteur en chef de la revue Siyasat arabia (« Politiques arabes »). Après un doctorat en Relations internationales obtenu à l’université de Florence, il a été chargé de cours à la Faculté de Sciences politiques de l’université de Damas. Il est l’auteur de nombreux ouvrages et travaux sur les relations internationales.
Le rôle de l’Union européenne dans le processus de changement démocratique : Étude des cas de la Tunisie, de L’Égypte et de la Syrie
L'Union européenne et la transition démocratique en Tunisie
L’Union européenne constitue l’un des principaux acteurs internationaux de la transition démocratique en Tunisie. L’assistance démocratique européenne se manifestait jusqu’ici à travers la politique déclaratoire et la levée de fonds. L’accent était mis sur la démocratie et les droits de l’homme par le biais des orientations stratégiques des divers programmes alloués à la Tunisie particulièrement, ou aux différents pays du printemps arabe, d’une manière générale. Les ressources réservées au soutien de la société civile ont été augmentées et le budget de l’Instrument européen pour la démocratie et les droits de l’homme (IEDDH) a été renforcé. En somme, l’UE s’est mieux équipée sur les plans institutionnels, financier et conceptuel en renforçant son approche de base en matière de soutien à la démocratie.
Par ailleurs, la politique de soutien à la transition démocratique en Tunisie dans sa première phase était faible, en partie à cause de la complexité du processus de prise de décision au sein de l’Union européenne. Mais le rôle de celle-ci a évolué pour soutenir, en premier lieu, le processus électoral de 2011. Par la suite, plusieurs programmes ont été mis en place pour venir en aide aux institutions et à la société civile qui a joué un rôle important dans le processus constitutionnel et politique. Néanmoins, le soutien européen à la société civile restait limité.
Malgré les efforts déployés par l’Union en matière d’assistance démocratique, les acteurs internes de la transition estiment que l’effort européen était insuffisant, tout en soulignant la profondeur historique des relations entre la Tunisie et l’Europe. Enfin, une question se pose : faut-il renouveler aujourd’hui les paradigmes régissant les relations entre les deux rives de la Méditerranée, en fonction du nouveau contexte afin de construire un espace méditerranéen qui profite à tous ses citoyens ?
Asma Nouira
Asma Nouira est maître de conférences en science politique à la Faculté de Droit et des Sciences politiques de Tunis, université de Tunis-El Manar. Elle est co-fondatrice et présidente de l’Observatoire tunisien de la transition démocratique. Ses principaux domaines de recherche sont la politique et la religion, et la transition démocratique en Tunisie.
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Cette communication vise à analyser l’approche européenne de la crise syrienne, autour d’une interrogation sur son statut d’acteur, au sens d’une entité capable d’infléchir le cours des événements. Trois temps se dégagent pour cette analyse.
Dans une première partie, nous montrons que l’UE pouvait être qualifiée avant 2011 d’« acteur borgne », ne prenant en compte qu’une catégorie d’interlocuteurs en Syrie. De même que ses États membres, l’UE a prôné une approche fondée sur une relation avec les régimes des pays sud-méditerranéens, ces derniers assumant une fonction de « garde-barrières ». Les processus de Barcelone ou l’UPM l’illustrent, avec une oscillation entre une vision coopérative (la Méditerranée du Sud apparaissant comme zone géographique à arrimer à un destin et des valeurs communes, ou encore un espace de projection de la puissance européenne) et une vision sécuritaire (le lieu d’émergence de dangers potentiels à endiguer). Malgré l’existence de volets de soutien à la société civile, cette seconde approche a pris de l’importance à partir des attentats du 11 septembre 2001. Consistant à faire des pays sud-méditerranéens une barrière devant endiguer le phénomène migratoire et le terrorisme, cette dynamique a renforcé un dialogue entre élites politiques, mettant à l’écart les sociétés. Les régimes des pays sud-méditerranéens ont tiré parti de cette coopération, y voyant le levier de leur propre maintien au pouvoir et de leur fréquentabilité. Symétriquement était tacitement acceptée l’absence de réformes significatives. La relation euro-syrienne l’illustre, en particulier la manière dont le régime syrien a capitalisé sur son rôle de garde-barrière pour se sortir de crises diplomatiques. Ainsi les négociations pour un accord d’association, plusieurs fois interrompues, étaient supposées reprendre en mars 2010, un an avant les premières manifestations dans le pays.
Un second temps consiste à décrire un acteur hésitant, à partir de 2011. Nous analysons les actions entreprises mais également en creux toutes celles qui ont été envisagées sans aboutir. Faisant le bilan de la séquence précédente, l’UE adopte dès mai 2011 plusieurs trains de sanctions (interdiction de pénétrer sur le territoire de l’UE et gel des avoirs) contre des personnes et entités liées à la dynamique de répression en Syrie. Sur le plan diplomatique, le Conseil des Affaires étrangères de l’UE accueille en octobre 2011 la mise en place du Conseil national syrien « comme un pas en avant positif », alors que la délégation européenne conserve une représentation en Syrie. Mais les « actions » de l’UE sont marquées par des blocages institutionnels et le maintien d’une certaine ambigüité. On le voit notamment lors des débats pour une levée partielle de l’embargo sur le pétrole syrien, suite à la prise de contrôle de certains puits par des groupes de l’opposition au printemps 2013. Cette décision a en fait pu apparaître comme l’impuissance de l’UE à mobiliser d’autres moyens d’actions, et comme le moyen de ne pas accéder à une demande concomitante, celle de la livraison d’armes à l’opposition. La division entre les États membres, visible lors du sommet de Luxembourg d’octobre 2015 postérieur à l’intervention russe, résulte de l’émergence d’une préoccupation nouvelle devenue l’axe principal de la gestion de la crise syrienne : le phénomène migratoire. Finalement, la stratégie de l’UE à l’égard de la Syrie adoptée par le Conseil le 3 avril 2017 reprend les principes des résolutions de l’ONU (droits de l’homme, aide humanitaire, promotion de la démocratie, soutien à la société civile), sans que les modalités de leur mise en œuvre ne soient précisées.
Une dernière séquence pourrait faire émerger un acteur en quête de leviers. Il s’agit ici d’aborder les enjeux de la reconstruction, dans le contexte de l’affaiblissement des puissances occidentales (États-Unis et pays de l’UE) tant sur le terrain que dans les négociations de sortie de crise. L’enjeu est alors de redevenir un acteur audible, et la reconstruction apparaît pour l’UE comme une carte à jouer. Alors que la Russie appelle de ses vœux une participation financière européenne, l’UE la conditionne à une transition politique conforme à la résolution 2254 du Conseil de sécurité de l’ONU. Plusieurs parlementaires européens ont également mis en garde contre tout empressement sur cette question – et contre la tentation de certains de jouer le jeu de la reconstruction pour accélérer le retour des immigrés syriens –, encourageant l’UE à monnayer son rôle contre une influence sur les négociations. Le levier financier apparaît ainsi comme un outil pour redevenir un partenaire politique. Il s’agira alors d’établir si l’UE souhaite s’en saisir, et si les autres acteurs internationaux accepteront cette ambition.
Manon-Nour Tannous
Maître de conférences à l’université de Reims, Manon-Nour Tannous est chercheur associé à la chaire d’histoire contemporaine du monde arabe (Collège de France) et au Centre Thucydide (université Paris-II), présidente du Cercle des Chercheurs sur le Moyen-Orient (CCMO).
Économie, développement et questions migratoires
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Grâce à la démographie, il est permis de réfuter certaines idées reçues sur la population arabe, essentiellement de composante maghrébine en France et en Europe.
Sur le plan de l’éducation et de l’accès à l’enseignement, les communautés immigrées, loin d’être constituées de hordes d’analphabètes, jouissent au contraire de niveaux d’instruction, même universitaires, appréciables. En outre, la France et l’Europe, qui accueillent de nombreux étudiants, les voient s’installer durablement, ce qui contribue à augmenter le niveau culturel de ces communautés.
Souvent accusés d’être « hyper-féconds », les immigrés qui furent peut-être natalistes dans les années d’après-guerre ont vu leur taux de natalité baisser considérablement, s’alignant sur la norme européenne. Mieux, ils ont été des passeurs de culture et ont servi de modèle à leurs parents restés au pays, à telle enseigne que la fécondité des pays maghrébins a diminué plus vite que celle des pays arabes du Proche-Orient alors que rien ne l’y prédisposait.
À d’autres égards, les immigrés maghrébins, par la connaissance de la langue du pays hôte ou par leurs coutumes matrimoniales, témoignent de leur intégration : ils transmettent la langue française à leurs descendants, concluent beaucoup de mariages mixtes et vivent en couple hors liens du mariage, loin des préceptes de leurs pays d’origine.
En revanche, leur intégration sur le marché de l’emploi reste problématique, affectée par des taux de chômage largement supérieurs à ceux de la population majoritaire, dite « de souche ». On peut ainsi parler de discrimination à l’embauche, car les modèles statistiques montrent que, même en contrôlant d’autres facteurs, tels que le niveau d’instruction, ils sont plus en butte au chômage.
Bien que de plus en plus laïcs, ces immigrés semblent retrouver un sentiment d’appartenance religieux, lequel doit être considéré comme une réaction de défense identitaire.
Youssef Courbage
Youssef Courbage est démographe, spécialiste du Moyen-Orient. Il a été expert à l’Unesco puis aux Nations unies à Beyrouth, au Caire, à Yaoundé, à Port-au-Prince et à Rabat, puis chercheur à l’Institut national d’études démographiques (Ined), à Paris. Entre 2003 et 2005, il a été détaché à l’Institut français du Proche-Orient (Ifpo) à Beyrouth, dont il a dirigé le département des études contemporaines.
Le « statut avancé » Maroc-Union européenne : bilan, enjeux et perspective de développement
Le Maroc a développé des relations diverses et historiques avec l’Union européenne concrétisées par plusieurs accords bilatéraux depuis l’indépendance du royaume.
Le statut avancé conclu en 2008 avec l’UE constitue une première pour un pays non européen et permet au Maroc de bénéficier de certains avantages, tout en excluant une adhésion complète aux institutions européennes.
Sur le plan politique, le statut avancé insiste sur la création d’un dialogue politique et stratégique, incluant la démocratisation de la vie politique au Maroc et le changement de sa législation en matière des droits de l’Homme et de gouvernance des institutions.
Sur le plan économique, le statut avancé met l’accent sur l’intégration économique et le développement des infrastructures et du climat des affaires. De plus, il facilite le libre-échange entre le Maroc et L’UE et le transfert d’expériences. De même, la collaboration entre les deux partenaires vise les domaines de la sécurité, la lutte contre le terrorisme et l’immigration.
Dix ans après son lancement, le bilan du statut avancé est mitigé. Le Maroc joue un rôle très important pour l’UE dans la lutte contre le terrorisme et la régulation des flux migratoires. Politiquement, on note des réformes institutionnelles de la justice et de la gouvernance, au travers de la Constitution de 2011. Économiquement, malgré un niveau élevé d’échanges commerciaux, du fait que l’UE est le premier partenaire commercial et financier du Maroc, les objectifs économiques entre les deux parties sont loin d’être atteints. Le Maroc souffre d’une économie de rente et d’un capitalisme de connivence. Les réformes administratives et législatives restent nécessaires afin de stopper la corruption et améliorer le climat des affaires. S’ajoute à cela la situation sociale inquiétante au Maroc, le pays étant classé en 123e position dans l’Indice du développement humain (IDH) et il doit faire face à différents enjeux : la pauvreté, la marginalisation sociale, le chômage et les disparités régionales.
Finalement, les perspectives de cette relation sont marquées par la nouvelle doctrine de la diplomatie marocaine, articulé autour des intérêts anciens du royaume (France, Union européenne, États-Unis et monarchies du Golfe) et des intérêts d’avenir (Russie, Chine et Afrique). De même, le retour du Maroc à l’Union africaine en 2017 après trente-trois années d’absence et la transformation du pays en récepteur des migrations sub-sahariennes implique des responsabilités particulières, liées notamment aux engagements pris par le royaume dans le cadre des programmes des Nations unies et de l’Union européenne. À ce sujet, plusieurs axes sont à développer dans les années à venir.
À l’inverse, l’UE rencontre des développements complexes en matière d’intégration européenne sur le plan de sa politique étrangère, son modèle économique, la montée en puissance du populisme, de l’indépendantisme et les conséquences du Brexit.
Younes Belfellah
Enseignant chercheur à l’université de Toulouse-III. Économiste spécialiste du monde arabe et des relations entre la région MENA « Middle East and North Africa » et l’Union européenne. Consultant en stratégie d’internationalisation, Younes Belfellah a publié plusieurs ouvrages sur la gouvernance, la performance et la gestion des risques. Il est également chroniqueur et éditorialiste pour plusieurs médias arabophones, francophones et anglophones.
L’Europe et la cause palestinienne
L'Europe et la question palestinienne (1948-2018) : responsabilité historique et incohérence diplomatique
Sans l’antisémitisme européen, sans la déclaration Balfour (1917), sans le mandat britannique en Palestine (1922-1948), sans le génocide des juifs durant la Deuxième Guerre mondiale, il n’y aurait probablement pas eu l’État d’Israël dont la création a conduit au sociocide palestinien, et à la « dé-existence » de la Palestine. Les Européens ne peuvent pas éluder cette responsabilité historique.
Et pourtant, ils ont tout fait pour consolider l’État d’Israël dès sa naissance : réparations financières allemandes, soutien militaire français, appui diplomatique des autres États européens à l’exception de la Grèce (jusqu’à 1981) et du Portugal et de l’Espagne (jusqu’à 1986). La question politique de la Palestine a été occultée et réduite à une question de « réfugiés ».
Une prise de conscience de la dimension politique de la question palestinienne se fait jour avec le « document Schuman » de 1971. Avec le dialogue euro-arabe (1974-1980), les douze États de la Communauté européenne finissent par reconnaître les droits du peuple palestinien à l’autodétermination, au travers de négociations auxquelles devrait participer l’OLP (déclaration de Venise du 15 juin 1980). Au cours des décennies suivantes, par de multiples déclarations, l’UE dénonce l’occupation et la colonisation israéliennes jugées illégales, milite pour l’option de deux États vivant côte à côte « en paix et en sécurité », et condamne la judaïsation de Jérusalem-Est qui « devrait être la capitale de la Palestine ». Ce faisant, l’UE colle au plus près au droit international. En même temps, l’UE ne lésine pas sur les moyens pour aider financièrement l’Autorité palestinienne et la société civile, dépensant plus de cinq milliards d’euros entre 1993 et 2018.
Israël continue, imperturbablement, à ignorer les appels de l’UE au « respect du droit international ». Malgré cela, l’UE ne prend aucune mesure punitive. Au contraire, elle renforce les échanges économiques avec Israël (à part l’étiquetage des produits des colonies exportés en Europe), implique Israël dans tous ses projets euro-méditerranéens et dans tous ses centres de recherche. Et quand il s’agit de reconnaître l’État de Palestine, ou de voter en faveur d’un rehaussement du statut de la Palestine aux Nations unies, ou d’admettre la Palestine dans les institutions internationales, les États européens étalent leurs divisions, faisant montre d’une incohérence totale, de sorte que l’affirmation normative de l’UE s’est heurtée à un manque de volontarisme stratégique.
Bichara Khader
Bichara Khader est professeur émérite de l’Université catholique de Louvain et fondateur du Centre d’études et de recherches sur le monde arabe contemporain (CERMAC). Il a été membre du Groupe des Hauts Experts sur la Politique étrangère européenne (Commission européenne) et membre du Groupe des Sages sur le Dialogue entre Peuples et Cultures (Présidence de la Commission européenne). Actuellement, il est professeur visiteur dans différentes universités arabes et européennes.