Entre tensions géopolitiques persistantes et avancées culturelles significatives, l’année 2024 a été marquée par des événements majeurs qui ont redéfini la dynamique du monde arabe. Le conflit israélo-palestinien a continué de concentrer l’attention internationale tandis que la guerre au Soudan, toujours plus complexe, semble s’enliser sans issue claire. Parallèlement, la trêve au Yémen, bien que fragile, a offert une lueur d’espoir pour une paix encore incertaine. En Algérie, la rivalité avec le Maroc sur le Sahara occidental demeure un point de friction majeur, tandis que la guerre en cours au Liban continue de déstabiliser la région, affaiblissant le Hezbollah et exacerbant les tensions.
Au milieu de ces défis géopolitiques, les processus démocratiques ont joué un rôle clé dans l’orientation politique de plusieurs pays. En Mauritanie, le renouvellement présidentiel par les urnes a renforcé les dynamiques internes existantes ; en Jordanie, le scrutin a confirmé un statu quo politique difficile à renouveler. Les élections tunisiennes, par contre, ont mis en évidence une dérive autoritaire préoccupante, marquant un tournant inquiétant dans l’évolution du pays. Enfin, la chute du régime de Bachar el-Assad en Syrie a redéfini les équilibres politiques régionaux, décisif dans l’histoire du pays.
Cependant, alors que la politique régionale est dominée par ces tensions complexes, la culture a continué de jouer un rôle central dans l’identité arabe. L’ouverture du nouveau Grand Musée égyptien, le GEM, au Caire, en est un exemple frappant, symbolisant l’avènement d’une nouvelle ère culturelle. En parallèle, les athlètes arabes ont marqué les Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, émulant une fierté collective. La Semaine arabe à l’UNESCO a aussi mis en lumière cette richesse culturelle, sans pour autant gommer les tensions politiques sous-jacentes qui continuent de marquer la région.
C’est dans ce contexte que nous vous proposons un retour sur quelques événements qui ont façonné l’actualité du monde arabe en 2024.
Évolution du conflit israélo-palestinien
Les 11 et 12 janvier 2024, un procès historique s’est ouvert à La Haye : l’Afrique du Sud a accusé Israël de génocide devant la Cour internationale de justice, dans le but de mettre fin aux bombardements sur Gaza, responsables de milliers de morts civils. Cet événement est un nouveau chapitre du conflit israélo-palestinien, qui perdure depuis près de quatre-vingts ans.
Par ailleurs, les assassinats successifs des dirigeants du Hamas, Ismaël Haniyeh et Yahya Sinouar, en représailles, étaient accompagnés d’intenses frappes israéliennes sur Gaza. À la suite de ces événements, le 21 novembre dernier, la Cour internationale de justice a lancé un mandat d’arrêt contre le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou et l’ancien ministre de la Défense Yoav Gallant.
Sur le plan humanitaire, la suspension des financements par plusieurs pays de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), motivée par des accusations israéliennes, a considérablement aggravé la crise à Gaza, malgré le lancement de la campagne internationale pour un cessez-le-feu intitulée « Countdown2ceasefire ».
Pour aller plus loin :
Hamdan Taha, La Destruction du patrimoine à Gaza, 27/11/2024..
Emilio Dabed, La Cour internationale de Justice et le génocide à Gaza : Quand tout fonctionne comme prévu, 04/07/2024.
Majd Darwish, Motifs de la résistance : le keffieh dans l’histoire de la lutte palestinienne, 31/07/24.
Le Légal face à l’arbitraire, Cycle de 3 tables rondes, avril 2024.
Le conflit soudanais perdure
Marqué par des décennies d’instabilité, le Soudan a sombré en avril 2023 dans un conflit meurtrier opposant les Forces armées soudanaises (SAF) aux Forces de soutien rapide (RSF), conséquence de l’échec de la transition démocratique qui avait suivi la chute d’Omar el-Bechir. Un an plus tard, le 15 avril 2024, le pays fait face à une crise humanitaire d’une ampleur dramatique : des millions de déplacés, des pénuries aiguës de nourriture et d’eau, ainsi que des infrastructures ravagées.
Les violences se poursuivent sans perspective politique claire, tandis que la communauté internationale, divisée et impuissante, peine à intervenir. Cette paralysie fait redouter une escalade du conflit et sa transformation en une guerre par procuration entre puissances régionales, ce qui aggraverait encore l’instabilité politique dans la Corne de l’Afrique.
Pour aller plus loin :
Entretien avec Alice Frank, L’interminable guerre des généraux à Khartoum, 14/06/2023.
Entretien avec Abdelwahab El-Affendi, Regard sur la transition démocratique soudanaise, 10/02/2022.
Anne-Laure Mahé et Clément Deshayes, Comprendre la transition soudanaise (conférence), 25/11/2021.
Prolongation de la trêve au Yémen
Le conflit au Yémen, déclenché en 2014 par l’insurrection des Houthis contre le gouvernement, a ravagé le pays, provoquant l’une des pires catastrophes humanitaires au monde. Soutenus par l’Iran, les Houthis ont renforcé leur emprise sur de vastes territoires, y compris sur Sanaa, la capitale yéménite, tandis que la coalition dirigée par l’Arabie saoudite s’est efforcée de rétablir l’autorité du gouvernement reconnu internationalement.
Au 9 avril 2024, la prolongation de la trêve conclue en 2022, bien que marquée par des violations sporadiques, a offert une fragile lueur de stabilité, facilitant une amélioration partielle de l’accès à l’aide humanitaire. Cependant, la récente menace des Houthis de bloquer la mer Rouge a consolidé leur influence géopolitique dans la région, faisant d’eux un acteur à prendre en compte. Cette situation présente en effet des enjeux stratégiques majeurs pour le commerce maritime mondial et les équilibres de pouvoir au Moyen-Orient.
Pour aller plus loin :
Entretien avec Mustapha Naji Aljabzi, Le parti Al-Islah au Yémen : de la révolution à l’exil, 08/06/2023.
Linda Al-Obahi et Laurent Bonnefoy, Yémen : une trêve fragile (conférence), 04/10/22.
Élections présidentielles en Mauritanie
Les élections présidentielles en Mauritanie, tenues le 29 juin 2024, ont reconduit Mohamed Ould Ghazouani au pouvoir dès le premier tour avec 56 % des voix, renforçant ainsi sa position de figure principale du pays. Toutefois, la performance notable de Biram Dah Abeid, militant de premier plan contre l’esclavage, qui a obtenu 22 % des suffrages, témoigne d’une évolution du paysage politique et d’un renforcement de l’opposition. Sa campagne, centrée sur des enjeux cruciaux tels que la pauvreté, la lutte contre la corruption et les droits des minorités, a trouvé un écho significatif. Malgré la stabilité apparente du régime de Ghazouani, le pays demeure confronté à de fortes tensions sociales et économiques. L’esclavage, qui persiste notamment au sein des communautés Haratins, reste une problématique centrale. Par ailleurs, l’économie, largement dépendante des ressources naturelles, peine à endiguer la pauvreté et le chômage des jeunes.
Bien que certaines réformes aient été initiées, les perspectives en Mauritanie demeurent incertaines. L’émergence d’une opposition dynamique, articulée autour des thèmes de justice sociale et de redistribution des ressources, pourrait transformer durablement le débat politique dans ce pays.
Pour aller plus loin :
Mohamed Mahmoud Maloum, Élection présidentielle en Mauritanie : une fenêtre d’opportunité dans un contexte géopolitique fragmenté ?, 18/07/24.
Conflit algéro-marocain autour du Sahara occidental
En 2024, le conflit entre l’Algérie et le Maroc autour du Sahara occidental a connu une intensification par le biais de tensions diplomatiques et politiques. En mars, les deux pays se sont mutuellement accusés de soutenir des mouvements séparatistes : le Maroc a par exemple fermement condamné l’ouverture par l’Algérie d’un « bureau pour la République du Rif », une faction séparatiste. Cet épisode a ravivé et exacerbé une rivalité historique sur la question du Sahara occidental, où l’Algérie soutient activement le Front Polisario, tandis que le Maroc revendique cette région comme faisant partie intégrante de son territoire. Parallèlement, des puissances telles que la France et l’Espagne ont réaffirmé leur soutien aux revendications marocaines, intensifiant les pressions internationales autour de ce conflit qui perdure depuis 1975. À cette époque, le Maroc et la Mauritanie avaient revendiqué le Sahara occidental après le départ de l’administration espagnole, tandis que le Front Polisario en proclamait l’indépendance.
Si le soutien au Polisario reste actif dans certaines régions du globe, les perspectives d’une résolution du conflit apparaissent de plus en plus incertaines, notamment en raison de la polarisation régionale et des rivalités géopolitiques croissantes.
Succès des athlètes arabes lors des Jeux Olympiques de Paris
Les athlètes arabes ont marqué les Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 par leurs performances exceptionnelles. L’Égypte s’est distinguée en haltérophilie, tandis que l’Arabie saoudite a décroché des médailles en judo et en athlétisme. Ces succès témoignent non seulement de l’essor de l’intérêt pour le sport dans la région, mais aussi de la progression remarquable de la participation féminine dans des disciplines longtemps dominées par les hommes.
Parallèlement, des pays comme les Émirats arabes unis et le Qatar ont intensifié leurs investissements dans le sport féminin, une démarche visant à renforcer leur image internationale en soutenant l’inclusion et l’autonomisation des femmes. Ces victoires s’inscrivent dans un contexte de réformes sociales et économiques en cours, symbolisant des avancées significatives vers une plus grande égalité pour les femmes.
Malgré les défis géopolitiques persistants, ces réalisations contribuent à projeter une image moderne, dynamique et inclusive du Moyen-Orient sur la scène sportive mondiale.
Élections présidentielles en Jordanie
En septembre dernier, dans un climat marqué par une profonde frustration liée au chômage persistant et à la hausse du coût de la vie, plus de cinq millions de Jordaniens ont été appelés à renouveler la chambre basse du parlement. Avec un taux de participation limité à 36 %, ces élections reflètent le désenchantement croissant de la population, notamment des jeunes, face à une situation socio-économique tendue.
Le scrutin s’est déroulé dans un contexte compliqué, exacerbé par la guerre à Gaza et les difficultés économiques internes. Le Front islamique d’action (IAF) s’est imposé comme la principale force politique, renforçant son influence parlementaire en remportant 17 sièges. À l’inverse, d’autres formations telles qu’Irada, la Charte nationale et Taqaddom ont enregistré des résultats plus modestes.
Cette faible participation et le renforcement de partis d’opposition traduisent une demande pressante pour des réformes politiques et économiques. Face à une désillusion généralisée, des pressions croissantes pourraient émerger, poussant les autorités à accélérer la mise en œuvre de mesures concrètes pour répondre aux attentes de changement et restaurer la confiance du peuple.
Guerre au Liban et l’affaiblissement du Hezbollah
En 2024, le Liban continue de naviguer sous la coupe d’une structure politique fragile, façonnée par un système confessionnel qui répartit le pouvoir entre les différentes communautés religieuses. La guerre qui a éclaté en septembre dernier après une nouvelle confrontation avec Israël rappelle douloureusement le conflit de 2006, évoquant un « retour au passé » pour un pays déjà éprouvé par des années d’instabilité.
Ce nouvel épisode de violences aggrave une situation nationale critique marquée par une profonde crise politique, économique et sociale. La paralysie institutionnelle actuelle, conséquence d’une gouvernance dysfonctionnelle, empêche toute réponse coordonnée à l’escalade du conflit. Par ailleurs, l’affaiblissement du Hezbollah, affligé par des pressions internes et des défis internationaux, a davantage fragilisé le paysage politique libanais, exacerbant le chaos et alimentant l’incertitude quant à l’avenir du pays.
Pour aller plus loin :
Joseph Daher, Hezbollah, entre défis et résistance, 07/11/24.
Élections tunisiennes et la dérive autoritaire
Les élections législatives tunisiennes de septembre 2024 ont été marquées par une participation historiquement faible, inférieure à 10 %, révélant une profonde désaffection des citoyens pour le processus politique. La majorité des sièges a été remportée par des candidats indépendants et des figures proches du président Kaïs Saïed, tandis que les partis traditionnels, comme Ennahdha ou d’autres formations d’opposition, ont enregistré des résultats plus marginaux, témoignant d’une fragmentation politique accrue. Ce scrutin intervient dans un contexte socio-économique alarmant, dominé par une crise économique sévère, un chômage endémique, une inflation galopante et une défiance généralisée envers les institutions. Parallèlement, le président Saïed poursuit la consolidation de son pouvoir en restreignant l’espace démocratique à travers une répression accrue des opposants et un contrôle renforcé des institutions de l’État.
Dans ce nouveau paysage politique, un parlement dépourvu d’opposition réelle risque d’accentuer l’isolement international du pays, tout en aggravant la crise sociale et politique interne. Cette situation renforce les craintes d’un retour à l’autoritarisme et d’une érosion durable des acquis démocratiques de la révolution tunisienne.
Pour aller plus loin :
Yadh Ben Achour, La crise de l’État en Tunisie (conférence), 13/05/24.
Yadh Ben Achour, La crise de l’État en Tunisie (analyse écrite), 25/07/24.
L’ ouverture du Grand Musée Égyptien
En 2024, l’Égypte évolue dans un contexte politique dominé par un contrôle institutionnel accru et des défis socio-économiques persistants, caractérisés par une inflation galopante, un chômage élevé et une précarité financière généralisée. Dans ce climat tendu, l’inauguration du nouveau Grand Musée égyptien au Caire représente un événement de prestige majeur sur la scène internationale. Ce musée, présenté comme le plus grand du monde consacré à la civilisation égyptienne, met en lumière l’extraordinaire patrimoine culturel du pays, notamment à travers l’exposition des trésors emblématiques de Toutânkhamon.
Si cette ouverture est saluée comme une vitrine exceptionnelle de l’Égypte moderne face au monde, elle s’inscrit toutefois dans un équilibre délicat. Le gouvernement y voit une occasion de redorer son image à l’étranger et de stimuler le tourisme, un secteur vital pour l’économie nationale, mais cette démarche soulève des interrogations internes et externes, alors que les enjeux liés aux droits humains et aux libertés demeurent préoccupants. L’instrumentalisation de la culture comme outil de soft power révèle ainsi les contradictions d’un régime cherchant à rayonner à l’international tout en étant confronté à des critiques sur la situation politique et sociale du pays.
La Semaine arabe à l’UNESCO
La région arabe traverse en cette année 2024 une période complexe, marquée par des défis politiques, des conflits persistants et des difficultés économiques. Des tentatives de réformes et des initiatives de modernisation sont cependant mises en œuvre dans plusieurs pays. Dans ce contexte, la Semaine arabe à l’UNESCO s’affirme comme un événement clé, mettant en lumière le patrimoine culturel et artistique du monde arabe à travers des expositions, des concerts et des conférences.
Ces manifestations célèbrent la richesse et la diversité culturelle de la région tout en soulignant sa contribution essentielle au patrimoine universel. En outre, elles favorisent le dialogue interculturel, en offrant une plateforme de réflexion sur les enjeux contemporains du monde arabe, et améliorent la compréhension des complexités et des dynamiques propres à cette région, souvent mal perçue à l’international.
Le premier sommet international des pensées arabes
Le 1er Sommet international des pensées arabes, organisé les 14 et 15 novembre par l’Institut du monde arabe en partenariat avec le CAREP Paris, a marqué une étape significative dans la valorisation de la pensée arabe contemporaine. Placé sous le parrainage prestigieux d’Edgar Morin, cet événement s’est fixé un triple objectif ambitieux :
- Affirmer la vitalité et la diversité de la production intellectuelle arabe contemporaine.
- Mettre en lumière les figures majeures qui contribuent activement à la production et à la diffusion des idées et des savoirs dans le monde arabe.
- Encourager le dialogue et les échanges intellectuels entre les pensées arabe et européenne, grâce à des moments dédiés aux rencontres et aux débats.
L’initiative répond à un constat frappant : la pensée arabe est souvent réduite, en France, à son passé glorieux, incarné par l’âge d’or médiéval d’Al-Andalus, époque où les sciences et les savoirs arabes ont joué un rôle fondamental dans l’épanouissement des connaissances à l’échelle mondiale. Pourtant, cette vision nostalgique masque une réalité riche et dynamique. Les grandes figures, les courants et les enjeux de la pensée arabe contemporaine restent largement méconnus.
Le sommet s’inscrit dans une démarche éditoriale ambitieuse visant à rendre accessible au plus grand nombre l’extraordinaire foisonnement intellectuel des mondes arabes d’aujourd’hui. En cela, il s’aligne avec la mission du CAREP Paris, qui œuvre pour une meilleure compréhension et reconnaissance de la pensée arabe en France.
Pour aller plus loin :
Sommet International des pensées arabes – Jour 1 (en français / en arabe), 14 novembre 2024.
Sommet International des pensées arabes – Jour 2 (en français / en arabe), 15 novembre 2024.
Chute du régime de Bachar al-Assad
En décembre 2024, après plus de cinquante ans de pouvoir, le régime de la famille el-Assad s’est effondré, mettant fin à une dynastie marquée par des décennies de résistance aux crises internes et externes. La guerre civile syrienne, déclenchée en 2011 par les manifestations antigouvernementales du Printemps arabe, a plongé le pays dans un conflit dévastateur, impliquant des puissances régionales et internationales.
L’instabilité politique et la fragmentation du territoire syrien ont favorisé l’émergence de groupes armés, tandis que des luttes pour le contrôle régional se sont intensifiées. La chute de Bachar el-Assad, soutenu par la Russie et par l’Iran, laisse la Syrie dans une situation politique incertaine : l’absence d’une autorité centrale stable, les rivalités entre factions locales et les intérêts divergents des puissances étrangères compliquent toute perspective de paix durable ou de transition politique claire.
Pour aller plus loin :
Salam Kawakibi, La reprise d’Alep par le régime syrien est peu probable dans un futur proche, 03/12/24.
Racha Abazied, La Syrie libérée : un jour historique, 09/12/24.
Isabel Ruck, Changement de pouvoir en Syrie et brusque virage dans la politique migratoire des pays européens, 13/12/24.